Revue de presse

G. Chevrier : "2022, et les loupés de la défense de la laïcité dans la lutte contre le séparatisme" (atlantico.fr , 29 déc. 22)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République. 2 janvier 2023

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "2022, et les loupés de la défense de la laïcité dans la lutte contre le séparatisme".

"2022 aura été une année test pour le président de la République dans sa lutte contre « le séparatisme », après la loi adoptée le 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République ». Rappelons-en le sens, « apporter des réponses au repli communautaire et au développement de l’islamisme radical, en renforçant le respect des principes républicains et en modifiant les lois sur les cultes. » Autrement dit, défendre et promouvoir une laïcité de l’Etat régulièrement attaquée. Conforter donc, un Etat séparé des cultes, qui ne voit que des individus de droit, et pas chacun selon sa différence.

Une journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année a été mise en place. Le tribunal administratif, saisi sur l’invitation du ministre de l’Intérieur, a annulé un arrêté pris sous l’impulsion du maire de Grenoble, qui de facto autorisait le burkini dans les piscines de la ville, confirmée par le Conseil d’Etat. L’imam Iquioussen, mis en cause pour des « déclarations haineuses, antisémites et promouvant l’infériorité de la femme », a été frappé d’une mesure d’expulsion du territoire français, après avoir sévi des années sur notre sol. Ce qui était un signe a envoyé à tous ceux qui pensent pouvoir utiliser la liberté qu’offre notre démocratie pour la retourner contre elle. On ne peut que s’en féliciter.

Mais concernant la laïcité après cette loi, où en est-on aujourd’hui ?

Un milieu associatif qui ne suit pas toujours la laïcité

Mesure phare, selon la loi, les associations ou fondations qui demandent une subvention publique doivent s’engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République (égalité femme-homme, dignité humaine, fraternité...) dans un "contrat d’engagement républicain". Le respect du contrat devient une condition pour l’obtention d’un agrément ou la reconnaissance d’utilité publique. Mais ce contrat, contrairement à son nom, n’impose nullement la neutralité de l’action, et donc, des employés de ces associations, pourtant seule à pouvoir garantir l’égalité de traitement de tous devant la loi.

On a en mémoire cette rencontre houleuse, le 22 octobre 2020, à laquelle a participé Sarah El Haïry, la secrétaire d’Etat à la jeunesse, organisée par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), à Poitiers. D’un côté, 130 jeunes issus de quartiers venus d’une quarantaine de centres sociaux, revendiquant des cours sur les religions à l’école ou la possibilité de porter des signes religieux à partir du lycée, de l’autre, la secrétaire d’Etat, tentant tant bien que mal de défendre la laïcité. Une semaine plus tard, elle annonçait une inspection au sein de la Fédération. Où en est-on aujourd’hui des quatorze propositions retenues par le rapport rendu à ce titre, pour y remédier ?

Il y a quelques jours, voilà que la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du SNU annonce la saisine de l’inspection générale de l’éducation pour une mission sur les délivrances de l’habilitation à effectuer les formations obligatoires pour les volontaires du service civique. De quoi s’agit-il ? Dans un article publié le 15 décembre, Charlie Hebdo épingle un module de formation organisé par une association agissant dans ce cadre d’habilitation, mettant en cause des propos qu’auraient tenus les intervenantes et qui tendent « à faire passer l’idée que les pouvoirs publics sont purement et simplement islamophobes ». Selon le journal, l’animatrice aurait par exemple indiqué que la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école « a donné un permis de discriminer à l’école ». Une autre intervenante, présentée comme « témoin », aurait dépeint l’association BarakaCity, dissoute en Conseil des ministres en 2020 pour avoir propagé « des idées prônant l’islamisme radical », comme « une asso musulmane de charité, qui a connu beaucoup de harcèlement politique ». « Ce mec-là, je ne l’aime pas, mais je suis très triste pour ce qui lui est arrivé, c’est islamophobe », aurait-elle déclaré, semblant ainsi soutenir son fondateur, le prédicateur salafiste Idriss Sihamedi.

Le contenu des formations Valeurs de la République et laïcité (VLR), n’est pas plus sous contrôle. Croit-on qu’il suffise d’une habilitation à effectuer des formations, pour que le contenu transmis soit réellement républicain ? Par-delà les rapports officiels, à quand une grande impulsion de l’Etat pour y remédier ?

