Revue de presse

"Caroline De Haas, quand le féminisme devient un business" (lefigaro.fr , 9 juin 21)

13 juillet 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Tout en réclamant plus de moyens pour l’égalité hommes-femmes, la militante a créé son entreprise, Egae, qui dispense des formations de lutte contre les violences sexuelles. Un conflit d’intérêts qui ne semble pas gêner une activiste aux méthodes de « cancel culture », qui adopte les slogans de l’intersectionnalité.

Par Eugénie Bastié

« Mon nom c’est De Haas avec un grand D », précise-t-elle à tous les journalistes qui l’interrogent. Caroline De Haas ne voudrait pas être prise pour une aristocrate. En hollandais, son nom signifie « le lièvre », mais elle se situe plutôt de l’autre côté du fusil. « Carabine de chasse » : tel est le surnom qu’on lui donne dans les couloirs de Télérama depuis qu’en février 2019, elle a mené un audit interne qui a conduit au licenciement de deux journalistes.

« Comment je vais ? Je vais comme quelqu’un qui se serait fait faucher par un camion, de dos et dans le noir, sans avoir rien vu venir, alors qu’il marchait sur le trottoir… », confie l’un d’entre eux, Emmanuel Tellier. Son histoire se situe quelque part entre La Tache, de Philip Roth, et Le Procès, de Franz Kafka. Le 23 mai 2019, il a été licencié pour faute simple du magazine culturel où il était journaliste depuis dix-huit ans. En cause ? des « agissements sexistes ». « Il y a au moins présomption », justifiait Télérama pour sa défense aux prud’hommes. En réalité, il s’agit de griefs anciens, non datés, mélange de rumeurs et d’accusations sans preuve, démentis par Emmanuel Tellier. Deux ans plus tard, le tribunal a statué : « La véracité et la réalité des propos reconstitués des années plus tard ne reposent sur rien d’objectif ni de certain », ajoutant qu’il n’y avait pas « ne serait-ce qu’un commencement indirect de preuve », et condamnant Télérama à verser 90.000 euros à Emmanuel Tellier. « J’ai le sentiment d’avoir été pris dans un scénario rodé de fabrication d’un coupable idéal, d’avoir payé pour l’exemple », dit le journaliste, toujours au chômage après deux ans de dépression.

Présomption d’innocence

Ce licenciement abusif a eu lieu après un audit interne mis en œuvre par l’entreprise de Caroline De Haas, Egae, auprès de la rédaction. La militante féministe s’est impliquée dans une enquête menée à charge, contactant personnellement une personnalité extérieure à la rédaction de Télérama pour lui demander, à plusieurs reprises, de témoigner contre Emmanuel Tellier, alors que celle-ci n’avait rien à lui reprocher. Le tout dans une ambiance explosive suite au pseudo-scandale de la Ligue du LOL qui a abouti à une dizaine de licenciements de journalistes et plusieurs dépressions. Quand on demande à Caroline De Haas si elle ne s’interroge pas sur les conséquences dramatiques que peut avoir l’emballement médiatique qui a suivi ces révélations, elle élude le sujet :« J’ai moi-même été victime de membres de la ligue du LOL », nous dit-elle, renvoyant à un tweet, en effet odieux, de Baptiste Fluzin, membre éphémère de ce groupe Facebook. « Ce qui me fait réfléchir, c’est donc plutôt de comprendre comment des personnes peuvent menacer de viol une femme sur les réseaux sociaux en toute impunité. » Donc, Emmanuel Tellier mérite d’être puni même s’il est innocent parce que d’autres sont coupables ?

La présomption d’innocence n’est pas pour Caroline De Haas un principe sacré. En février 2018, elle fait le buzz avec une interview dans l’Obs titrée : « Un homme sur deux ou trois est un agresseur. » Un présumé gisement de « porcs » qu’elle sait exploiter. De la présomption de culpabilité, elle a même fait un business. Après avoir été secrétaire générale de l’Unef (de 2006 à 2009, c’est-à-dire durant la période où ont eu lieu de nombreuses agressions sexuelles au sein du syndicat), fondé l’association Osez le féminisme dont elle sera porte-parole jusqu’en juillet 2011, elle a été conseillère au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem en 2012. En 2013, un protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique est signé, qui débouche sur une charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations, qui prévoit à cet effet d’assurer « des actions de formation ou de sensibilisation adaptées ». Cela tombe bien car, la même année, Caroline De Haas crée le groupe Egae.

