Revue de presse

A. Colosimo : « La liberté d’expression a régressé au pays de Voltaire » (Le Figaro, 7 jan. 20)

Anastasia Colosimo, auteur de "Les Bûchers de la liberté" (Stock). 19 mars 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[…] La marche du 11 janvier 2015, tout comme les centaines de manifestations improvisées un peu partout en France, répondait à la nécessité d’un moment de communion afin d’exorciser le choc barbare des attentats. C’était également une manière de réaffirmer le caractère insécable de l’esprit français, dont l’irrévérence, particulièrement à l’égard du fait religieux, est une composante essentielle.

Or, depuis plusieurs décennies, cette irréductibilité culturelle avait été mise en cause par le législateur, notamment avec la loi Pleven de 1972. En autorisant des associations à porter plainte au nom de groupes pour provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une race, une ethnie, une nation, mais aussi à une religion, cette disposition a eu pour effet paradoxal de réintroduire le blasphème sans le nommer. L’intention était peut-être bienveillante, le résultat s’est révélé désastreux. C’est cette loi qui a servi, en 2007, de fondement au procès intenté par des organisations musulmanes contre Charlie Hebdo. Même si elle s’est soldée par une victoire juridique de l’hebdomadaire satirique, l’affaire a marqué un tournant communautariste dans la société française, une fissure dans l’édifice républicain et une tribalisation de l’espace public qui, depuis, n’ont cessé de s’amplifier. Nous sommes entrés dans l’ère des minorités. […]

Qu’avez-vous pensé de la « marche contre l’islamophobie » du 10 novembre 2019 où une partie de la gauche a défilé aux côtés de militants islamistes ?

Cette marche contre l’islamophobie a été en réalité une marche pour le communautarisme. Il n’y a pas lieu d’anathématiser le modèle communautaire, car, ailleurs, il a pu s’avérer politiquement efficace et garantir la stabilité - sinon impossible - de l’ordre social. La question est plutôt de ne pas céder à l’amnésie ou à la naïveté, de nous souvenir pourquoi nous, Français, n’avons pas voulu de ce système et de mesurer si nous sommes en capacité de l’adopter. Or la France s’est précisément construite en valorisant l’individu contre le groupe. Ce que montrent à la fois l’édit de Nantes de 1598, qui a promulgué une certaine déconfessionnalisation, ou la loi Le Chapelier de 1791 qui a aboli les corporations. Le raisonnement n’est pas que politique, il est aussi anthropologique.

Longtemps, en France, nous avons cru qu’aucune appartenance, réelle ou fantasmée, ne pouvait définir la citoyenneté. Que par-delà toutes les affiliations ou allégeances, chacun et chacune pouvait et devait parvenir à penser le bien commun, c’est-à-dire le bien de la nation. Cette ambition proprement politique, qui a connu diverses formes d’incarnations concrètes, traverse une vraie crise en raison du triomphe de la gauche sociétale qui, altérant le marxisme, a réduit le combat pour le progrès à l’abolition des dominations symboliques ou pensées telles. Le rêve d’une émancipation illimitée des contraintes confine ainsi à la revanche cauchemardesque des déterminismes sexuels, ethniques ou religieux. Une à une, les minorités ont commencé à batailler et ont obtenu gain de cause afin d’être ajoutées à la longue liste des « protégés », entraînant dans le sillage de leurs revendications multiformes une communautarisation sauvage de la République française, contraire à sa genèse et à son histoire. Grande est donc la désorientation actuelle. […]"

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