Revue de presse

« Éric Zemmour ferait un super musulman fanatique : il est misogyne, polygame, il défend la société du patriarcat » (Omar Youssef Souleimane, Charlie Hebdo, 5 jan. 22)

Omar Youssef Souleimane, écrivain. 6 janvier 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Charlie Hebdo : À quels signaux reconnaît-on une société sous l’emprise du religieux, ou en passe de l’être  ? Quelle est la stratégie des islamistes pour s’imposer  ?

Omar Youssef Souleimane : En Europe, ils commencent par identifier les différentes ethnies et cultures d’origine musulmane. Puis ils manipulent les politiciens, les intellectuels. En général, les islamistes s’adaptent. Ici, ils n’emploient pas les mêmes méthodes qu’au Moyen-Orient, ils profitent de la démocratie, de la liberté d’expression.

Ce softpower, c’est précisément le sujet de votre prochain roman…

Oui. Ce roman s’appelle Une chambre en exil. C’est l’histoire d’un réfugié syrien, apostat, qui enseigne la langue arabe, et ne souhaite qu’une seule chose : oublier la guerre, la violence. Il veut une vie simple, rencontrer la femme de sa vie… En cherchant un logement, il trouve une chambre dans une ville de banlieue parisienne, où il s’installe. Et là, il retrouve ce qu’il a fui : l’islamisation de la société, la radicalisation, la manipulation. Il croise une fillette de 9 ans qui est voilée. Même en Syrie, c’est très rare  ! Il est terriblement choqué. Et on découvre aussi, à travers ses discussions avec un imam, très poli, sympa avec les jeunes, avenant, que ce religieux a un vrai plan politique. Il tient un tout autre discours en public, évidemment, mais avec ce migrant qui lui fait confiance, il montre son vrai visage.

Vous êtes réfugié en France depuis 2012. Voyez-vous cette stratégie à l’oeuvre actuellement dans la société française  ?

Oui. Et c’est plus dangereux que le terrorisme. Je vais vous donner un exemple. Je dirige des ateliers d’écriture dans les Yvelines, dans des collèges et des lycées, dans le cadre d’un programme contre la radicalisation. Dans un lycée de Trappes, j’ai vu un panneau accroché au mur d’une classe, où était inscrite une longue phrase en arabe, une très belle calligraphie. C’était un verset du Coran. J’étais extrêmement choqué de voir cette phrase affichée dans une école publique, laïque, en France. J’ai demandé au professeur pourquoi il avait accroché ça, il m’a répondu : « C’est très beau. – C’est vrai, c’est très beau, mais est-ce que vous savez ce que ça dit  ? » Il m’a répondu : « Non. »… Je lui ai dit : « Ça, c’est un verset coranique. Et ce verset, je me demande bien comment il est arrivé là… »

Que disait-il, ce verset  ?

C’est un peu compliqué à traduire en français, c’est un verset très connu de la deuxième sourate, qui dit, en gros, que Dieu est la lumière du ciel et de la terre. On peut rapprocher ça de la vidéo qui a été publiée il y a quelques semaines par le Conseil de l’Europe, sur le voile associé à la beauté, à la liberté, à la mode. Ça m’a fait penser à une anecdote que j’ai vécue dans les années 1980, en Syrie. J’étais tombé sur des photos de ma grand-mère, dans les années 1960–1970. Elle n’était pas voilée. Elle était à la plage, avec ses camarades, des hommes et des femmes, en train de s’amuser. Et j’ai été vraiment interloqué, car j’ai grandi dans une famille où toutes les femmes étaient voilées. Alors, j’ai demandé à ma mère pourquoi mamy n’était pas voilée à l’époque. Elle m’a répondu : « Parce qu’à l’époque ils ne savaient pas ce qu’était la religion, ils étaient ignorants. » Plus tard, j’ai compris le pourquoi de ce changement radical entre les années 1970 et les années 1980. En 1982, à Hama, une petite ville du centre de la Syrie, les Frères musulmans avaient organisé une rébellion contre le régime d’Hafez al-Assad. Ça s’est achevé par un massacre. Après cette défaite, les Frères musulmans ont changé de stratégie. Ils ont commencé à s’infiltrer dans les milieux ouvriers, les universités, à convertir les étudiants, à leur dire qu’ils n’étaient pas de vrais musulmans. Ils appelaient ça « le nouvel islam ». Ils ont publié des livrets, des poèmes, des chansons sur le voile, pour dire que c’était quelque chose de beau, de moderne, qu’il servait à protéger le corps de la femme. Je me souviens d’une phrase qui disait : la femme voilée est beaucoup plus libre, elle est indépendante, car elle garde son corps pour elle. C’est exactement ce qu’on entend actuellement en Europe. Alors, petit à petit, les jeunes Syriennes se sont mises à se voiler, même si beaucoup d’entre elles ne le souhaitaient pas, car les non-voilées, désormais, on les regardait bizarrement, comme des femmes impudiques. Je constate qu’il se passe la même chose aujourd’hui en France, dans certaines cités de banlieue où je suis allé.

