Culture / Cinéma

Belmondo, c’était la France (Th. Martin)

par Thierry Martin. 9 septembre 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Les Français hébétés revoient les films avec Jean-Paul Belmondo et mesurent l’ampleur du désastre.

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« Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville allez-vous faire foutre ! » lui fait dire Jean-Luc Godard, le grand timonier de la nouvelle vague, dans A bout de souffle, en 1960. Michel – Jean-Paul Belmondo – rend son exemplaire du New-York Herald Tribune à Jane Seberg parce qu’il n’y a pas d’horoscope. « - C’est quoi l’horoscope ? - L’horoscope c’est l’avenir. J’ai envie de savoir, pas toi ? »

Désormais, les Français qui revoient, hébétés, les films avec Belmondo sont dans cet avenir. Comme la grenouille dans la casserole d’eau froide posée sur le réchaud qui découvre trop tard que l’eau se met à bouillir, les Français sont stupéfaits. Et si, après les funérailles de Johnny, la filmographie de Belmondo, qui fait l’effet d’un voyage dans le temps, permettait enfin ce grand sursaut. La grande catharsis. Hop ! Tous hors de la casserole. Ce ne serait pas la première fois que la France s’en sortirait in extremis. La présidentielle d’avril 2022 leur donne la main.

A l’époque de la « Nouvelle vague », le comédien formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique développe en parallèle une carrière en Italie, notamment avec le cinéaste néo-réaliste Victorio De Sicca. Contrairement à son ami et un temps rival Alain Delon, Belmondo “avait l’air de venir du peuple”, lui qui pourtant était né à Neuilly dans “une famille d’artistes bourgeois” (sa mère était artiste peintre et son père sculpteur) et qui avait fréquenté l’Ecole alsacienne.

Gouailleur et chaleureux, il passait partout et semblait plaire à tout le monde. La gueule souriante de Belmondo va remplacer la tête d’éternel jeune premier de Gérard Philipe. Mais c’est surtout son phrasé musical, ses intonations, qui font la différence. Et cette scansion bien à lui, comme s’il prenait les gens de haut, tempérée par un langage à la limite de l’argot mais toujours châtié, le tout lâché dans un sourire, lui donnait une classe que tout le monde rêvait d’imiter. « Personne ne parle comme lui » dit Philippe Durant, historien du cinéma. Il tirait les gens vers le haut, quand aujourd’hui les histrions télévisuels nous entrainent vers le bas.

Courageux, souriant, bagarreur, beau-parleur, cascadeur, aventurier, gentleman, redresseur de torts, mais avant tout, homme d’actions.

« Les seuls papiers qui m’intéressent, ce sont ceux de l’Imprimerie nationale »

Belmondo c’était la France, parce que la France c’était Belmondo. Belmondo à l’affiche était une invitation au voyage.

C’était la France urbi et orbi. La France parlait au monde, et le monde regardait la France.

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C’était avant que la France ne soit en train de se dissoudre dans cette Europe aux billets sans visage et sans monuments. « Les seuls papiers qui m’intéressent, ce sont ceux de l’Imprimerie nationale, avec la tronche de Blaise dans le coin » [Le Pascal, valait 500 francs] (Flic ou voyou, 1979). C’était avant les sans-papiers, le halal, le végane, les LGBTetc... et les histoires de changement climatique. C’était la France où l’on mangeait des steaks-frites, buvait des bières et offrait des tournées, en disant « C’est pour moi ». C’était la France des hommes, et celle des femmes qui aimaient se faire belles.

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Il y a une affiche d’un film de Belmondo dans tous les commissariats de France, dit-on. Et il n’y a pas eu besoin de circulaire pour que cela soit. Bébel a même été à l’origine de la vocation de nombreux flics de France. « Si il a eu une jeunesse agitée, je lui promets une vieillesse paisible… Pendant vingt ans… En centrale » (Le Marginal, 1983).
Bien sûr, le quotidien Le Monde, qui a toujours encouragé l’aveuglement des élites face à la montée de l’insécurité, pointe en se pinçant le nez l’idéologie sécuritaire des films des années 80.

Une compression de César, c’est quoi comparé aux sculptures de son père ?

Les professionnels de la profession ne l’ont guère salué, il leur rendra bien. Une compression de César, mais c’est quoi comparé aux sculptures que réalisait son père ? Pas politiquement correct le Bébel, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais toujours très digne et souriant, pas d’esclandre, pas un mot de trop, mais les choses étaient dites.

D’ailleurs il avait tenu à rectifier : « C’est marrant, tous les gens qui me balancent du Bébel long comme le bras, même que ça me colle à la peau (grimace), croient que c’est le diminutif de mon nom de famille. Erreur. C’est un vieux comédien et compère de galère de Saint-Germain-des-Prés, Hubert Deschamps, qui m’appelait ainsi, en souvenir de Pépel, le personnage des “Bas-Fonds” interprété par Gabin, notre idole de l’époque. »

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Belmondo, c’était la France d’avant l’Europe de Maastricht et du traité de Lisbonne, créant un espace qui a permis la délocalisation de notre industrie, bien plus dangereux que la mondialisation qui a toujours existé – la Route de la soie, vous connaissez ? - et permis la prospérité des nations. Désormais une bonne partie de ceux qui dirigent la France ou prétendent à sa direction, et ceux qui les soutiennent, ont tourné le dos à la France.

