Revue de presse

Comment le christianisme a "traité" la question de l’esclavage (Le Point, 10 sept. 21)

14 septembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Olivier Grenouilleau, Christianisme et esclavage, Gallimard, 544 p., 28,50 €.

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"[...] Un historien, comme un philosophe, se doit de dépasser les paradoxes. En l’occurrence, l’évidente incompatibilité d’une religion prônant l’amour du prochain et la dignité avec le sort réservé à ces êtres humains. Comment ont-ils pu ? s’exclame la vox populi. A contrario, la prépondérance du discours religieux, qu’il soit papal ou protestant, dans l’élaboration de l’idée abolitionniste à partir de la fin du XVIIIe siècle, pourrait inciter, hagiographiquement, à désigner le christianisme comme le Messie des esclaves. La complexité, la diversité sont le lot des grands historiens et Grenouilleau en est un, qui embrasse deux mille ans de christianisme, de réflexion théologique, d’histoire des idées et de l’esclavage proprement dit. Parce que rien n’est ni noir ni blanc, on peut commencer à apprendre.

Ainsi découvre-t-on que chez saint Paul, fondateur du corpus chrétien, si le motif de l’esclavage est très présent, c’est parce qu’on est d’abord esclave du péché et de Dieu : « La soumission, y compris à un maître injuste, appelle la grâce. » Ce dont il faut se libérer, c’est du péché, en étant esclave de Dieu. L’esclavage réel, qui prédominait dans la société d’alors, n’est pas le souci de saint Paul. Les souffrances terrestres importent peu tant que demeure l’espoir d’un salut : c’est la théorie des deux Royaumes. La situation évolue à partir de la fin du premier millénaire. En même temps que la réforme grégorienne établit et impose l’idée d’une chrétienté, l’Église fait passer le message que les chrétiens ne doivent pas réduire d’autres chrétiens en servitude – en servage, à la rigueur. De même ne doivent-ils pas tomber entre les mains de non-coreligionnaires, juifs ou musulmans. Car telle est la réalité qui terrifie les Européens de ces époques : selon Grenouilleau, entre 1520 et 1780, plus de 1 million de chrétiens auraient été razziés en Afrique du Nord par les « courses » des Barbaresques – soit davantage que d’Africains déportés aux Amériques sur la même période – de même que 2 millions de Polonais, Lituaniens, Moscovites, emmenés par les Tatars. Malgré quelques distinctions, ces « captifs », qu’on se démenait pour racheter corps comme âme s’ils étaient devenus renégats, relevaient bien de l’esclavage.

Mais quid du Nouveau Monde où les Indiens tombent massivement sous la coupe des Ibériques ? En 1537, dans sa bulle Sublimis Deus, qui ne fait guère plaisir à Charles Quint, le pape Paul III, qui rapporte l’esclavage à la dignité de l’espèce humaine, l’interdit explicitement, surtout si les Indiens sont évangélisés : devenu chrétien, l’indigène, ipso facto, ne peut être esclave. Dès 1462, Pie II avait dénoncé la traite comme « crime énorme » auprès de l’évêque de Guinée portugaise. Cela n’empêchera pas un certain nombre de papes d’avoir leurs propres esclaves. Mais cette abolition pour les Indiens va, par ricochet et compensation, favoriser la traite des Noirs africains. Là encore, l’Église, notamment espagnole, exprime son désaccord, ce qui explique en partie – il y a d’autres raisons pragmatiques et géopolitiques – que l’Espagne ait eu recours à l’asiento, système déléguant la traite aux autres pays, Portugal, Hollande, France. Au moment où l’expansion coloniale gagne la planète, la Réforme, dont les idées ont conquis deux nouveaux acteurs majeurs, la Hollande et la Grande-Bretagne, pressés de supplanter les pays catholiques, est indifférente à l’esclavagisme. Tout comme en France, qui se lance dans la traite surtout au XVIIIe siècle, le sujet ne prête pas à débat. Pourquoi ? Grenouilleau souligne que cet essor se déroule à un moment où les Églises et la papauté « sont fragilisées face à la montée des intérêts nationaux ». Nationalisation de la culture, domination de la raison d’État, mise au pas des clergés : on entre « dans la crise de la conscience européenne ». Dans un continent aussi fragmenté, la parole de l’Église devient inaudible auprès du pouvoir et des élites..

Pourtant, les abolitionnistes, entendus cette fois, proviendront majoritairement des rangs des Églises, en particulier des quakers. Mais l’époque, et le paradigme, ont changé. Leur discours porte car il coïncide avec la morale universelle qui condamne l’esclavage comme contraire au droit naturel. Les Lumières sont passées par là. « Ces deux morales participent d’une remoralisation du monde. » À la fin du XIXe siècle, le cardinal Lavigerie, depuis Alger, mènera encore une vigoureuse campagne contre l’esclavage en Afrique. Le fait est que depuis Jean-Paul II, l’Église n’a eu de cesse, notamment avec le discours de Gorée en 1992, de demander pardon pour les péchés passés et présents de ses fils, ce que les protestants n’ont jamais fait."

Lire "Le christianisme a-t-il encouragé l’esclavage ?"


Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Esclavage, Traite arabo-musulmane (note du CLR).


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