Des partis politiques relaient ce discours, aussi. Une partie de la gauche reprend parfois mot pour mot les arguments des islamistes radicaux…

J’appelle cette gauche la « gauche halal ». Je ne comprends pas leur sympathie pour les islamistes, leur complicité. En 1978, ils soutenaient Khomeyni, parce que, pour eux, il faisait la révolution contre l’impérialisme américain et le capitalisme. Et c’est toujours ce qu’ils pensent aujourd’hui. Je trouve qu’ils ont un côté masochiste, parce qu’en Iran, une fois Khomeyni au pouvoir, les premiers à avoir été massacrés ont été les militants de gauche et les communistes. Pour moi qui viens du Moyen-Orient, c’est toujours un grand étonnement de voir tout ça, parce que chez nous, la gauche et les islamistes sont des ennemis jurés. Je trouve tellement bizarre ce mariage entre les deux, en France… Quand j’ai publié mon livre Le Petit Terroriste, qui raconte mon adolescence en Arabie saoudite à l’époque du 11 Septembre, une période où j’étais très radical, de nombreux intellectuels de gauche m’ont accusé de faire le jeu de l’extrême droite, certains m’ont même dit que je faisais la pute pour le Front national… Ils paniquent dès qu’on parle de l’islam ou des islamistes, on est considérés comme des traîtres. Quand j’entends le mot « islamophobie », je suis effondré. Ça n’existe pas  ! Le seul ennemi de l’islam, c’est l’islam lui-même. Il suffit de lire le Coran pour comprendre qu’une bonne partie de cette religion, malheureusement, invite à la haine. Ce n’est pas une simple religion, c’est aussi un système politique, et depuis le début. Mahomet n’était pas seulement un prophète, c’était un chef d’État. C’est ça, le problème de l’islam. Quand les islamistes, en France, jouent les victimes, c’est ça le plus dangereux. Et quand une partie de la gauche manifeste avec eux et crie « Allah akbar  ! », pauvre France… Ce dont on a besoin, maintenant, c’est d’une vraie gauche laïque. Moi, je m’identifie à cette gauche républicaine, mais je la cherche, et je ne la trouve pas. Vous savez, après le massacre à Charlie Hebdo, j’étais dans les manifestations, place de la République, et j’étais extrêmement secoué par les slogans que j’entendais. C’était la même mélodie et les mêmes mots qu’on répétait en Syrie, au début de la révolution. Ça m’a bouleversé. Le soir même, je repensais à mon adolescence en Arabie ­saoudite, et je me disais : si je n’étais pas sorti de cette idéologie, j’aurais pu être parmi les tueurs, ce matin-là. Parce que pour nous, être un bon musulman, c’était ça : être comme ces assassins. C’était ça, l’exemple à suivre. Et à ce moment-là, j’ai décidé d’écrire mon livre Le Petit Terroriste.

Pourquoi, selon vous, certains musulmans considèrent que la religion est leur seule identité  ?

Ça vient principalement du mouvement des Frères musulmans, en Égypte. Leur slogan, c’est « L’islam est la solution ». Ils ont émergé dans les années 1920, juste après la chute de l’Empire ottoman. Il y avait une sorte de nostalgie très forte pour le personnage du calife. Ici, en France, en discutant avec de nombreux musulmans, j’ai constaté qu’on trouve cette recherche d’identité, aussi. Dans mes ateliers d’écriture, je vois beaucoup de ces jeunes de 16–17 ans, qui sont les petits-enfants des immigrés qui sont arrivés dans les années 1960–1970, et qui vivent repliés sur leur communauté. La plupart de ces élèves ne sont jamais allés à Paris, n’ont jamais vu un spectacle, jamais lu un roman, parlent très mal le français, et ne se considèrent pas comme des Français. Je leur ai posé la question : est-ce que vous êtes français  ? Non, je suis algérien. Est-ce que vous parlez arabe  ? Non. Vous êtes déjà allé en Algérie  ? Non. Pourquoi vous n’allez pas en Algérie  ? Parce que là-bas, on n’est pas les bienvenus, au bled, on est considérés comme des fils de riches… Vous êtes qui, alors  ?

Comment expliquez-vous ça  ?