Mais de quoi parlons-nous ? De L’Itinéraire d’un enfant gâté par l’amour du public qui nous aura toujours étonné film après film.

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Du panache de Cartouche séduisant la jeune Claudia Cardinale au point de faire rougir le bombé juvénile de ses joues.

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Du prêtre Léon Morin qui aboutit par sa présence dans une ville de province, à la conversion d’une jeune veuve de guerre d’un juif communiste, mère d’une fillette, durant l’Occupation. Certaine de sa rhétorique, Emmanuelle Riva défie le prêtre sur le terrain de la religion, elle est pourtant déconcertée par les réponses qu’il lui donne. Peu à peu, elle perd pied. Chaque nouvelle rencontre avec ce prêtre la rapprochera de la conversion. Sa résistance cédera devant le travail de la grâce, merveilleusement montré par la réalisation de Jean-Pierre Melville en 1961. Autant dire que ça n’a pas plus à L’Humanité de l’époque. Peu importe, Jean-Paul Belmondo acceptera de donner son nom pour la présidence de la CGT du cinéma. Collaboration qui dura quelques années en dépit de son aversion pour le communisme.

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Les Tribulations d’un chinois en Chine traité à la manière d’un album de Tintin par Philippe de Broca, mais avec une dimension érotique quand Ursula Andress n’a que des sous-vêtements, une petite culotte et un soutien-gorge blancs, en guise de bikini. C’était avant que les films ne basculent dans la pornographie.

Le plus beau couple c’est celui qu’il incarne avec Jean Gabin

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Mais le plus beau couple, c’est celui qu’il incarne avec Jean Gabin dans Un Singe en hiver. Quelle prouesse pour Henri Verneuil d’avoir su en 1962, mettre en image et en son, le roman d’Antoine Blondin. « Une paella sans coquillage, c’est comme un gigot sans ail, un escroc sans rosette : quelque chose qui déplait à Dieu. »

Une France où chacun était encore à sa place : « Y’a des gens qui sont taulards de père en fils, comme y’en a qui sont pharmaciens. » Par un beau matin d’été, 1964. Dénoncé depuis par la thèse de Claude Thélot : Tel père, tel fils ? classique de la sociologie quantitative en France sorti en 1982. Au moins chacun avait une place. Aujourd’hui nous avons des surnuméraires, c’est bien plus grave.

Il faut bien un premier et un dernier, pour qu’un jour les premiers puissent être les derniers. L’essentiel est que chacun puisse vivre dignement. La liberté, la responsabilité, la décence, c’était ça la France, avant que les technocrates en fassent le terrain de jeu de leur soi-disant ingénierie sociale.

En écrivant ces lignes, je ne peux pas ne pas repenser à mon camarade de classe de l’école primaire Jules Ferry, Alain D., que j’ai revu par hasard vingt ans après dans un bar à Billy-Berclau (Pas-de-Calais). « Qu’est-ce que tu deviens ? – Moi, je sors de prison. » On boit, on se rappelle les bons moments. Jusqu’à ce qu’il me dise : « Le pire, c’était mon avocat, qui disait du mal de mes parents pour diminuer ma responsabilité. Ce que j’ai fait, je l’ai fait. Qu’il n’aille pas impliquer mes parents là-dedans ! » Alain a toujours été un mec formidable, même quand il n’en pouvait plus parce que je n’ai jamais su jouer au football.

C’est une joie et c’est une souffrance

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« C’est une joie et c’est une souffrance », cette phrase truffaldienne par excellence, que Louis Mahé - Belmondo - dit auprès de Catherine Deneuve – blonde innocente hitchcockienne qui l’empoisonne petit à petit – dans La Sirène du Mississipi, pourrait résumer le sentiment commun que nous avons à le revoir, à revoir ses films.

« J’ai un gros chagrin comme sa chienne Chipie qui fut sa dernière et si fidèle compagne. Je pense à lui, je l’aimais. Il me manque et je n’ai plus envie d’en parler, les grandes douleurs sont muettes », écrit Brigitte Bardot dans un communiqué transmis à l’AFP par sa fondation.

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Les deux comédiens n’ont partagé que l’affiche d’un obscur film de Michel Boisrond, Les Amours célèbres (1961). Mais, ils étaient, au fil des années, devenus proches. Bon sang, mais c’est bien sûr ! BB et Bébel ont en commun la même façon de parler, la même diction. Une époque où les artistes étaient admirables. On parlait d’étoiles. C’était avant le déclin de la beauté.

C’est en l’église de Saint-Germain-Des-Prés, l’église de son quartier dans le 6e arrondissement de Paris, qu’il sera applaudi pour la dernière fois, comme c’est la coutume pour les artistes.

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Je viens de revoir Le Magnifique sur C8 [lundi 6 septembre 2021]. La conclusion, c’est que vivre c’est mieux qu’écrire, et qu’il vaut mieux embrasser Christine – Jacqueline Bisset –, l’étudiante en sociologie avec sa mini-jupe en jean, en étant tout simplement François Merlin – Jean-Paul Belmondo – , que de s’imaginer en Bob Saint-Clar dans les bras de la belle Tatiana.

Thierry Martin



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