Lutte contre les pratiques religieuses patriarcales et pour l’égalité femmes-hommes

La loi traite de la polygamie sous l’angle des titres de séjour et des pensions de réversion et renforce la lutte contre les mariages forcés. La délivrance de certificats de virginité devient interdite et punie d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.

Où en est le bilan de ces mesures, alors que le voile est loin de reculer bien au contraire, dont les pratiques traditionnelles qui l’accompagnent, certificats de virginité et mariages arrangés sinon forcés, religieux sans passer devant l’officier d’Etat civil, en reflètent l’influence ?

Et de quoi parle-t-on encore lorsque la Défenseure des droits choisie par le président de la République, Mme Claire Hédon, reprend une plainte du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), association dissoute après avoir été mise en cause par le gouvernement pour propager « avec constance une action de propagande islamiste », qui vise à imposer sur les plans d’eau le burkini, symbole même d’un apartheid sexuel, et ce, au nom de la lutte contre les discriminations ? C’est la fragmentation sociale, le ghetto assuré pour des femmes pour lesquelles, plus de mixité fait l’émancipation.

Neutralité religieuse dans le sport, l’inquiétude règne

La liste des motifs de dissolution des associations a été complétée. Les associations peuvent se voir imputer des agissements commis par leurs membres, agissant en cette qualité, ou des agissements directement liés à leurs activités. Comment ne pas s’interroger sur l’association « Alliance citoyenne » qui a multiplié les actions coups de poing, militant pour ce séparatisme, en tentant d’imposer le port du burkini dans les piscines, où en soutenant les hijabeuses qui entendent s’opposer à la règle de neutralité religieuse sur les terrains, inscrite dans le règlement de la Fédération Française de Foot ?

La loi prévoit aussi un contrôle par l’État des associations sportives et des fédérations sportives renforcé, les associations agréées étant soumises au contrat d’engagement républicain. Parallèlement, Mme Elisabeth Moreno, le 10 février 2022, alors ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a pu estimer que les femmes « ont le droit de porter le voile islamique pour jouer » sur un terrain de football. Un principe de neutralité que défend la FFF, consigné dans la Charte Olympique à la règle 50.2, mais à laquelle on a, il est vrai, déjà apporté à la demande de pays islamiques, des dérogations accommodantes.

On se rappellera aussi que la loi « sport-santé et parité » visant à « démocratiser le sport en France », du 2 mars 2022, favorisant l’égalité des sexes dans les instances sportives, d’un côté, a vu le rejet d’un amendement du Sénat qui prévoyait la neutralité religieuse sur les terrains de sport, de l’autre. On ne peut qu’être inquiet, dans la perspective des jeux organisés à Paris en 2024.

La laïcité et les enseignements difficiles de l’assassinat de Samuel Paty

Par la loi, en réponse à l’assassinat terroriste de l’enseignant Samuel Paty, les députés ont créé un délit d’entrave à la fonction d’enseignant. Mais l’évolution aujourd’hui est sans appel loin de l’ambition de cette volonté du législateur. Dans un sondage que vient de publier l’Ifop pour la revue Ecran de veille, « les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité », ce qui domine, c’est leur autocensure face à la pression religieuse des élèves, de leurs parents, avec en toile de fond, un communautarisme rampant. Ils sont les trois quarts à estimer que le ministère de l’Education nationale n’a pas tiré les enseignements de l’assassinat de Samuel Paty, et pas du tout 34%. 27% des enseignants ont déjà observé le port de vêtements religieux traditionnels larges dans leurs établissements de types abayas et qamis. Le refus de donner la main à quelqu’un, élèves qui prient dans l’enceinte de l’établissement, refus d’entrer dans un lieu de culte lors de sorties scolaires, refus de participer aux cours d’éducation physiques et sportives, sont pointés. A peine la moitié des enseignants ayant constaté qu’un élève portait une tenue religieuse dans l’enceinte de l’établissement l’a signalé. Plus les enseignants sont jeunes, plus ils ont tendance à s’autocensurer, à être plutôt favorables à un « assouplissement » des règles de la laïcité. Un enseignant sur cinq a observé des contestations lors des cérémonies d’hommage à Samuel Paty. On apprend aussi que seuls six enseignants sur dix ont eu un temps pour lui rendre hommage dans leur établissement.