« Percuter l’illusion de l’égalité »

« Best endroit ever pour travailler », selon ses mots, son cabinet, qui emploie exclusivement des femmes, dispense des formations sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes aux entreprises ou collectivités. Elle vit des formations qu’elle délivre dans des administrations publiques dont elle critique pourtant quotidiennement l’immobilisme en matière de lutte contre ces violences : services du premier ministre, ministère de la Culture, préfectures (Hauts-de-France, Indre-et-Loire), Agence française de développement, etc. Six cent mille euros de chiffres d’affaires en 2019. Dans le sillage du mouvement #MeToo, elle décroche la formation de tous les salariés du groupe Le Monde en 2018. La directrice du Conservatoire de Paris, Émilie Delorme, proche des thèses indigénistes, qui affiche sa sympathie au mouvement Décoloniser les arts, a fait également appel à Caroline De Haas pour mener une formation auprès des professeurs de l’établissement. Or, d’après nos informations, les choses, là aussi, se seraient franchement mal passées, avec la mise en cause d’un professeur, tombé depuis en dépression.

Sa méthode ? « Partir des individu.e.s » (sic) et « percuter l’illusion de l’égalité ». Lors de ses formations, Caroline De Haas présente une pyramide des violences sexuelles entre lesquelles il y aurait un continuum : en haut, le viol, l’agression ; tout en bas, l’ « agissement sexiste » dont la définition est aussi large que floue. Ainsi, le sondage anonyme envoyé à l’ensemble de la rédaction de Télérama demandait : « Avez-vous été témoin ou victime de propos ou de comportements à connotation sexuelle » (blagues salaces, propos graveleux, ayant trait aux seins, aux fesses, à des rapports sexuels) ? » Emmanuel Tellier a ainsi été accusé d’avoir évoqué la vie amoureuse de sa grand-mère lors d’un déjeuner entre collègues.

Sa métaphore favorite est celle du code de la route. La lutte contre les violences sexuelles devrait être calquée sur celle contre les accidents de voiture. « On pourrait dupliquer ce qui se fait avec la Sécurité routière, en organisant des stages obligatoires au collège, à l’issue desquels seraient délivrées des attestations de non-violence », proposait-elle à Libération. Passons sur la pertinence de la comparaison, le problème est que De Haas veut la double casquette de représentante des victimes de la route et de responsable d’auto-école. Est-ce vraiment la même compétence ? N’y a-t-il pas conflit d’intérêts quand on réclame à longueur de tribunes des plans de formation et qu’on en dispense soi-même ? Interrogée, Caroline De Haas répond qu’elle n’en voit aucun.

Au Monde, la formation imposée aux salariés a fait grincer quelques dents. Certains cadres de la rédaction y sont allés en traînant des pieds. Quelques journalistes ont refusé. « Je me suis senti insulté, je ne suis ni une bête sauvage ni un enfant, je ne vais pas me faire rééduquer par quelqu’un qui a manifesté avec des imams intégristes à la manifestation contre l’islamophobie », témoigne l’un d’entre eux, qui souligne un clivage générationnel très fort au sein de la rédaction. Un autre cadre de la rédaction qui a « subi » la formation la décrit comme « déresponsabilisante » et « infantilisante », adoptant « un ton de culpabilisation générale ».

« Pourquoi fait-on appel à Caroline De Haas, alors même qu’elle est une figure contestée, très clivante, et sans autre expertise que celle qu’elle s’est s’auto-attribuée ? », se demande, amer, Emmanuel Tellier. C’est la question que nous avons posée à l’école HEC. Son directeur, Eloïc Peyrache, a annoncé dans une interview aux Échos, le 11 mai dernier, son choix de confier au cabinet de Caroline De Haas la formation de 100 % de ses étudiants aux violences sexuelles et sexistes. « Le cabinet Egae est apparu comme celui qui disposait des meilleures références, des connaissances les plus précises sur le plan juridique et de la meilleure méthodologie », explique la direction, assurant qu’une mise en concurrence a eu lieu pour l’appel d’offres. L’annonce a été rendue publique deux semaines seulement avant la sortie du livre du journaliste Iban Raïs, La Fabrique des élites déraille (Robert Laffont), une enquête sur le sexisme dans les grandes écoles où HEC est mise en cause. Egae lave plus blanc que blanc.

