Revue de presse

Absence de mixité, prières… Un club sportif aux pratiques troublantes (leparisien.fr , 28 sept. 20)

28 septembre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pendant plusieurs mois, notre journaliste a participé aux entraînements de ju-jitsu brésilien, à Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne), dans un club surveillé par les services de renseignements pour des soupçons de communautarisme. Il raconte.

Par Quentin Fouquereau

[...] Dans les vestiaires j’ai remarqué que tout le monde se douchait en caleçon. Mais, en me rhabillant, je suis nu l’espace de quelques secondes, le temps d’enfiler mon caleçon. Mon geste anodin n’est pas passé inaperçu puisque le lendemain, sur le groupe WhatsApp des licenciés, Abdallah effectue un rappel : « Le vestiaire est pour l’ensemble des adhérents adultes, ados et kids (NDLR : enfants en anglais). Comme il y a beaucoup de nouveaux cette année, il est bien de rappeler une règle : nous demandons aux adultes de se doucher en caleçon et d’utiliser une serviette pour se changer. »

La nudité est donc interdite, totalement. Mais pour des raisons a priori extérieures à la religion. « Souvent, ils ne le disent pas ouvertement, c’est amené subtilement, ils sont prudents », analyse un policier spécialisé dans la radicalisation. « Pour lutter contre les violences sexuelles nous donnons la consigne de ne pas mélanger les mineurs et les majeurs, mais pas d’interdire la nudité », précise-t-on dans l’entourage de la ministre des Sports.

Discret, je m’attends à ce que certains combattants viennent me parler, mais durant les six premières semaines, peu le font en dehors de la pratique du ju-jitsu, même si les échanges sont cordiaux. Après les vacances d’hiver et alors que je suis toujours assidu, les langues commencent à se délier. Dans le couloir menant au tatami, un groupe discute. Un coéquipier, âgé de 17 ans me regarde :
« Viens avec nous, ne reste pas de côté. »
« Je ne voulais pas déranger. »
« Tant que t’es pas juif, t’es le bienvenu ».

Il rigole. Je souris également et je m’intègre à leur discussion. Les quelques jeunes qui s’entraînent avec les adultes sont les rares à tenir des propos antisémites. Les plus âgés, jamais. En revanche, tout le monde entend et personne ne les reprend. « C’est un cercle vicieux, le communautarisme appelle le communautarisme et ceux qui en font trop ne seront pas repris au contraire de ceux qui n’en font pas assez », estime ce même policier spécialisé.

D’ailleurs, quelques semaines plus tard, un jeune oublie son sac dans le vestiaire. Je le lui fais remarquer. « T’inquiète, ça ne risque rien, il n’y a aucun fils de p… de juif ici », me répond-il de manière anodine, sans animosité. Ces phrases de vestiaires, condamnables juridiquement, ont été lâchées chaque fois alors qu’Abdallah n’était pas à proximité.

« Même si le club n’est pas responsable de tout ce que disent ses adhérents, le problème c’est que le groupe d’adultes ne régule pas les comportements déviants, souligne un éducateur sportif ayant déjà été confronté à cette problématique. Par ailleurs, il semble y avoir un manque clair d’encadrement de la part du bureau associatif. »

Je n’ai jamais vu de fille au club. Alors que je sais qu’une autre association de ju-jitsu comptant plusieurs femmes existe aussi dans la ville. Je pose la question à deux pratiquants. « Je ne me vois pas faire du corps à corps avec une femme », lâche l’un. « Les femmes n’ont rien à faire avec nous, on est dans la compétition ici », martèle l’autre. Je tente donc de voir si une inscription est possible pour une femme.

Un mercredi soir, une amie arrive en début de séance. Elle est noire et a longtemps pratiqué le karaté. Elle demande si elle peut s’inscrire. « Non, nous ne prenons plus de licenciés en cours d’année », s’excuse le coach. Pourtant, deux semaines plus tard, un homme, certes déjà expérimenté en ju-jitsu, est, lui, accepté.

Lors de leurs discussions dans le vestiaire, les jeunes sont sans filtre. « Tu vois Ahmed ? la dernière fois, je l’ai vu faire la bise à une meuf, il est maudit. » « Lui, il va aller direct dans les cercles de l’enfer », lui répond un autre qui enfile son kimono. « Moi je ne checke (NDLR : taper dans la main) même pas une meuf pour lui dire bonjour », reprend le premier. Là encore, les propos ne choquent personne. Néanmoins, au sortir du confinement, une femme est venue accompagner à deux reprises notre groupe lors d’un footing.

La religiosité n’a pas empiété jusque sur le tatami. Elle est en revanche omniprésente dans le groupe WhatsApp du club. Quasiment un message sur deux inclut un mot en relation avec Allah. Parfois, certains parlent de la situation dans les émirats. Une fois, une vidéo en arabe, violente, pro-palestinienne, est envoyée par un adhérent. Cette fois, rapidement supprimée par son auteur. Sans que je sache si c’est de sa propre initiative, à la demande d’un membre, ou d’un dirigeant.

