Revue de presse

Chez les jeunes, la liberté d’expression "sacrément ébranlée" (M. Guerrin, lemonde.fr , 5 nov. 21)

Michel Guerrin, rédacteur en chef au "Monde". 7 novembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le monde culturel devrait se pencher sur l’avalanche d’études et de livres consacrés à la jeunesse depuis deux ans. Il n’apprendra rien sur ses goûts artistiques. Il ne trouvera pas de solution au fait que le public des théâtres, musées ou librairies vieillit. Mais en découvrant ses valeurs, il constatera, en creux, que la liberté d’expression, un socle de la création gagné de haute lutte durant Mai 68, est sacrément ébranlée. [...]

Crispation, fracture. Les titres des ouvrages dressent le portrait des 18-30 ans qui font sécession avec les jeunes d’avant et leurs aînés d’aujourd’hui. Ils sont eux-mêmes très divisés, mais se retrouvent autour de quelques traits : repli sur soi, convictions identitaires fortes, importance du religieux, refus d’offenser.

Pris dans leur ensemble, ces facteurs peuvent heurter indirectement le monde culturel dans sa philosophie. Car ils sont portés par deux catégories de jeunes que tout oppose et qui prennent la création en étau. D’un côté, les conservateurs et nationalistes – groupe propulsant Marine Le Pen en tête des intentions de vote des 18-35 ans – se sentent majoritaires et mettent en avant la tradition chrétienne d’une France une et éternelle, pouvant déceler dans la création des signes de décadence. De l’autre, les multiculturalistes, issus de minorités multiples, militent pour une France plurielle, dénoncent toute discrimination, disent la primauté de l’égalité sur la liberté et la fraternité. « Ensemble, ces deux jeunesses forment une majorité avec l’identité pour ciment », affirme Frédéric Dabi. Ce qui n’augure rien de bon pour le vivre-ensemble. [...]

Dans un pays où, selon Frédéric Dabi, pour la première fois depuis quarante ans une majorité de 18-30 ans dit croire en l’existence de Dieu, où un tiers des jeunes déclarent que leur religion s’impose aux lois de la République – une majorité pour les jeunes musulmans –, où la laïcité est souvent perçue comme le moyen de discriminer, les moqueries contre le fait religieux passent de plus en plus mal.

Les sociologues constatent que certains mots, qui échappent à une large majorité de Français, reviennent souvent dans la bouche d’une bonne partie de la jeunesse : « inclusion », « racisé », « genré », « non-binarité », « intersectionnalité », etc. Y compris, parfois, chez ceux qui se classent à droite. [...]

Le risque d’un tel mouvement est de voir se multiplier des œuvres polies par des minorités « sacralisées » pour des publics ciblés. [...]

Nombre de jeunes aujourd’hui [...] pensent surtout à s’indigner quand un artiste s’empare d’une culture autre que la sienne. Cette question de l’appropriation culturelle et son corollaire, la cancel culture, est surtout répandue aux Etats-Unis, mais elle gagne le langage de certains jeunes. [...]

Cette préoccupation provoque des crispations au sein même du camp multiculturel. Le dernier exemple est venu de la chanteuse pop Christine and the Queens, qui a changé plusieurs fois de nom, non sans lien avec son genre, qu’elle expose comme mouvant. Début octobre, elle a écrit sur son compte Twitter vouloir s’appeler Rahim, l’un des 99 noms d’Allah. Elle fut accusée sur les réseaux sociaux d’appropriation culturelle et de transracialisme – une Blanche ne peut adopter un nom arabe.

Se dessine ainsi une jeunesse française qui peut développer un discours « pro-business » décomplexé, se sentir à l’aise dans la mondialisation et consommer des produits culturels venus de tous les continents, mais, par ailleurs, se déclarer froissée dès qu’on touche à une conviction intime. [...]"

Lire « En découvrant les valeurs de la jeunesse, le monde culturel constatera, en creux, que la liberté d’expression est sacrément ébranlée ».



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