Revue de presse

"Écoles privées… sur le dos des finances publiques" (Charlie Hebdo, 9 mars 22)

24 mars 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Grâce aux dons défiscalisés et aux subventions publiques, des écoles hors contrat, c’est-à-dire sans lien avec l’État, assurent leur santé financière. C’est pour le moins étonnant dès lors qu’on considère le manque de moyens de l’école publique.

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« Indépendantes », « entièrement libres »… Les écoles hors contrat affichent fièrement leur autonomie vis-à-vis de l’État, ce qui, selon elles, leur permettrait d’éviter toute la « lourdeur » de l’Éducation nationale et d’être « plus efficaces pour ceux qui ne rentrent pas dans le moule ». Mais cette « liberté de l’enseignement », protégée par la Constitution, a forcément un revers financier : les établissements hors contrat ne reçoivent pas d’argent public. En clair : (quasiment) pas de comptes à rendre à l’État sur ce qui se passe dans ces écoles égale pas d’argent de l’État dans leurs caisses. Sauf que ça, c’est pour la théorie. Dans les faits, c’est un peu moins évident.

Car si, pour fonctionner, ces établissements peuvent béné­ficier de frais d’inscription allant de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros par élève et par an, c’est loin d’être suffisant. Alors elles misent sur les dons privés, de particuliers ou de personnes morales. Et pour favoriser ces dons, elles disposent d’un argument de poids : la défiscalisation. « Sur leurs sites Internet, c’est l’une des premières choses précisées. Souvent de façon plus claire que leurs pédagogies », remarque Rémy-Charles Sirvent, secrétaire général du Comité national d’action laïque (Cnal) et secrétaire national du SE-Unsa, mi-amusé, mi-dépité.

Comment ces écoles peuvent-elles bénéficier d’un tel ­cadeau  ? Grâce au mécanisme magique des fondations reconnues d’utilité publique (Frup), qui sont des « organismes de mécénat […] au service d’une cause d’intérêt général ». C’est le cas, par exemple, de la Fondation pour l’école, créée en 2008. Et si, par malheur, la première fondation de rattachement ne reçoit pas le précieux label, qu’à cela ne tienne  ! il suffit de se rapprocher d’une fondation labellisée qui l’« abritera » : il en va ainsi de la Fondation Espérance banlieues, abritée par la Fondation de France, ou de la Fondation Kairos, placée sous l’égide de l’Institut de France. Vous suivez toujours  ? Dans un contexte géo­politique plus pacifique, on aurait parlé de « poupées russes »…

Dans tous les cas, c’est le jackpot. Tout don fait à ces fondations est déductible fiscalement : de l’impôt sur le revenu, dans la limite de 66 % du montant du don et de 20 % du montant de ­l’impôt  ; de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), dans la ­limite de 75 % du don et 50 000 euros  ; et de l’impôt sur les sociétés (IS), dans la limite de 60 % du don et 20 000 euros ou 5 %o du chiffre d’affaires. Quant aux legs (transmission par testament de tout ou partie du patrimoine), ils sont totalement exonérés de droits de succession. De quoi remporter un vif succès auprès d’une partie de la population, qui préférera apporter des fonds à ces établissements plutôt que de payer des impôts à la collectivité.

Et les sommes ne sont pas insignifiantes. À la Fondation pour l’école, on annonce plus de 6,3 millions d’euros de dons, legs, assurance-vie en 2021  ; 5,4 millions à la Fondation Espérance banlieues. Avec parmi les grands donateurs, la Fondation Bettencourt-Schueller, BNP Paribas, la Fondation Engie, la Fondation Auchan, Axa ou encore la Société générale…

De quoi crisper les syndicats de l’enseignement public : « Pour nous, ça ressemble clairement à un financement indirect, explique Rémy-Charles Sirvent. Et ça contrevient à la loi. Notam­ment quand ça revient à financer les dépenses d’investissement et de fonctionnement d’écoles hors contrat confessionnelles. Pour nous, c’est en opposition avec l’article 2 de la loi de 1905. » Et de faire remarquer que les millions défiscalisés par an auraient été particulièrement utiles dans le public. « Actuellement, les bourses accordées aux collégiens sont, au maximum, de 459 euros par an. Et les fonds sociaux destinés aux élèves les plus pauvres du secondaire ont diminué de 16,6 % entre 2017 et 2022. Plutôt que de financer des établissements qui ont choisi d’être en dehors de l’Éducation nationale, l’État aurait plutôt intérêt à s’attaquer à ces chantiers. Là, on pourrait parler d’ »utilité publique’’. »

Une « utilité publique » à laquelle la droite catholique est semble-t-il particulièrement sensible. Pour preuve, c’est François Fillon et son très croyant ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, qui l’ont accordée à la Fondation pour l’école en 2008, alors présidée par Anne Coffinier, future égérie de la Manif pour tous. Depuis, celle-ci a créé la Fondation Kairos, dont le président n’est autre que… Xavier Darcos. Le monde de l’enseignement libre est décidément tout petit  ! Quant à la Fondation Espérance banlieues, son président, Éric Mestrallet, a été attaché parlementaire d’un élu du Mouvement pour la France (MPF).