Lors d’un événement tragique au club, le mentor sportif poste ce message à l’attention des licenciés : « Chers tous ! J’attire votre attention, car comme vous le savez, nous sommes un club ayant des liens et des sentiments les uns vis-à-vis des autres. Aujourd’hui, notre frère Abdelaziz est dans une grande épreuve qui peut que nous toucher, car sa maman est en réanimation. Le frère nous demande à tous s’il vous plaît d’invoquer et de prier pour sa maman. Qu’Allah l’Immense, Seigneur du Trône immense la guérisse ! Qu’Allah la protège et la soulage de tout mal et douleur ! Qu’Allah le soulage de cette épreuve en le remplissant de patience. »

Abdallah fait le lien entre tous les licenciés. Pendant le confinement, il a régulièrement pris des nouvelles des adhérents, organisé des séances par vidéo, permettant de ne pas rester trop isolés. « C’est ce qui permet aussi de prendre de l’emprise », juge le policier spécialisé. « Mais cela rapproche et empêche un jeune isolé de basculer aussi peut-être », décrypte pour sa part un éducateur sportif.

Figure éducative d’Imana JJB, Adballah recadre parfois certains jeunes. L’un d’eux qui a gagné une compétition croit récolter des félicitations. Mais sans quitter son sourire derrière sa grande barbe bien taillée, le coach est cinglant. « Quand on gagne, comme quand on perd, on sait se tenir et respecter les autres, danser quand on monte sur un podium ça n’est pas acceptable. » Un référent en termes d’éducation qui ne parle pas religion lors des cours.

En revanche, une fois, arrivé un peu plus tôt que d’habitude, j’entre dans le vestiaire. Il est encore occupé par les enfants du club qui se changent. Et au milieu de la pièce, Adballah est sur son tapis, en train de prier. D’autres salles sont pourtant vides. « Il n’y a pas forcément de malveillance, mais une mairie ne donne pas de créneaux dans un gymnase pour que cela devienne un lieu de prière, fustige un éducateur sportif pourtant très nuancé et spécialisé dans les questions de laïcité. Ce n’est pas un lieu de culte. Au sport, les signes religieux ne dérangent pas. Les comportements religieux, qui impactent le fonctionnement, si. »

« Les situations exposées ici font écho à des observations réalisées dans d’autres clubs et plus particulièrement dans la permissivité religieuse au sein de ces structures associatives, note Médéric Chapitaux, ex-gendarme et doctorant en sociologie qui organise des formations à la laïcité. D’un côté, dans les écoles, la neutralité religieuse est imposée et pour le sport de ville, tout est flou. Pourtant, le principe de neutralité religieuse est un préalable nécessaire si nous considérons que le sport est un outil d’éducation de la jeunesse. Quelles sont les intentions de l’éducateur auprès des jeunes lorsqu’il prie ? »

Contacté, Abdallah estime que ces allégations « c’est de la diffamation ». « On est là pour le sport, et quand nous accuse de tenir des prières organisées, je trouve qu’organisées c’est un bien grand mot. Et des femmes il y en a eu au club depuis onze ans. Elles sont parties, c’est comme ça. »

Imana JJB est une structure comptant une centaine d’adhérents. Créée en 2009, elle a bénéficié de l’agrément préfectoral. « Elle ne devrait donc pas avoir le droit de refuser un licencié, homme ou femme, tant qu’il y a de la place pour s’entraîner », lâche un éducateur sportif d’un autre club.

De plus, les deux structures accueillant les entraînements trois soirs par semaine sont alloués par la mairie. « Oui, nous donnons une aide au club, les subventions ne sont pas élevées », avance Marie-Line Pichery, la maire (PS) de Savigny-le-Temple.

L’édile de la commune est stupéfaite lorsqu’elle est mise au courant des quelques anecdotes qui ont été observées. « Nous demandons toujours aux responsables associatifs de faire la différence entre sphère privée et sphère publique, avance-t-elle. Nous avons aussi mené un travail important sur la laïcité. Mais il y a 250 associations sur la ville, on ne peut pas savoir ce qu’il se passe partout. Nous n’étions donc au courant de rien. C’est pour ça que je ne parlerai pas davantage de cette association, cela demande à être confirmé. »

La municipalité rappelle qu’elle s’est engagée contre la radicalisation au travers de formations dispensées dans les écoles notamment. « Mais l’Etat a sa part de responsabilité en faisant reculer le service public et en abandonnant certains quartiers, dans de nombreuses villes de grande banlieue comme la nôtre », martèle Marie-Line Pichery."

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Voir aussi les rubriques Sport amateur dans Sport dans Discriminations, Mixité dans Femmes-hommes (note du CLR).


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