Contribution

Vers un nouveau régime concordataire ? Etat des lieux du principe d’interdiction de subventionner les cultes (A. Py)

par M. Aurélien Py, avocat, doctorant en droit 19 juin 2018

Après des siècles de relations étroites, la loi du 9 décembre 1905 pose le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat.

Dans une volonté d’émancipation et d’égalité des citoyens, elle consacre la liberté absolue de conscience, c’est-à-dire le droit de croire, de ne pas croire, de changer de religion.

Ainsi, la religion ne relève plus de la sphère publique mais de la sphère privée, de sorte que la séparation ne se conçoit que par la suppression du budget des cultes, mesure essentielle de la loi.

Il est désormais clairement affirmé que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art. 2). La France met ainsi fin au Concordat napoléonien de 1801, par lequel l’Etat assurait la rémunération des personnels religieux.

En dépit de ces principes clairs, il doit être constaté, plus de 112 ans après la promulgation de la loi, le dévoiement progressif du principe de non-subventionnement des cultes (I). De plus, la sphère politique actuelle tend à s’interroger sur l’avenir du principe de non-subventionnement des cultes (II).

I – Le dévoiement progressif du principe de non subventionnement des cultes

Si le principe de non subventionnement des cultes fait l’objet d’une affirmation claire par la loi du 9 décembre 1905 (A), sa portée est limitée aussi bien de manière territoriale qu’en raison de nombreuses dérogations législatives (B).

A – L’affirmation claire du principe par la loi du 9 décembre 1905

L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 consacre le principe de liberté absolue de conscience et par conséquent interdit spécifiquement toute subvention en faveur des cultes.

Désormais, les cultes relèvent en effet de la sphère privée. Ils sont confiés à des associations cultuelles qui ont pour objet exclusif l’exercice public d’un culte, c’est-à-dire la gestion des moyens matériels et humains de cet exercice. Celles-ci ne peuvent recevoir aucune subvention publique mais doivent vivre de ressources privées.
En effet, l’Etat doit gérer les services publics et ne peut se mêler du divin, de sorte qu’il ne peut subvenir par des ressources publiques au financement des croyances religieuses (Jean-Paul SCOT, in « L’Etat chez lui l’Eglise chez elle », Comprendre la loi de 1905, Points, 2005).
Lors des débats parlementaires, la droite soutient au contraire que l’Etat aurait une dette envers l’Eglise suite à la nationalisation des biens de l’Eglise par décret du 2 novembre 1789 prévoyant de « pourvoir à l’entretien des ministres du culte ».

Cette idée est écartée par les tenants de la séparation. Bienvenu-Martin, Ministre de l’Instruction publique, affirme que « puisque nous enlevons au culte son caractère de service public et que nous le transformons en secteur privé, il est évident que la rémunération de l’Etat doit disparaître ». Aristide Briand, rapporteur de la loi, expose que l’Etat a le devoir de reprendre son entière indépendance en matière religieuse : « La Constituante n’a eu qu’une théorie, c’est que les biens de l’Eglise avaient toujours appartenu en propriété à la nation et en jouissance seulement à celle-ci ; c’est que la nation avait le droit de les reprendre. Puis, comme elle considérait que la religion était un service public, elle a appointé les prêtres, mais comme tous les autres fonctionnaires, dont l’emploi peut être supprimé par elle ». Il en conclut que « la Constituante, en faisant faire retour à la nation des biens ecclésiastiques n’a opéré ni confiscation, ni expropriation. Elle n’a fait ni faute, ni commis un quasi-délit, créant un droit à réparation au profit du clergé ».

Ces principes étant posés, quelques exceptions à l’interdiction de subventionner les cultes sont néanmoins acceptés afin de permettre l’adoption de la loi par le plus grand nombre de parlementaires : services d’aumôniers dans les établissements publics, jouissance gratuite et illimitée des édifices religieux et propriété de l’Etat et des collectivités locales qui en assument la réparation, régime transitoire d’indemnisation des prêtres.

Pour des raisons diverses, ces exceptions initialement limitées, se multiplieront néanmoins par la suite.

B – La portée limitée de l’interdiction de subventionner les cultes

a) Une application inégale sur le territoire de la République

Le principe d’interdiction de subventionner les cultes ne s’est jamais imposé sur l’ensemble du territoire de la République.

La loi est en principe appliquée aux trois départements algériens par décret du 27 septembre 1907, mais un contrôle sur l’exercice du culte musulman est exercé en accordant des indemnités aux imams, en contrepartie d’agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées par une circulaire Michel du 16 février 1933 (« L’absence d’application de la loi de 1905 aux départements algériens (1905-1962) », Rapport sur L’Islam dans la République, Haut conseil à l’Intégration, Roger Fauroux, 2000).

Dans les territoires ultramarins, le principe connait de nombreuses dérogations, à l’instar de la Guyane, où les ministres du culte catholique bénéficient d’une rémunération publique depuis l’ordonnance royale du 27 août 1828, régime reconnu conforme à la Constitution (Décisions n°2017-633 QPC du 2 juin 2017).

