Les vœux du CLR

Fraternité : oui, mais républicaine ! (4 jan. 10)

4 janvier 2010

Le Président vient de souhaiter au pays de trouver la voie de la « fraternité ». Quel joli mot que par ignorance parfois, par pudeur sans doute, les républicains ont un peu trop délaissé.

Notre fraternité est bien évidemment citoyenne, c’est-à-dire nourrie de liberté, d’égalité des droits, de solidarité et de laïcité, selon les termes mêmes de notre Constitution. Elle est la clé de voûte de l’édifice républicain : c’est parce que les citoyens sont à la fois libres et égaux qu’ils peuvent être frères. Ce sont ces deux principes à vocation universelle, la liberté et l’égalité, qui en font des citoyens quels que soient leur naissance, leur couleur, leur sexe, leurs appartenances religieuses ou philosophiques. Cette fraternité que souhaite le Président de la République, dont il a justement écrit cette année qu’elle est « antidote au tribalisme et au communautarisme », constitue une étape importante sur la voie ouverte par la Révolution française encore en partie inaboutie.

Aussi formulons-nous des vœux afin que d’ici la fin du quinquennat la politique soit bien placée au service de cette haute idée de la République et des Lumières et que les principes sur lesquels elles sont fondées, grâce à des politiques appropriées, trouvent de plus en plus concrétisation sur le terrain de “la vie vraie”.

Mais les faits constatés en 2009 sont plutôt de nature à allumer les clignotants et aviver nos inquiétudes : il est à craindre, selon la formule de Alain-Gérard Slama, que « le pouvoir des idées s’efface devant les idées du pouvoir ».

L’année a ainsi été riche de déclarations et d’initiatives visant à contourner la laïcité tout en caressant le mot, à la diluer tout en la magnifiant, à vider dans la pratique la loi de sa substance, en particulier au profit du communautarisme.

Qu’on se souvienne ainsi :

  • de la tentative de réécriture du Préambule de la Constitution afin de permettre la mise en place de politiques dites de « discrimination positive », c’est-à-dire favorisant certains individus en fonction de leurs origines, alors qu’il existe des politiques sociales d’aide, de bourses, parfaitement compatibles avec le principe républicain d’égalité. Heureusement, Mme Simone Veil refusa et le projet du Président fut retoqué. Mais les partisans du différentialisme poursuivent leurs pressions, à droite et à gauche, et la bataille rebondira vraisemblablement,
  • des tentatives de mises en place de statistiques ethniques,
  • du vote de la loi renforçant les possibilités de financement des écoles privées, alors que, 50 ans après la loi Debré, il existe encore des villages sans école publique mais avec écoles privées qui, en contrat d’association, sont prises en charges par l’Etat et la commune !
  • de la reconnaissance de diplômes universitaires du Vatican par la République, aboutissant à la remise en cause du monopole de l’Etat...
  • de la proposition, inscrite dans un “Livre Vert” gouvernemental pour aider la jeunesse, de créer dans les écoles une cagnotte afin de lutter contre l’absentéisme scolaire !
  • de l’incitation faite aux banques françaises de s’adapter aux contraintes religieuses de la finance islamique.

On pourra se féliciter que l’année se soit terminée sans nouveau discours sur les mérites respectifs de l’instituteur et du prêtre. Mais la référence récurrente aux racines chrétiennes de la France a de quoi inquiéter ceux pour qui l’identité nationale se confond avec la citoyenneté républicaine. Et de ce point de vue, le débat sur l’identité nationale, instrumentalisé à des fins politiciennes, ne peut que susciter notre réprobation quand certains osent encore suggérer que la France, la vraie en quelle que sorte, devrait être blanche, catholique et romaine, fille ainée de l’Eglise, fondée avec le baptême de Clovis ! Ceux-là n’ont pas du apprécier que le président ait parlé de « métissage ». Et pourtant, depuis toujours, c’est la France !

Sans faire de procès d’intention au président, qui s’était engagé à ne pas modifier la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, comme il en avait eu l’intention alors qu’il était ministre de l’Intérieur et des cultes, nous aurons en 2010 non seulement à défendre la laïcité dans les faits, mais à la promouvoir sur les chantiers de l’avenir : la paix civile plutôt que l’affrontement des identités communautaires, la bioéthique face aux morales particulières, la liberté de la recherche scientifique, l’égalité des droits et la solidarité face à la déchirure sociale, l’universalisme des Lumières ouvertement attaqué dans les instances internationales par les parti-pris les plus obscurantistes.

Et toujours il nous faudra, à la façon des Voltaire, d’Holbach, Helvétius, combattre les préjugés, les aveuglements, les intolérances, la volonté récurrente des clergés à se substituer au politique pour régenter à leur place la vie des hommes et des femmes.

