Revue de presse

"Cher(e) étudiant(e) de Sciences Po, aie le courage d’être une femme libre !" (D. Benhabib, huffingtonpost.fr , 26 av. 16)

Djemila Benhabib , journaliste et essayiste, Prix international de la laïcité 2012, auteur de "Après Charlie. Laïques de tous les pays, mobilisez-vous !" (H&O). 27 avril 2016

"[...] En mars 2002, dans l’incendie d’une école de filles de La Mecque, qui accueillait 800 élèves, la police religieuse a empêché des fillettes de fuir sous prétexte qu’elles n’étaient pas voilées comme l’exigeait la norme. Plusieurs témoins oculaires, y compris des membres des équipes de la sécurité civile, ont expliqué que leur travail de sauvetage avait été entravé par des membres de la police religieuse qui s’inquiétaient que des hommes pénètrent dans une école de filles ou que celles-ci en sortent non voilées, d’autant qu’aucun homme appartenant à leur famille n’était là pour les recueillir. En somme, allez plutôt crever les filles que de dévoiler quelques mèches de vos cheveux ! [...]

En Occident, ce voile est devenu le porte drapeau de tous ceux qui prônent la fusion entre l’islam et l’État. L’islam politique implique une rupture historique avec la République, et une réorientation sociétale majeure. Fragiliser le statut des femmes devient donc un impératif. Dans cette perspective, investir l’espace public par le voile est un enjeu majeur. Le pouvoir passe par la visibilité des "voilées". [...]

A l’évidence, cher étudiant de Sciences Po, tu souffres du syndrome de l’individu blasé par un trop-plein de privilèges et de liberté. Il est vrai qu’en cette matière tu n’as rien demandé. La liberté est venue à toi sur un plateau en or. Soit. Tu n’as jamais risqué un seul cheveu de ta tête pour te rendre dans une salle de classe. Toi, tu n’es pas une petite fille du Nigeria. Toi, tu affiches une réelle indifférence face au calvaire de Assiatou Enlevée par Boko Haram (Michel Lafon, 2016). Toi, tu n’es ni Katia Bengana ni Amel Zenoune, deux jeunes femmes assassinées à la fleur de l’âge pour leur refus de porter le voile dans l’Algérie des années quatre vingt-dix. Toi, tu hausses les épaules face aux résistances héroïques des femmes iraniennes et afghanes. Toi, tu n’as connu ni l’exil forcé, ni la persécution sourde et muette des longues nuits de terreur des enfants et des femmes yézidis. Toi, tu ne t’es jamais caché pour prier, comme sont condamnés à le faire des chrétiens d’Orient. Toi, tu n’as jamais eu à trembler dans un autobus de peur que ton identité soit reconnue. Toi, tu ne sais pas ce que signifie la révolte d’un Garcia Lorca. Toi, tu ne te sens solidaire ni du destin d’une Asia Bibi ni de celui d’un Raïf Badawi. Toi, tu as visité le ghetto de Varsovie comme si tu te rendais à un concert de rock. Toi, tu n’as strictement rien retenu de l’affaire Dreyfus. [...]

Certes, la République s’est montrée généreuse à ton égard. Mais que fais-tu pour défendre ses idéaux ? Flirter avec la théocratie ? Faire du pied à Daech ? Oui, je vais oser le dire et aller jusqu’au bout de mon raisonnement. Entre ceux qui s’enrôlent dans les milices de Daech et toi qui participes à normaliser ses symboles, il y a bel et bien un fil conducteur. A moins de considérer qu’entre l’idéologie, le politique et le militaire, nul lien n’existe. Tu devrais le savoir, toi qui consacres tes journées à étudier l’histoire des régimes politiques.

Avec cet événement du Hijab Day, tu contribues à banaliser le mal tel que défini par Hannah Arendt. Le pire, c’est lorsque tu renonces à exercer ta responsabilité première de citoyen d’une démocratie. Tu t’égares. Tu déshonores la pensée. Tu méprises la connaissance. Tu t’éloignes de la condition humaine. Tu trahis les philosophes des Lumières. Tu t’enfonces dans un exotisme servile. Pourtant, ta condition de privilégié parmi les privilégiés ne fait pas de toi un être non moins apte à saisir la complexité du monde dans lequel nous vivons. [...]"

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