Surtout, l’Etat n’impose pas à l’Alsace-Moselle le régime de séparation des Eglises et de l’Etat malgré son retour à la France en 1919. Les ministres des cultes reconnus ainsi que certains laïcs exerçant des fonctions administratives au service des autorités religieuses sont rémunérés par l’Etat (loi locale du 15 novembre 1909) et bénéficient de logements (art. L. 2543-3 du Code général des collectivités territoriales). Les édifices du culte sont entretenus et exonérés de taxe foncière (CGI, art. 1382 4e ; art. 4 du Code des impôts directs et taxes assimilées applicables en Alsace-Moselle). Les associations de droit local peuvent recevoir des dons et legs (Code civil, article 910, modifié par l’ordonnance n°2005-856 du 28 juillet 2005).

Les autres dépenses en faveur des cultes sont autorisées sous certaines conditions (Jean-Marie WOEHRLING, La diversité territoriale des régimes français de financement public des cultes, Revue du droit des religions, n° 1, mai 2016, 166 p).

Plus récemment, lors de la départementalisation de Mayotte, si les ministres du culte musulman (cadis) ont cessé d’être rémunérés pour l’exercice de ces fonctions (ordonnance n°2010-590 du 3 juin 2010), il est désormais possible de conclure des baux emphytéotiques administratifs pour l’édification des bâtiments cultuels (article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime).

Cette diversité territoriale a conduit le Conseil constitutionnel à refuser d’accorder une valeur constitutionnelle au principe d’interdiction de subventionner les cultes (décision QPC n°2012-297, décision 21 février 2013, Association pour la promotion et l’extension de la laïcité (APPEL)). Une telle décision aurait permis une harmonisation bienvenue des règles applicables en France, mais les sages ont considéré qu’il revenait au législateur d’opérer un tel choix.

Bien au contraire, ce dernier, jusqu’à présent, n’a fait que multiplier les dérogations au principe d’interdiction de subventionner les cultes.

b) Une effectivité progressivement limitée

1) La multiplication des exceptions législatives

Très rapidement, des exceptions législatives sont venues entacher la portée effective du principe d’interdiction de subventionner les cultes.

Ainsi, lors de l’arrivée au pouvoir de Clémenceau en 1906, il n’existe toujours pas d’associations cultuelles catholiques. La résistance de l’Eglise (Jean-Paul SCOT, « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle », Comprendre la loi de 1905, Points, 2005) se solde donc par une nouvelle loi du 13 avril 1908 qui prévoit que les édifices affectés au culte catholique lors de la loi de 1905 deviennent la propriété des communes s’ils n’ont été ni restitués ni revendiqués par une association cultuelle dans un délai d’un an.

Si ces difficultés initiales traduisent la puissance historique de l’Eglise catholique en France, les dérogations ultérieures ne justifient pas un tel écart avec l’esprit de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

Par exemple, la France n’abroge pas la loi Pétain qui autorise toutefois les subventions pour réparation aux lieux de culte quelle que soit leur date de création et leur régime juridique (Loi n° 1114 du 25 décembre 1942, portant modification de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État).

La garantie des emprunts contractés par les associations cultuelles ou les groupements locaux est votée pour financer les édifices cultuels dans les agglomérations en développement (Loi n°61-825 du 29 juillet 1961 de finances rectificatives pour 1961, article 11 ; articles L. 2252-4 et L. 3231-5 du CGCT). Le gouvernement Juppé confirme cette évolution (loi n°96-142 du 24 février 1996 ; Réponse du Ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales à la question n° 60420, publiée au JOAN du 05/01/2010, page 155).

Encore, afin de favoriser les édifices du culte, le recours au bail emphytéotique administratif est admis. Il s’agit d’un bail de longue durée permettant la mise à disposition d’un terrain en contrepartie d’une redevance modique et l’intégration au terme du bail, de l’édifice dans le patrimoine du bailleur (art. L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales ; CE, 19 juillet 2011, Mme Vayssière, n°320796). Or, cette dérogation fait peser de manière injuste la charge des édifices du culte sur l’ensemble des citoyens dès lors que les premiers lieux de culte, construits dès 1930, seront bientôt intégrés au patrimoine des collectivités territoriales, qui devront donc assurer leur entretien et conservation.

Les remises en cause du principe de non subventionnement sont justifiées par des prétendus motifs tenant à l’égalité entre les religions. Les cultes minoritaires tels que l’Islam devraient ainsi bénéficier d’un droit de rattrapage financé par la puissance publique…

Pourtant, la présence importante d’Eglises catholiques est un héritage historique et culturel et ne saurait justifier de telles dérogations qui conduisent progressivement à faire primer l’égalité des religions sur la liberté de conscience définie à l’article 1er de la loi. La religion n’est pas plus un service public qu’en 1905 et les non croyants ne se voient attribuer aucune subvention au motif de leur liberté de conviction.

