Revue de presse

B. Sansal : "Il faut combattre l’islamisme dans toutes ses dimensions" (lefigaro.fr/vox , 29 mai 17)

Boualem Sansal, écrivain, auteur de "2084, la fin du monde" (Gallimard). 8 juin 2017

"On se demandait si l’islamisme était affaibli par ses déboires avec Daech, voilà la réponse. L’islamisme gagne à tous les coups. L’échec de Daech n’est pas le sien. Il est celui d’un homme, Baghdadi : un autre, plus dur, mieux inspiré par Allah, lui succédera.

L’islamisme se fiche de ses échecs comme de ses victoires. Ce qu’il voit, c’est que partout dans le monde il s’impose sur nos reculs, nos lâchetés, notre ignorance, nos incompétences, notre distraction, en se présentant à nous selon le cas avec le visage transparent de la démocratie, le visage benoît de l’islam, celui souriant de l’islamisme modéré, renfrogné de l’islamisme radical, joyeux de l’islamisme coopératif. Aujourd’hui on pleure Manchester et demain on fera des concessions aux prédicateurs masqués qui viendront nous présenter leurs condoléances.

Plusieurs de vos ouvrages décrivent la volonté de conquête de l’islam politique en France et en Europe. Avez-vous l’impression d’une prise de conscience collective ?

La France et l’Europe sont dans une situation qui se complique horriblement de mois en mois. Trois phénomènes plus ou moins liés sont à l’oeuvre. Le premier est l’islamisme, ou l’islam politique, qui a un volet radical et un volet modéré. Il est clairement dans une démarche de conquête, non pas des États contre lesquels il ne peut rien, mais des territoires : des quartiers devenant terres de charia dès lors que leur population est majoritairement musulmane, des places dans l’administration et la politique, des instruments symboliques visibles (signes religieux, label hallal, utilisation de l’arabe au détriment du français). Il suffit de voir l’évolution de carrière des responsables de ce courant (l’UOIF par exemple) et de leur patrimoine pour mesurer combien la conquête est rentable.

Le deuxième est l’islamisme djihadiste, qui a pour vocation de « punir ». Les raisons de cette rage contre la France sont abondamment explicitées dans la littérature djihadiste. La conquête n’est pas vraiment son but, mais la destruction d’une civilisation honnie et l’implantation de têtes de pont.

Le troisième est l’expansion sans bruit ni fumée de l’islam. C’est le moins connu des phénomènes. Il est puissamment soutenu par les pays musulmans et les grandes organisations islamiques (OCI, LMI). Le but est l’enracinement de l’islam sunnite en Europe. Le résultat est remarquable : l’islam progresse dans tous ses segments, plus vite qu’il ne le fait dans les pays arabes, où l’islamisme dominant empêche son déploiement, ou en Afrique noire et en Amérique, où les évangélistes font barrage.

En France, la prise de conscience dûment étayée n’existe qu’au sein des services de sécurité et des spécialistes, mais, à ce que l’on sait, ils n’arrivent pas à convaincre le pouvoir politique de la nécessité de prendre le problème en charge dans toutes ses dimensions. Macron a montré au cours de la campagne présidentielle qu’il ne connaissait pas le problème numéro un de la France. Au Mali, il a fait quelques déclarations qui montrent qu’il a été bien briefé. Il ne reste qu’à le convaincre que le problème est le même en France et on évitera un « quinquennat pour rien ».

Au sein de la population, on est toujours au premier stade, celui de la peur. On ne lui parle que du terrorisme et seulement au moment des attentats. On craint les dérapages et autres amalgames.

L’État islamique est en passe d’être vaincu. N’est-ce pas la preuve que l’islamisme radical est en recul ?

On peut le penser mais la réalité est autre : les talibans ont été chassés de Kaboul, les GIA ont été éradiqués, l’association des Frères musulmans a été dissoute, al-Qaida bat de l’aile, en quoi cela a-t-il affaibli l’islamisme ? Il renaît de ses cendres dans le champ voisin, voilà tout.

La fin de l’EI, c’est aussi la dissémination de la terreur. Les islamistes aiment bien changer de monture et repartir à l’assaut avec de nouvelles structures sur lesquelles l’ennemi ne sait rien. Restons sur l’idée que l’islamisme est invincible et que la mort des siens le renforce.

Certains y voient la nouvelle discrimination de notre temps, d’autres un « un racisme imaginaire » (Pascal Bruckner)… Que vous inspire la notion d’islamophobie ?

L’islamophobie vient de quelque part, de la peur de l’islam rétrograde et intolérant qui se diffuse dans la société. Elle se développe en France comme dans les pays musulmans où ceux qui ne sont pas dans la doxa islamiste vivent la terreur au quotidien. Combattre l’islamophobie ne passe pas par la dénonciation de l’islamophobie, qui est une réaction instinctive, mais par la victoire sur l’islamisme et le communautarisme, et par la pacification de l’islam dans le cadre des lois de la République.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que les sociétés multiculturelles comme le Canada sont le meilleur moyen de contenir les poussées radicales de l’islam ?

Le multiculturalisme est la panacée, il guérirait tout. Pour les islamistes, c’est une insulte à l’islam : rien ne saurait lui être égal, rien ne doit venir polluer son environnement. C’est ainsi que dans les pays arabes et dans maints quartiers en France on a si bien fait qu’il ne reste pas un chrétien vaillant, pas l’ombre d’un juif, pas un présumé homosexuel, pas un artiste, pas un librepenseur, pas une femme en pantalon.

J’espère que le gouvernement du Canada peut comprendre ceci : même en Arabie où règne l’islam le plus fermé, fleurissent des poussées radicales. La répression au sabre n’y faisant rien, les autorités donnent beaucoup d’argent aux ultras pour qu’ils aillent purifier l’islam ailleurs, chez Daech, en Europe (l’Eldorado pour les fous d’Allah) et, pourquoi pas, au Canada un jour.

Une récente étude de l’Institut Montaigne décrit l’attraction qu’exerce la loi coranique pour les jeunes Français musulmans. Comment expliquer ce retour du religieux ?

Le problème n’est pas tant le retour du religieux, c’est un mouvement de balancier vieux comme les religions. Les jeunes sont volontiers moutonniers. Dans l’univers gris des banlieues, l’islam leur conte une histoire lumineuse et leur offre pouvoir, martyre et paradis sans contrepartie.

C’est excitant en diable. En tout cas, ça ne coûte rien d’essayer.

Le problème est la conjonction des trois phénomènes que j’ai essayé de décrire plus haut. Ces jeunes peuvent devenir la proie des prédicateurs de la guerre sainte qui savent enclencher sur ces esprits faibles une chaîne de soumission qui fait passer l’impétrant naïf de l’islam à l’islamisme, de l’islamisme au djihadisme et du djihadisme au crime de masse."

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