Revue de presse / Tribune

Daniel Lefeuvre : “Les langues régionales sont-elles vraiment menacées ?” (Le Figaro, 27 juin 08)

30 juin 2008

"Ce professeur d’histoire contemporaine (Paris-VIII) explique le statut des langues régionales dans l’Éducation nationale notamment dans la région où elles sont ou ont été en usage. Une situation qui ne justifie pas leur inscription dans la Constitution française à des fins conservatoires.

Les sénateurs viennent de repousser l’amendement voté le 22 mai à la quasi-unanimité à l’Assemblée nationale qui inscrit dans l’article Ier de la Constitution la protection des langues régionales au titre de patrimoine national. Ce rejet suscite l’ire des partisans de cet amendement, qui dénoncent le « jacobinisme » de la Haute Assemblée et son mépris pour la « diversité culturelle » de notre pays.

Quels sont les véritables enjeux de cet amendement ? S’agit-il, comme on veut nous le faire croire, de défendre un patrimoine culturel menacé ? Certainement pas.

Dans la filiation d’un arrêté vichyste du 12 décembre 1941, qui autorisait l’enseignement facultatif des « parlers locaux » dans les écoles primaires, puis de la loi Deixonne du 11 janvier 1951, de la circulaire Savary du 21 juin 1982 et de la loi du 10 juillet 1989, mise en œuvre par Lionel Jospin, une circulaire du ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou, en date du 7 avril 1995, inscrit la généralisation de la découverte de la langue et de la culture régionale au programme d’enseignement de chaque classe.

Depuis cette directive, l’occitan-langue d’oc, le breton, le basque, le créole, le catalan, le corse, le gallo, les langues régionales d’Alsace, les langues régionales des pays mosellans, les langues mélanésiennes (drehu, nengone, païci, aïje) et le tahitien bénéficient, dans la zone où ces langues sont ou ont été en usage, de la possibilité d’être enseignées à l’école, au collège et au lycée, dans le cadre des enseignements facultatifs ou obligatoires.

Au cours de l’année scolaire 2001-2002, 252 858 élèves, tous niveaux confondus, ont suivi un enseignement de ce type. Ils étaient 404 351 en 2007-2008, soit une hausse de 60 %. Ainsi, non seulement ces langues ne paraissent pas menacées, mais encore, contrairement à ce qu’on veut faire croire, la République a mis en place un dispositif d’enseignement leur donnant une vigueur nouvelle.

S’il faut s’inquiéter pour l’avenir des langues en péril, constitutives de notre patrimoine national, c’est bien l’enseignement du grec ancien et du latin qui devrait retenir l’attention des députés et des pouvoirs publics ! seulement 35 464 élèves (moins de 2 %) apprennent le grec et 83 530 le latin, et ces chiffres ne cessent, d’une année sur l’autre, de baisser. Qui pourrait, cependant, contester que ces deux langues et ces deux cultures constituent des socles historiques et patrimoniaux de notre identité nationale ?

L’autre langue, aujourd’hui menacée, c’est le français. Pas seulement dans le monde du fait de la prépondérance de l’anglo-américain. Mais en France même, où l’analphabétisme et l’illettrisme gagnent chaque jour du terrain. Comment lutter contre ces fléaux, facteur essentiel d’exclusion sociale, sans rendre au français une part prépondérante dans l’enseignement primaire et secondaire. Les réformes engagées par le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, vont dans ce sens. Mais il faut aller plus vite et plus loin : en 1976, un élève qui sortait du collège avait bénéficié, depuis sa rentrée au cours préparatoire, de 2 800 heures d’enseignement du français. En 2004, avec seulement 2 000 heures, il entrait au lycée avec la formation d’un élève de cinquième. Si la disparition des langues régionales n’est pas à l’ordre du jour, et personne ne le souhaite, pourquoi certains tiennent-ils tant à les inscrire dans l’article Ier de la Constitution ?

En réalité, derrière cet amendement, présenté de manière anodine, se cache un autre projet. C’est d’ailleurs ce que confirment certains parlementaires, favorables à l’amendement. Ainsi, pour Victorin Lunel, secrétaire national à l’outre-mer du PS, « après la reconnaissance des langues régionales dans le marbre de la loi fondamentale, le prochain combat doit être celui conduisant à une véritable politique de valorisation de celles-ci ». Pour François Bayrou, cette inscription constitue un « pas en avant important ».

Vers quoi ? La réponse est évidente : vers la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales et minoritaires adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992 et signée par le gouvernement Jospin, le 7 mai 1999. Or cette charte, au nom de la protection des langues, est porteuse d’une véritable contre-révolution : elle tend, ni plus ni moins, à réduire les citoyens, jusque-là individus libres et égaux, en éléments de groupes ethniques au sein d’une Europe des régions. Ce qui est en jeu, c’est donc, au-delà de l’alibi culturel évoqué, le maintien ou la disparition, à terme, de l’État-nation, incarnation de notre identité nationale."

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