Un décalage notable entre les bonnes intentions et les faits. On prône à côté d’un discours dit de fermeté avant tout le dialogue, favorisant par trop le menu à la carte. Ce qui se traduit par le fait que dans certaines classes, la moitié des élèves ne participent pas au cours de piscine pour raison religieuse.

Laïcité et associations cultuelles, la fuite en avant du donnant-donnant

Si les conditions de création et de gouvernance des associations gérant un lieu de culte prévues par la loi de 1905 sont revues afin de les protéger des prises de contrôle malveillantes par des groupes radicaux (clause dite anti-putsch), au nom de donner plus d’autonomie financière à ces associations, elles pourront détenir et exploiter des immeubles de rapport acquis par legs ou don. Un amendement des députés plafonne à 50% les ressources annuelles qui pourront être tirées de tels immeubles. Une manière d’encourager les associations loi 1901, 90% des mosquées étant sous leur régime, à passer sous le statut de la loi de 1905, en échange de cet avantage. L’air de rien, la loi a ici autorisé une nouvelle possibilité de financement aux cultes, qui leur offre plus d’influence par l’entremise de ces biens, qui est une véritable boîte de Pandore.

Députés de la majorité, pas de rejet du financement de campagnes pro-voile

Lorsqu’au Parlement européen, la proposition du PPE portée par François Xavier Bellamy de ne pas financer de campagne susceptible de promouvoir ou de banaliser le voile obligatoire (hijab) a été adoptée, un certain nombre de députés Renew ont voté contre cette proposition, comme Stéphane Séjourné, tête de file de Renaissance. Mais le lendemain, il s’est félicité que « son amendement contre le financement des associations islamistes par la Commission a été adopté au Parlement européen comme celui de François Xavier Bellamy ». Une ambivalence qui en dit long sur les contradictions qui planent sur la conception de la laïcité défendue par la majorité.

Dire combattre l’islamisme passe mieux que de porter la controverse sur le voile. On défendra qu’il y ait bien des raisons différentes et personnelles de porter le voile, mais on ne saurait nier qu’il est toujours l’instrument principal d’affrontement autour du respect des principes communs. On le voit chez les élèves qui entendent imposer le port d’abayas dans l’école, qui sont les mêmes qui se révoltent contre l’interdiction qui y est faite au voile, encouragés par des islamistes sur les réseaux sociaux. Le refus de la loi commune au nom de sa religion, d’un droit au-dessus duquel on porte sa foi, n’est ni plus ni moins que le début de la radicalisation.

Le voile, instrument de contrôle religieux et brèche pour le multiculturalisme…

L’assassinat abject de Mahsa Amimi pour un voile « mal porté » en Iran, a déclenché une vague de protestations dans le pays violemment réprimé. C’est le moment choisi pour faire la promotion du voile en France, par des vidéos sur les réseaux sociaux, comme libre choix de soi, en en appelant à la « tolérance ».

Contrairement à ces messages, il se trouve que l’on ne fait pas société sur le « chacun fait selon ce qu’il veut », mais sur des droits politiques, civils et sociaux, durement conquis au nom de l’intérêt du grand nombre, et donc, par-delà les appartenances particulières. Ils n’ont pu advenir, dont l’égalité femmes-hommes, qu’en les séparant des croyances et de leurs cultes, chacun étant libre de pratiquer une religion ou pas dans sa vie privée.

Aussi, banaliser le voile ici comme liberté et le dénoncer là-bas, comme le font certains, relève d’une hémiplégie idéologique oublieuse qu’il y a là une même racine à un même problème, celui du contrôle du corps des femmes par la religion, fondé sur des rapports de soumission à l’homme. Que celles qui le portent le veuillent ou non, c’est de cela qu’elles sont le porte-drapeau. Il faudra bien un jour le regarder en face.

C’est à cette condition que la liberté de tous pourra l’emporter sur la primauté d’exigences religieuses qui cherchent à installer, avec le communautarisme, une nation dans la nation. Sinon, préparons-nous à ce que notre République soit emportée par un tremblement de terre dû au multiculturalisme, en embuscade derrière le séparatisme. L’année 2023 sera, en la matière, sans doute décisive."


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