Vendeuse d’indulgences

« On achète le label De Haas pour être tranquille », commente le DRH d’un grand groupe français d’infrastructures en télécommunications qui assure avoir subi des pressions parce qu’il a mis fin au contrat de son entreprise avec Egae, dont il jugeait la qualité des formations insuffisante. Dénoncer les violences sexuelles, exiger la « formation » comme seule réponse à celle-ci, puis démarcher les entreprises et collectivités pour fournir ces formations : la mécanique est bien huilée. À l’heure où les grandes entreprises sont tétanisées par la « cancel culture », « le féminisme washing » tourne à plein régime. Caroline De Haas exerce avec talent le métier de vendeuse d’indulgences de la religion woke.

Son mouvement, Nous toutes, adopte tous les codes et les slogans de l’intersectionnalité : non-mixité, déconstruction de l’hétéropatriarcat, défense des trans et des « racisés » et… pratique de la « cancel culture ». Le 29 novembre 2017, alors qu’une réunion à l’Élysée est organisée pour promouvoir la lutte contre les violences sexuelles comme « grande cause du quinquennat », le chroniqueur à Charlie Hebdo Patrick Peloux vient témoigner sur les violences faites aux femmes telles qu’il les perçoit en tant qu’urgentiste à l’hôpital. Pendant qu’il lit son discours, nez collé à sa feuille, Caroline De Haas et une dizaine d’autres militantes présentes dans la salle se raclent la gorge ostensiblement pour couvrir par leur toux les propos du médecin, au motif obscur qu’il serait lui-même suspect de violences envers les femmes. Faire taire sur la foi de simples rumeurs, un concentré de la méthode De Haas. N’avait-elle pas déclaré au sujet des accusations portées contre l’ancien ministre de la Transition écologie Nicolas Hulot : « J’ai eu des amies qui m’ont dit qu’elles avaient entendu des victimes parler de faits, par exemple de harcèlement. »

Les méthodes de Caroline De Haas n’interrogent pas que ceux qui en sont victimes. Une partie du mouvement féministe lui-même s’exaspère du radicalisme d’une militante prête à tout pour exister. Marlène Schiappa ne cache pas son exaspération envers une adversaire dénuée de bonne foi, qui ne lui a jamais reconnu aucun mérite. « Elle veut être ministre à la place du ministre, analyse une responsable d’association féministe proche du gouvernement. Quoique n’importe qui fasse, elle sera contre. Elle se vit dans l’antagonisme. Sa démarche est politique et pas désintéressée. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, elle s’est radicalisée. » Pour le moment, la politique ne lui a pas porté chance : 0,29 % aux européennes de 2014 pour la liste Féministes pour une Europe solidaire, 13,6 % aux législatives de 2017, dans le 18e arrondissement de Paris. En attendant de meilleurs auspices, elle continue son business féministe."


Droit de réponse d’Emilie DELORME

"Dans son édition papier du 10 juin 2021, LE FIGARO publiait un article sous la plume de Madame Eugénie BASTIE intitulé « Caroline de Haas, quand le féminisme devient un business », article également accessible depuis le 9 juin sur le site internet du journal www.lefigaro.fr.

Au détour d’une enquête sur les engagements de Madame Caroline de Haas et de son association Egae, dans la lutte contre les violences sexuelles, cet article donnait à son auteur l’occasion de me décrire comme une « proche des thèses indigénistes, qui affiche sa sympathie au mouvement Décoloniser les arts ».

Ce faisant, cet article me prêtait des convictions qui ne reflètent en rien mes opinions.

Je conteste toute proximité avec le mouvement « Décoloniser les arts » et plus largement, toute accointance avec l’idéologie indigéniste.

D’ailleurs, ces accusations infondées ne sont aucunement représentées dans les projets que je mène pour l’institution."

Lire "Caroline De Haas, quand le féminisme devient un business".


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Caroline de Haas dans Féminisme dans Femmes-hommes (note du CLR).


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