Contribution

Colloque annulé à Lyon 2 : l’islamisme et ceux qui le légitiment (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 4 octobre 2017

Le samedi 14 octobre 2017 devait se tenir au sein de l’université de Lyon II un colloque intitulé « Lutter contre l’islamophobie, un enjeu d’égalité ». Il a été annulé. Ce colloque était porté par un collectif d’associations et organisé par la Chaire « Égalité, inégalités, discriminations », en partenariat avec l’ISERL (Institut supérieur d’étude des religions et de la laïcité). Il conviait des associations comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), Etudiants musulmans de France (EMF), Participation et spiritualité musulmane (PSM). On connait l’orientation victimaire de celles-ci, qui font de « la lutte contre l’islamophobie » un cheval de Troie contre notre République laïque, accusée de racisme d’Etat, parce qu’elle ne laisse pas libre cours au communautarisme et à une conception de l’islam qui rejette toute adaptation à la modernité.

De nombreuses associations ont dénoncé cette opération, dont la Licra et le Comité Laïcité République qui, dans un appel commun [1], ont pointé du doigt « un meeting laïcophobe » et appelé à réagir « contre l’instrumentalisation politique de l’université. » Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques à l’Université de Versailles, cofondateur du Printemps républicain, a dénoncé « un colloque plein d’intervenants islamistes sous couvert académique ». L’essayiste Céline Pina, dans une tribune accordée au Figaro Vox [2], sous le titre « Jean-Louis Bianco et le drôle de colloque sur « l’islamophobie d’État », alertait vis-à-vis de « cette caution politique accordée à des organisations antirépublicaines ».

Une présidence de l’Université de Lyon II qui, à contrecourant, persiste et signe

Dans le communiqué de la présidence de l’Université [3] qui annonce l’annulation du colloque, loin de faire montre de prise de conscience au regard des dangers de cette initiative, elle la regrette. Après la justification de l’annulation, « les conditions n’étant pas réunies » selon elle, pour garantir « le bon déroulement des débats autour de la question de l’islamophobie et de ses enjeux politiques », elle apporte « tout son soutien à la Chaire Egalités, Inégalités et Discriminations, à l’Institut Supérieur d’Etude des Religions et de la Laïcité (ISERL) », ainsi qu’aux universitaires impliqués dans ce colloque. Elle remercie aussi « les nombreuses associations » avec lesquelles a été préparé l’événement « dans une perspective de co-construction des savoirs », et invite même à « prolonger la réflexion scientifique (...) sur la place de l’Islam dans la société. »

Il est question d’avoir donc empêché « des débats autour de la question de l’islamophobie et de ses enjeux politiques », une entreprise de « co-construction des savoirs » et tout simplement, un travail universitaire sur « la place de l’Islam dans la société. » Regardons de plus près ces affirmations qui tentent de nous égarer, en nous arrêtant sur le fond, les associations en cause, et certains intervenants.

La supercherie de « la lutte contre l’islamophobie » comme fonds de commerce

Cette initiative était censée poursuivre une première journée d’étude organisée en partenariat avec l’Institut supérieur d’Etude des religions et de la laïcité (ISERL) le 5 mars 2016, présentée sous le titre : « Islamophobie, le poids des mots, la réalité des maux ». Selon les organisateurs du colloque annulé, il s’agissait « de réfléchir à l’émergence des mots et de leur usage, qu’il s’agisse de l’islamophobie ou de l’antisémitisme. » L’objet de la journée étant « de mettre en évidence la réalité des discriminations face aux polémiques visant à délégitimer l’usage du mot "islamophobie" comme manière d’interdire toute critique de l’islam. »

On voit ici un renversement opportun de la charge contre le concept d’ « islamophobie », qui au contraire, vise à interdire toute critique de l’islam. Concept qui revient à identifier toute limitation de l’islam à un délit, et concourt ainsi au rétablissement du délit de blasphème. Le prétexte pris dans ce parallèle entre antisémitisme et islamophobie n’échappera à personne. On cherche à faire adopter par la justice la même valeur juridique au terme islamophobie qu’à celui d’antisémitisme, avec en toile de fond la référence à un passé colonial de la France que l’on agite comme un chiffon rouge, à défaut de pouvoir prouver des discriminations d’ampleur contre les musulmans ou un racisme d’Etat fantasmé qui n’est jamais très loin de ce genre d’argument. Il n’y a pas de hasard, à ce que l’un des temps du colloque s’intitule : « Peut-on parler d’islamophobie d’Etat ? »

Rappelons, si nécessaire, que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son dernier rapport de 2016 sur « la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie », montre un indice de tolérance des Français qui ne cesse dans ce domaine d’être meilleur, tout en soulignant ce que cela peut avoir d’exceptionnel dans une période marquée par des attentats [4].