L’actualité tout au long de l’année écoulée, trop riche pour être reprise en détail, témoigne ainsi d’une banalisation de l’islamisme, c’est-à-dire d’une confusion totale entre religion et politique. On sait le sort quotidien des femmes talibans interdites de tout, d’école et d’elles-mêmes, embastillées derrière la burqa. C’est pourquoi le combat en France contre ce signe d’infériorisation de la femme, plus politique que religieux, est un symbole immense d’espoir pour ces engrillagées partout dans le monde. Rappelons qu’en février, Islamabad a signé un accord avec les Talibans prévoyant l’application de la charia sur des territoires pakistanais, que le nouveau président tchétchène a justifié l’assassinat de plusieurs femmes soupçonnées d’une vie de débauche, tandis que le port du voile intégral redevenait obligatoire à l’université et dans les administrations. Et le Yemen, la Turquie, l’Egypte, parmi tant d’autres pays où, face à la montée de l’islamisme, les équilibres politiques et la situation des femmes sont si fragiles... Et le Soudan ! Et l’Iran, immense civilisation que l’on voudrait tant voir renouer avec elle-même, conjuguant tradition et progrès.

L’inquiétante poussée de l’islamisme dans le monde et ses effets collatéraux qui nourrissent certaines formes extrêmes de communautarisme ne sauraient faire oublier que l’année écoulée a été marquée par d’autres formes d’intrusion du religieux dans le politique, comme en Israël où les laïques doivent se battre face aux mouvements religieux radicaux qui voudraient que la loi religieuse se substitue à la loi civile.

Mais c’est encore l’Eglise romaine qui se distingue par des incursions répétées dans le champ politique :

  • montée en ligne du clergé espagnol contre une nouvelle législation sur l’IVG et un projet de loi de tolérance sur les unions homosexuelles,
  • montée en ligne du clergé italien contre l’application d’une décision de la Cour européenne de justice (CJCE) prônant le retrait des crucifix des écoles. Alors que, depuis 1984, le catholicisme n’est plus religion d’Etat, le Vatican appelle à la mobilisation pour défendre la présence des crucifix, pratique établie sous la période mussolinienne, jusque dans les palais de justice. Le magistrat Luigi Tosti ayant refusé de siéger en présence de ce symbole religieux, il a été condamné pour ce geste, mais sa condamnation a été annulée en Cour de cassation,
  • réintégration de prêtres intégristes, dont Richard Williamson, évêque négationniste,
  • excommunication de médecins brésiliens « coupables » d’avoir participé à une interruption de grossesse sur une fillette violée,
  • affligeante nouvelle déclaration du pape à l’occasion d’un voyage au Cameroun, pays dont 45% de la population serait séro-positive, affirmant que « le préservatif aggravait le problème face au sida »,
  • dénonciation des « effets dévastateurs » de la pilule anticonceptionnelle sur l’environnement du fait « de tonnes d’hormones relâchées dans la nature à travers l’urine des femmes », pilule par ailleurs désignée comme « cause non négligeable de l’infertilité masculine » ! (Osservatore Romano, déclaration du président des associations de médecins catholiques),
  • absence de sanctions à l’égard des prêtres irlandais coupables de sévices sexuels infligés à des centaines d’enfants pendant des décennies. La démission de deux évêques fut acceptée et annoncée le jour même où un prêtre africain était défroqué pour avoir convolé en noces « illégitimes » !,
  • signature du décret ouvrant la voie à la béatification de Pie XII, le pape dont le silence officiel laissa aux nazis toute latitude pour “régler” la question juive.

Cette liste à la Prévert pourrait donner à penser qu’elle a été inventée par quelque chansonnier libertaire et anticlérical pour amuser son public. Le drame est qu’il n’en est rien, que les faits sont réels, banalisés, digérés, acceptés. Ils témoignent de le permanence des périls et de la fragilité non seulement des fondements éthiques de la République mais aussi des Lumières et de la Raison.

Formons donc le vœu que les élus républicains prendront la mesure des enjeux et de la chance que la laïcité, sans aucun qualificatif, soit inscrite dans l’article Premier de la Constitution française et qu’elle constitue une référence pour nombre de peuples. Nous saurons s’il le faut le leur rappeler et irriguer l’avenir de ses vertus.

La fraternité citoyenne est une belle réponse aux défis de notre temps, un horizon ouvert aux autres peuples, aux nouvelles générations en quête tout simplement d’une société plus juste et plus éclairée. Tel est le sens des vœux qu’en cette aube 2010 le Comité Laïcité République présente à Marianne et à tous les citoyens.

A tous, salutations républicaines et laïques.

Patrick Kessel

Président du Comité Laïcité République


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