Mais depuis quelques années, le secteur est de plus en plus décomplexé, ne se contentant plus d’aides indirectes et… recevant des subventions publiques tout à fait officielles. L’un de ces cas agite la communauté angevine depuis plusieurs mois. En cause, l’école élémentaire Le Gouvernail, à Angers (49), rattachée au réseau Espérance banlieues. Il s’agit d’une petite structure de quatre classes, accueillant 39 élèves, installée dans de petits baraquements préfabriqués à la Roseraie, l’un des quartiers sensibles de la ville.

En octobre dernier, la Région Pays de la Loire a accordé 75 000 euros (sur trois ans) à cette école. « Alors que ce n’est pas du tout de la compétence de la Région, insiste Christophe Hélou, du SNUipp. Les écoles élémentaires relèvent des municipalités. La ­Région, elle, a la charge des lycées. Et quoi qu’il en soit, plutôt que de financer des écoles hors contrat, les écoles publiques du quartier, classées en REP+, auraient bien besoin de fonds supplémentaires. » « D’une manière générale, nous sommes pour une seule école : publique, reconnaît Florence Prudhomme, coprésidente départementale de la FCPE. Mais, dans le cas présent, ce qui a motivé notre mobilisation, c’est l’utilisation d’argent public. » Au conseil régional, on estime avoir des arguments solides. « La ­Région est cheffe de file des collectivités locales en termes de politiques de jeunesse, d’éducation prioritaire et de politique de la ville, assure Hubert Jamault, directeur de cabinet de la présidente du conseil régional, Christelle Moran­çais. Et puis, c’est quand même un soutien modeste. Ce n’est pas avec 50 000 euros par an [la Région accorde la même subvention de 25 000 euros par an à une autre école hors contrat du réseau Espérance banlieues, au Mans, ndlr] qu’on relève l’Éducation nationale. » À force de remous, le préfet de région a finalement décidé d’exercer son contrôle de légalité sur cette subvention. Réponse dans deux mois.

Pour couronner le tout, en décembre dernier, un bailleur social détenu en majorité par la municipalité d’Angers, la Soclo­va, y est allé de son petit coup de pouce, en proposant au Gouvernail de construire des locaux tout neufs de 500 m2. « Le rôle premier d’un bailleur social, c’est le logement, insiste Silvia Camara-Tombini, du groupe d’opposition municipale Aimer Angers. Et au lieu de ça, on construit des bâtiments pour des écoles hors contrat qui accueillent quelques dizaines d’enfants. Certes, on va leur louer les bâtiments, mais dans la fourchette basse des prix du marché. Et on va investir à hauteur de 1,3 million d’euros. Il va en falloir, des années de loyer, pour rentabiliser. »

Le Gouvernail, lui, fait profil bas. Son directeur (chargé du projet éducatif), Guilhem d’Abbadie d’Arrast, et son président (chargé de l’administratif et du financement), Jean-Jacques Becouze, tentent de dédramatiser la situation. « Nous sommes une petite école, une goutte d’eau, nous ne cherchons pas à faire de concurrence à l’Éducation nationale, insistent-ils. Nous voulons juste proposer une alternative aux enfants pour qui l’école publique ne convient pas. » Quant aux problèmes de financement public : « Je ne suis pas juriste, mais j’ai l’impression que ça relève de l’aide à la lutte contre le décrochage scolaire », estime le président. Il faut dire que ces 25 000 euros annuels ne sont pas anecdotiques pour eux : « C’est 8 % de notre budget annuel, qui est de 300 000 euros environ. »

Au-delà de l’exemple angevin, en creusant un peu, on découvre que le subventionnement public d’écoles hors contrat est devenu presque courant. Notamment pour le réseau Espérance banlieues : 350 000 euros de la part de la Région ­Auvergne-Rhône-Alpes de Laurent Wauquiez  ; 85 000 euros de la part de l’Île-de-France de Valérie Pécresse  ; quelques milliers d’euros de la part des préfectures des Yvelines, des Bouches-du-Rhône et du Maine-et-Loire  ; ou encore de la municipalité de Marseille ou de Mantes-la-Jolie. Sans oublier les jeunes en service civique, indemnisés par l’État, qui viennent prêter main-forte à ces établissements.

Et ce n’est pas le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui risque d’inverser la tendance. En 2016, alors qu’il n’était encore « que » directeur de l’Essec, il s’extasiait publiquement devant ces écoles Espérance banlieues, estimant qu’elles « correspondent aux types d’initiatives que nous devons prendre […], représentant ce qui réussit dans un système scolaire ». Le séparatisme  ?"

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