« La lutte contre l’islamophobie » se présente comme participant à la lutte contre le racisme, alors que, bien au contraire, elle lui tourne le dos. La lutte contre le racisme a pour but des valeurs universelles comme la liberté, l’égalité des droits. Elle n’a rien à voir avec la volonté d’imposer les canons d’une religion au reste de la société, en bafouant au passage les autres convictions et croyances, et donc les droits et libertés individuels de tous. La lutte contre le racisme unit, favorise le mélange entre tous à les considérer d’abord comme des égaux, quand la « lutte contre l’islamophobie » divise, oppose, pousse à l’affrontement entre tous, en utilisant la sacralisation de la différence pour arriver à ses fins.

Des associations et des intervenants, pour faire à sens unique le procès de l’Etat républicain

CCIF, CR, EMF, PSM, autant d’associations toutes proches du Parti des indigènes de la République, qui ne cache pas sa haine de la France et de la République, de ses lois, et toutes aussi proches de l’influence des Frères musulmans. Y étaient invités à s’exprimer Abdelazziz Chaambi, ancien dirigeant des Indigènes de la République (Lyon), fondateur des éditions Tawhid qui publient la propagande Frères musulmans, accessoirement fiché S, Djamila Farah, responsable de la CRI (Coordination contre le racisme et l’islamophobie), militante contre la loi de 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école, pour le rétablissement du délit de blasphème et dont l’association s’affirme proche des frères Ramadan et de Hassan Iquioussen, le « prêcheur des cités ». Elle s’est présentée en France aux élections législatives sous l’étiquette du parti Egalité Justice du président Erdogan [5], parti qui réclame un moratoire sur la laïcité, l’interdiction du blasphème, le port du voile à l’école et veut lutter contre le « libertinage de la société française ». Lila Charef, co-directrice du CCIF, ne peut qu’être à l’aise dans ce décor, organisation qui ne cesse d’intenter des procès aux intellectuels qui osent critiquer publiquement les dérives de l’islam communautariste, milite pour l’abrogation de la laïcité à l’école et conteste de façon générale les lois laïques de la République.

On y retrouve l’universitaire François Burgat, proche de Tariq Ramadan, dont on connaît les positions antilaïques et le déni des responsabilités de l’islamisme dans le drame algérien face au FIS. Souhail Chichah, enseignant à Lyon 2, qui a participé à empêcher physiquement Caroline Fourest de tenir une conférence au sein de l’Université Libre de Bruxelles, université dans laquelle il était professeur [6] ! Ismahane Chouder, membre du parti islamiste marocain Adi Wal Ihsan, favorable à la non-mixité et au séparatisme, porte-parole de la « marche de la dignité » appelant à la « lutte des races ». Gilles Devers, avocat, qui à l’occasion a représenté la CRI, et a livré sa pensée dans un ouvrage, Droit et religion musulmane [7], où après avoir rejeté toute intervention de la puissance publique pour garantir le choix de changer de religion, ou d’en sortir, affirme : « Le droit est sans prise sur la foi » (!). Il y a aussi un certain Vincent Geisser, sociologue et chercheur au CNRS/Irenem à l’université d’Aix-Marseille, mais surtout militant islamo-gauchiste, aux côtés de Tariq Ramadan, et invité en grande pompe par l’Union des organisations islamiques à sa rencontre annuelle du Bourget (UOIF).

Une légitimation de l’initiative par des représentants de l’Etat et des personnalités diverses

Ce colloque a reçu à front renversé l’onction de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité qui avait fait parvenir un communiqué qui devait être lu lors de l’introduction de la matinée. Attaqué pour cela, notamment par la tribune de l’essayiste Céline Pina sur le Figaro Vox, il parle d’« Attaques mensongères et ridicules » et de cette dernière comme « visiblement en mal de notoriété », bottant en touche de façon peu gracieuse. Il se défend en expliquant « J’ai toujours condamné l’expression "Islamophobie d’Etat" (…) J’ai transmis une communication très claire sur "La République et la laïcité" ».

