(P. Sastre, Le Point, 26 sept. 24). Peggy Sastre, journaliste scientifique et essayiste 30 septembre 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Fake news, la menace fantôme"
Depuis 2016, les législations contre les fausses informations se durcissent. À juste titre ?
Par Peggy Sastre
C’était en janvier. Ursula von der Leyen s’avançait, grave, au pupitre du Forum économique mondial. Citant son dernier rapport sur les « risques globaux », la présidente de la Commission européenne hissait la « désinformation » au rang des préoccupations majeures des grands de ce monde. Une menace – englobant tout ce qui vise à influencer l’opinion publique par la diffusion volontaire d’informations fausses –, que von der Leyen jugeait d’autant plus néfaste pour les plus « vulnérables », enfants en première ligne. Frapper fort, il fallait. Bonne nouvelle, s’en félicita-t-elle, l’Europe se dotait d’une grosse matraque, le Digital Services Act, règlement européen entré en vigueur à l’été 2023 destiné à discipliner les réseaux sociaux et autres plateformes numériques. Autant de méphitiques bouillons de culture désinformationnelle à purger de leurs contenus porteurs d’« effets négatifs réels ou prévisibles sur la sécurité publique et les processus démocratiques et électoraux ». Comment ? Notamment par de lourdes amendes pouvant aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires.
Interrogée le 16 septembre 2024 à la télévision américaine, Hillary Clinton, candidate malheureuse à la présidentielle de 2016, allait encore plus loin en imaginant punir de sanctions pénales – et donc, potentiellement, de prison – les propagateurs individuels de fake news. Selon celle qui croit toujours que des « ingérences russes » lui ont fait perdre la Maison-Blanche au profit de Donald Trump, la mesure serait bien plus « dissuasive » que de viser les empoisonneurs étrangers de nos démocraties, comme l’avait tenté le procureur spécial Robert Mueller lors du Russiagate en 2016, avant de rentrer bredouille trois ans plus tard.
Mais il n’y a pas qu’en haut lieu que la « désinformation » tracasse. Le commun des mortels est, lui aussi, persuadé que son environnement médiatique en est saturé et que cela a, effectivement, de vilaines conséquences sur la sécurité publique et la vie démocratique. Selon un sondage Gallup réalisé en 2018, les Américains estiment que leurs réseaux sociaux véhiculent à 80 % des informations biaisées, à 64 % des informations fausses et à 65 % de la désinformation pure et dure. En 2019, une autre enquête constatait que 51 % des Américains tenaient la désinformation pour un « très gros problème actuel ». À titre de comparaison, la criminalité violente, le changement climatique, le racisme, l’immigration clandestine, le terrorisme et le sexisme n’étaient affublés d’une telle gravité respectivement que chez 49 %, 46 %, 40 %, 38 %, 34 % et 26 % des sondés.
Libéral, vous avez dit libéral ?
Le souci, c’est que la recherche peine à entériner ces angoisses. Même durant le « pic » supposé de désinformation aux États-Unis, à savoir la campagne présidentielle de 2016, il ne s’est agi que d’un phénomène aussi excessivement marginal qu’insignifiant. Une étude, publiée au printemps 2017, montre que l’Américain moyen ne pouvait se remémorer grosso modo que d’un cas (1,14) de désinformation croisé à ce moment-là. En outre, selon une revue de la littérature datant de juin dernier, la désinformation n’aurait rien d’un rayon radicalisant et ne prêcherait que des convaincus. À savoir, de gens qui, avec ou sans fermes à trolls, auraient cherché et trouvé des moyens de satisfaire leur tempérament quelque peu fiévreux. Comment, sur une base factuelle aussi légère, justifier une mise au pas aussi lourde des plateformes et même, en suivant la riche idée de Hillary Clinton, des individus ?
En voilà donc un véritable et très gros problème actuel que peu de citoyens semblent pourtant percevoir et encore moins regretter : l’obsession des élites à contrôler la parole des populations. Une monomanie passant pour normale, légitime et justifiée alors qu’elle ne repose sur rien de plus concret que des « impressions ». Il n’y a encore pas si longtemps, le monde libéral bombait le torse face aux dictatures, ces régimes arriérés où l’on risquait de finir en taule pour des mots ou des publications « non autorisés ». Aujourd’hui, ce même monde libéral en fait sa spécialité, quitte à se saborder.
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