Revue de presse

C. Fourest : "Les cibles apprennent" (Marianne, 9 juin 17)

Caroline Fourest, journaliste, essayiste, auteur de "Génie de la laïcité" (Grasset). 13 juin 2017

"Au milieu de la litanie des attentats qui s’enchaînent, de Paris à Londres en passant par Kaboul, nous apprenons. A mieux nous protéger et à dire moins de bêtises. Le « pas-d’amal-gamisme » et sa variante du « rien-à-voirisme » continuent de filer la migraine, mais les autruches déclinent, si profondément enterrées dans le sable qu’elles obstruent moins l’horizon.

Le Guardian, ce temple du multiculturalisme, s’enfonce lorsqu’il reproche à Theresa May d’oser mettre en question le modèle communautariste. Il est vrai qu’entre la droite du Brexit et la gauche Corbyn, complice de l’islamisme, les Anglais sont bel et bien coincés. Mais au moins le débat est enfin ouvert, loin des tabous asphyxiants ou des saillies antifrançaises de l’après 7 janvier.

Il n’y a pas si longtemps, les médias anglais et américains nous expliquaient que nous l’avions bien cherché, nous et notre modèle républicain laïque « islamophobe ». Après avoir mis Charlie à l’index pendant l’affaire des caricatures, les mêmes prédisaient que les Français seraient les premiers à sombrer dans le fascisme, à cause de cette obsession pour le « commun ».

Depuis, les Américains ont voté pour Trump et les Britanniques, pour le Brexit. Les attentats frappent Londres, comme partout ailleurs. On repense avec émotion à ce tweet du patron du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), l’ancien trader Marwan Muhammad, qui écrivait juste après l’attentat de Nice : « A Londres, beaucoup de personnes me demandent pourquoi ça arrive si souvent en France ? Franchement, c’est très dur de répondre à ça. »

Il a trouvé. Son organisation se répandait alors sur tous les plateaux anglais et américains pour maudire la laïcité française et la rendre responsable de cette violence fanatique. Depuis les attentats de Londres, cette propagande a moins de succès. Les médias anglais redécouvrent qu’il vaut mieux donner la parole à d’ex-musulmans ou à des musulmans laïques qu’à des leaders communautaristes capables - en un seul passage télé - de légitimer le fanatisme et de faire monter le racisme.

Nos analyses s’affinent. Il est désormais acquis qu’aucun modèle de société, pas plus le multiculturalisme que le républicanisme, ne protège du terrorisme. Tous les pays européens, quel que soit leur modèle de laïcité ou d’intégration, sont frappés. Les djihadistes nous haïront tant que nous ne serons pas comme eux, théocrates et djihadistes.

La seule réponse qui vaille ? Faire tomber Daech à l’extérieur et améliorer la coopération entre les différents services de renseignements à l’intérieur. Le débat est ailleurs. Il porte moins sur le terrorisme que sur le meilleur moyen de faire reculer l’intégrisme.

Cette fois, nous ne parlons pas d’une opération militaire, mais d’une bataille idéologique et culturelle, bien plus chirurgicale. Des recettes peuvent être échangées d’un pays à l’autre. Mais chacun doit trouver son chemin en fonction de son histoire, de sa laïcité, de son histoire coloniale, de son immigration (pakistanaise ou arabe) et de son rapport à l’Etat (républicain ou monarchique).

Une chose est sûre : tolérer la radicalité religieuse et les zones de non-droit ne résout rien. La confrontation républicaine et laïque, sans doute plus brutale, a au moins le mérite d’attaquer le mal à la racine. Il lui arrive de faire monter les tensions, mais, à long terme, ce modèle fabrique davantage de citoyenneté, de mélange, tout en permettant de résister à la désécularisation voulue par les intégristes.

Toutes les enquêtes le montrent. Les musulmans britanniques sont moins tolérants que les musulmans français : plus complotistes, plus sexistes, plus homophobes, plus racistes, et bien plus nombreux à vouloir appliquer la charia. Si des musulmans français trouvent certainement plus facilement un petit job en Angleterre, où personne ne les juge, ils y resteront plus longtemps des étrangers. La France est un pays où l’on s’engueule, notamment sur la laïcité, mais pour mieux se mélanger. On s’y dispute comme dans une famille, avant de se marier. Le taux de mariage interculturel y est plus élevé.

Pour le reste, ne commettons pas l’erreur de donner trop de leçons à notre tour. Chacun se débat comme il peut avec ce mal. Nos sociétés ouvertes ne sont pas responsables d’être devenues la proie d’individus fanatiques et fermés. C’est leur responsabilité."

Lire "Terrorisme : Les cibles apprennent".



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