Comme sa contradictrice l’expliquait dans sa tribune : « Peu en importe la teneur, le mal est déjà fait, sa présence dans le programme légitime son contenu et transforme une ribambelle d’haineux en interlocuteurs des pouvoirs publics. » Elle ajoutait : « C’est d’autant plus impardonnable que l’homme est coutumier du fait. Sa vision extrêmement accommodante et purement juridique de la laïcité a provoqué la démission de l’Observatoire des républicains authentiques que sont Jean Glavany, Françoise Laborde et Patrick Kessel. » [8].

Il a également reçu l’approbation du Préfet, du maire de Lyon [9], des responsables universitaires, qui n’ont de toute évidence pas bien mesuré ou voulu voir l’étendue du désastre d’une telle manifestation. On comptait aussi parmi les intervenants David Friggieri, coordinateur à la Commission européenne chargé de « la lutte contre la haine antimusulmane », venant offrir à ce colloque une légitimité qui pour le moins détonnait… La représentante du Défenseur des Droits devait être aussi là, à contre-emploi ! On notera la très regrettable participation à cette journée de Jean-Michel Ducomte, ancien président de la Ligue de l’enseignement, qui souligne de la part du courant qu’il représente, un éloignement inquiétant avec la laïcité.

Une instrumentalisation politique de l’Université pour donner la parole à l’islamisme

N’a-t-on pas là bien des ingrédients susceptibles d’encourager une radicalisation déjà galopante (au moins 20 000 radicalisés aujourd’hui [10]), alors que le dernier rapport du Sénat à ce sujet [11] met en garde sur le fait que le communautarisme, que défendent précisément ces associations, soit le principal terreau de la radicalisation ? Cette initiative n’engage-t-elle pas une lourde responsabilité, dans un climat sur ce sujet très bien identifié par l’Institut Montaigne dans sa dernière étude à ce sujet, qui expose que près de 30 % des musulmans interrogés considèrent la charia comme au-dessus des lois de la République, et leur religion comme un instrument de révolte contre notre société ? [12]

Nous assistons ici à une dérive dangereuse au sein de l’Université, alors que ce type de manifestation tend à s’affirmer depuis qu’a eu lieu en 2014, à l’Université Paris VIII, "La journée internationale contre l’islamophobie". On se remémorera la tenue, au printemps dernier, à l’Espé de Créteil, de journées d’étude sous le titre « Penser l’intersectionnalité dans les recherches en éducation » [13]. On connait les dégâts de ce nouveau concept, « l’intersectionnalité », qui vise à créer l’agrégation de courants se réclamant de lutter contre toutes les formes de discriminations, pour servir essentiellement un discours porté par le thème récurrent de « la lutte contre l’islamophobie » (sic !) [14].

On s’empresse, dans un article paru sur Rue 89 [15] dont le contenu est repris dans un papier de Libération [16], de défendre dans un style à peine voilé Jean-Louis Bianco, mettant en avant les réactions de la faschosphère et laissant ainsi planer l’amalgame avec les défenseurs de la laïcité et de la République, au risque de les faire passer pour les « idiots utiles » de l’extrême droite. Sur le Bondy blog [17] on va même plus loin, en faisant sans vergogne l’amalgame, et en donnant la parole aux défenseurs de cette initiative avec laquelle ils sont en collusion. On se demande bien dans cette affaire qui sont les « idiots utiles » ? Ceux de l’islamisme, particulièrement, qui encouragent par ce type de méthode l’extrême droite dans son « hold-up » sur la laïcité.

Une République laïque fière de ses idéaux et des libertés qu’elle défend !

C’est la République laïque par ses idéaux qui a su dépasser les contradictions de l’histoire pour imposer l’égalité entre tous, indépendamment de l’origine, la couleur, la religion. Elle en a porté le principe au-dessus de nos convictions personnelles tout en les protégeant. Elle a ainsi créé les conditions d’un Etat impartial, qui regarde les membres de la société avant tout comme des citoyens, fondement du mélange des individus par-delà les différences et d’un vivre ensemble harmonieux. Un bien commun qui a été édifié historiquement souvent dans la douleur, et qu’il s’agit ici de défendre contre les prêcheurs de haine bien sûr, mais aussi en alertant vis-à-vis de ceux qui se rendent complices par leur démission de cette entreprise de démolition de nos plus belles valeurs, et des lois impartiales tout autant que protectrices, qui reposent sur elles.

[5Voir la rubrique La Turquie d’Erdogan en France (note du CLR).

[7Gilles Devers, Chems-eddine Hafiz, Droit et religion musulmane, Dalloz, pages 35, 36.

[9Voir Lyon (note du CLR).

[10Voir Djihadistes français et/ou en France (note du CLR).



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