Il y a beaucoup de raisons à cela, je pense. L’influence familiale, bien sûr, mais pas seulement. Quand je suis arrivé, en 2012, comme réfugié, j’ai reçu un appel de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), pour suivre un stage d’intégration. À l’époque, je ne parlais pas français. J’étais très content, je me disais que j’allais découvrir la culture française, la république, la politique… Ça a duré une journée. On a vu un type qui nous a parlé toute la journée en français, je ne compre­nais rien, et en sortant, on m’a donné une attestation pour pouvoir poursuivre mes démarches administratives, et j’ai récupéré une carte de séjour pour dix ans… C’est ça, l’intégration  ? Donc, il y a aussi une responsabilité de l’État. Les islamistes profitent de tout ça, et de l’histoire compliquée de la France avec ses anciennes colonies, ils disent aux gens : vous êtes avant tout des musulmans. Et dans les pays arabes, comme la vie est très misérable, ils nous serinent que la seule solution à tous nos problèmes, c’est l’islam, et surtout la charia. Une fois qu’on applique la charia, c’est le paradis…

Quand vous entendez qu’il ne faut pas confondre l’islam et l’islamisme, que dites-vous  ?

Je réponds : vous ne savez pas ce qu’est l’islam. Lisez le Coran. Mais si les imams eux-mêmes n’ont pas le courage de dire « ce verset appelle à la violence », nous, on ne nous croira pas. Nous sommes des apostats. Il faut savoir qu’une partie de l’histoire islamique est très, très violente, et que c’est toujours à cette partie de l’histoire que les salafistes, et les islamistes en général, renvoient, comme un exemple à suivre. Ils cultivent la nostalgie de ce passé. D’ailleurs, Éric Zemmour me fait penser à ça. Il ferait un super musulman fanatique : il est misogyne, polygame, il défend la société du patriarcat, il a la nostalgie du passé. Je me demande pourquoi il ne fonde pas un parti islamiste, avec Tariq Ramadan, par exemple…

Vous êtes syrien, vous avez vécu en Arabie saoudite, vous avez suivi une éducation coranique, vos parents sont très religieux… Comment passe-t-on de l’étude du Coran à l’athéisme  ?

Je suis devenu athée grâce au Coran. Quand je suis allé avec mon père et mon frère faire le pèlerinage à La Mecque, j’étais salafiste, très, très croyant, je connaissais le Coran par coeur. Avec ce pèlerinage, j’espérais trouver Dieu, trouver la paix, et j’ai été choqué de me retrouver dans une ambiance très violente, agressive, dans une petite ville où il faisait 50 °C, avec environ 3 millions de pèlerins… Il fallait monter en haut d’une montagne pour être au plus proche de Dieu, on tournait autour de la Kaba, on jetait des pierres pour tuer le diable, en poussant des cris… J’avais l’impression d’être dans un hôpital psychiatrique. De plus, depuis que nous étions en Arabie saoudite, je n’avais vu le visage d’aucune autre femme que ma mère, car toutes sont masquées, là-bas… Or, ce qui est paradoxal à La Mecque, c’est que c’est la seule ville où les femmes n’ont pas le droit d’être masquées. Il y avait donc des milliers de femmes du monde entier, le visage découvert, qui faisaient le pèlerinage, et moi, j’avais 15 ans… J’ai passé mon temps à les regarder au lieu d’être au plus proche de Dieu. J’ai énormément culpabilisé, aussi. Et quand on est rentrés à Riyad, j’avais beaucoup de doutes sur la religion. J’ai relu le Coran sans tabou, et je me suis aperçu que ça ne me représentait pas du tout, que je ne m’identifiais plus à ce texte. Et j’ai divorcé de Dieu définitivement.

Que reste-t-il des « printemps arabes »  ? Qu’espère, de nos jours, la jeunesse dans les pays arabes  ?

Je crois qu’aujourd’hui il y a une nouvelle génération, qui a grandi dans la guerre, dans la violence, et qui n’a plus peur de rien. En Syrie, par exemple, le régime a vendu notre pays aux Russes et aux Iraniens. La situation économique est impossible. Je pense que ça va repartir, et plus fort.

Mais les islamistes ne risquent-ils pas d’en profiter, justement  ?

Ils l’ont déjà fait. En Égypte, ils sont arrivés au pouvoir, mais ils ont été renversés par le peuple. Tout le monde a vu qui étaient les Frères musulmans, dans les pays arabes. D’ailleurs, actuellement, il y a une vague d’athéisme impressionnante dans les pays arabes, des centaines de milliers de jeunes qui détestent les islamistes. Bien sûr, ils sont menacés, alors ils se cachent, s’activent sur Internet, sous pseudonyme, mais ils sont là. Et ils cherchent autre chose. Et cette autre chose, c’est la démocratie.

Propos recueillis par Gérard Biard"


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier "Les nouveau clusters de l’islamisme" (Charlie Hebdo, 5 jan. 22) (note du CLR).


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