Revue de presse

"Alsace-Moselle, les bigots de la République" (Charlie Hebdo hors-série, sept.-oct. 13)

8 octobre 2013

"La République est laïque, une et indivisible, tout le monde sait cela. Et pourtant il existe des contrées françaises, en Alsace-Moselle et en outre-mer, où le principe de laïcité est allègrement piétiné.

L’Alsace-Moselle appartient aujourd’hui à la France, nul ne le contestera. Cependant, le blasphème y est puni par la loi, l’enseignement religieux obligatoire et les prêtres, pasteurs et rabbins payés par l’État.
L’Alsace-Moselle, c’est en fait trois départements : le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle. Petit rappel historique. En 1801, Napoléon Bonaparte signe un accord avec le pape Pie VII : c’est le Concordat, un texte — valable dans toute la France — qui confère certains avantages aux cultes catholique, juif et protestant. En 1905, la France vote la loi de séparation des Églises et de l’État. Mais l’Alsace- Moselle y échappe… car elle est allemande cette année-là, ayant été annexée par Bismarck après la défaite de la guerre de 1870. Lorsque l’Alsace-Moselle est revenue à la France, en 1919, il eût été logique de remettre les pendules à l’heure laïque. Sauf que ça ne s’est pas fait… Et que cela dure encore.

Si la laïcité n’est jamais arrivée dans ces lointaines contrées de l’est, c’est qu’aucun homme politique n’a jamais eu les couilles de se mettre la population locale à dos. Parce qu’ils y tiennent, les Alsaciens et les Mosellans, à leur Concordat. Il faut dire qu’en plus des lois religieuses il existe toute une législation, qu’on appelle le « droit local », un micmac de dispositions héritées de l’histoire chaotique de la région… et dans lequel la population voit de nombreux « avantages » : autorisations de chasse, meilleur taux de remboursement de la Sécurité sociale, ce genre de choses… C’est là tout le problème, comme l’explique Michel Seelig, président du cercle Jean-Macé, de Metz : « Les gens sont persuadés que, si l’on touche à un seul morceau du droit local, ils perdront leurs propres avantages dans tous les domaines. Alors qu’on peut juste appliquer la laïcité sans que cela remette tout en question. »

Le Concordat n’est pas qu’un crachat symbolique à la face de la République. Il représente des emmerdements bien concrets. D’abord pour les gosses, qui doivent suivre un enseignement religieux : ils peuvent demander une dispense, mais ça sera toujours une heure de cours en moins pour ingurgiter le même programme. Sans compter la pression psychologique, qui n’est pas anodine, comme en atteste cette hallucinante directive distribuée en 2012 par le recteur de Strasbourg aux chefs d’établissement de l’Académie : « Il n’y a pas lieu d’encourager les demandes de dispenses de l’enseignement religieux ; à l’inverse, toute action visant à faire connaître les programmes de cet enseignement doit être encouragée. »

Un autre point important du Concordat, c’est le délit de blasphème, théoriquement puni « d’un emprisonnement de trois ans ». Il est, certes, peu utilisé, mais il ressort régulièrement. En 1997, il avait servi à faire condamner à des peines d’amende des militants d’Act Up qui avaient fait un happening dans la cathédrale de Strasbourg. En 2012, il avait été brandi par une association catholique qui voulait interdire la représentation de la pièce de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu. Et le directeur de l’Institut du droit local de Strasbourg avait même envisagé la possibilité de l’utiliser contre Charlie Hebdo à propos des caricatures de Mahomet !

Enfin, le Concordat d’Alsace-Moselle coûte cher au contribuable. Il n’y a jamais eu d’estimation globale, mais rien que pour les salaires des religieux, il faut compter soixante millions d’euros par an. Une somme payée, rappelons-le, par l’État, donc par l’ensemble des Français. Il faut aussi ajouter le coût de l’enseignement religieux et de l’entretien des bâtiments religieux par les collectivités locales.

Malgré ça, toutes les personnalités politiques ferment leur gueule. Ne parlons pas des députés de droite, pour qui la simple idée d’abolir le Concordat relèverait du blasphème. En 2006, le député de Moselle François Grosdidier proposait même de l’étendre à l’islam, c’est dire. Quant aux élus socialistes, ils évitent soigneusement le sujet. Et si François Hollande évoquait l’inscription de la laïcité dans la Constitution (proposition n°46), il ne parlait assurément pas de l’Alsace-Moselle. La seule personnalité à avoir eu le courage de rompre le tabou, c’est Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait par exemple, dans son discours de la Bastille : « Nous abrogerons le Concordat dans toutes les terres françaises » (abrogation reprise dans la proposition de loi-cadre sur la laïcité déposée par le Parti de gauche en 2011 au Sénat).

À part ça, les militants de la laïcité en Alsace-Moselle sont bien seuls. En février dernier, l’Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité (APPEL) était déboutée par le Conseil constitutionnel, à qui elle avait demandé l’abolition du Concordat. L’an passé, le Collectif [laÏque] envoyait une lettre à tous les députés et sénateurs pour demander l’application de la Laïcité en Alsace-Moselle : seuls trois élus ont répondu. Mais les militants de la laïcité ne baissent pas les bras et continuent à chercher la moindre faille. Vu que le Concordat ne s’applique qu’aux cultes catholique, protestant et juif, Michel Seelig y voit une stratégie possible : « C’est discriminatoire à l’égard des autres cultes, et cela pourrait conduire à une condamnation de la France par une juridiction européenne. » Vu qu’il n’est pas possible d’étendre le Concordat aux autres religions (dixit le Conseil constitutionnel), la seule solution serait de l’abolir pour mettre un terme à la discrimination. La démarche est astucieuse, mais d’ici à ce qu’elle aboutisse, il y a de la marge. [...]"



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