Autre dérogation conséquente, l’école privée est financée par des fonds publics, c’est-à-dire par l’ensemble des contribuables Français.

2) Le financement public de l’école privée

L’article 2 de la loi organique du 30 octobre 1886 instaure le principe républicain et laïc selon lequel « à l’école publique fonds publics, à l’école privée fonds privés ».

Cependant, motif pris de la liberté de l’enseignement, il n’est jamais mis fin à la loi Falloux qui met en place le dualisme scolaire, c’est-à-dire un enseignement privé confessionnel à côté de l’enseignement public. Or, l’article 69 de cette loi relatif à l’enseignement secondaire est maintenu, lequel dispose que les « établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’État une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement » (Jean-Paul SCOT, in « La loi Debré et le dualisme scolaire », Intervention au colloque du CDAL à Montpellier le 14 novembre 2010).

En particulier, le gouvernement Debré en 1959 (Loi n°59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés) crée deux contrats permettant chacun le financement de l’école privée notamment catholique :

  • le contrat d’association par lequel les personnels qualifiés et les dépenses de fonctionnement de l’école privée sont financés sur les mêmes bases que dans les établissements publics, en contrepartie d’un alignement avec les règles et programmes de l’enseignement public (art. 4) ;
  • le contrat simple par lequel sont financés la rémunération des maîtres par l’Etat (art. 5) et les dépenses des établissements par les communes (art. 69), en contrepartie d’un simple « contrôle pédagogique et financier » exercé par les inspecteurs de l’Education nationale ;

En juillet 1984, le projet Savary échoue à créer un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale » et depuis lors, le subventionnement des cultes par le biais de l’école privée est facilité.

Par exemple, les avantages de la loi Debré sont étendus à l’enseignement agricole privé (Loi n°84-1285 du 31 décembre 1984).

Du reste, les accords Lang-Cloupet du 13 juin 1992 et 11 janvier 1993, financent davantage encore les établissements privés notamment par la revalorisation du forfait d’externat (Eddy KHALDI, Laïcité : désinstitutionalisation de l’Education ?, article publié le 19 avril 2017, Mediapart, https://blogs.mediapart.fr/eddy/blog/190417/laicite-desinstitutionalisation-de-l-education).

Plus récemment, l’introduction d’un « chèque éducation » impose aux mairies de financer les écoles privées d’autres communes si leurs résidents ont choisi d’y scolariser leurs enfants (loi Carle n° 2009-1312 du 28 octobre 2009). Cette logique libérale encourage à l’exode vers les écoles privées, notamment confessionnelles (voir en ce sens : Loi Carle : la prime à l’exode scolaire, par Caroline Fourest, Le Monde, 25 septembre 2009).

Au total, les sommes consacrées par l’Etat au financement des écoles privées s’élèvent à « 7 milliards d’euros aux écoles privées, auxquels il faut ajouter 3 à 5 milliards, selon les années, versés par les collectivités locales ; Soit plus de 10 milliards auxquels s’additionnent tous les versements complémentaires, négociés à chaque nouvelle concession ». (Caroline FOUREST, Génie de la Laïcité, Grasset, 2016 ; Eddy KHALDI, Laïcité : l’enlisement communautaire du pluralisme scolaire, 20 février 2017, Mediapart). Au demeurant, l’enseignement privé est avantagé puisqu’il concentre 20% des postes publics alors que 17% des élèves sont concernés.

Ce sont autant de moyens qui ne sont pas consacrés à l’école publique, alors que le libre choix de parents d’inscrire leurs parents dans une école privée n’implique nullement un financement par l’Etat de ce qui constitue sa propre concurrence.

Par ailleurs, la loi Debré affirme que la liberté de conscience doit se concilier avec le respect du caractère propre de l’établissement, entérinant une dérogation financée par la puissance publique à la liberté absolue de conscience (Eddy KHALDI, « Liberté de conscience » et « caractère propre », 21 octobre 2014, Le respect du « caractère propre » peut-il être accommodé avec l’exercice de la liberté de conscience, liberté fondamentale ?, Association des Libres Penseurs de France ; article L. 442-21 du code de l’éducation).

Le réseau d’établissements privés est de surcroît directement contrôlé par la Conférence des Evêques de France, depuis le nouveau statut de l’enseignement catholique adopté en avril 2013.

Il existe donc aujourd’hui un « authentique concordat scolaire » (Eddy KHALDI, Laïcité : désinstitutionalisation de l’Education ?, article publié le 19 avril 2017, Mediapart), contraire au principe selon lequel « à école publique fonds publics, à école privée fonds privés » (demeurant à l’article 151-3 du Code de l’éducation) et évidemment, à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905.

Or, le principe de « liberté d’enseignement » n’implique pas un financement public, alors que les établissements échappent aux obligations de service public telles que mixité, carte scolaire, rythmes scolaires. Il s’agit au demeurant d’un véritable encouragement à la scolarisation dans des écoles privées par des logiques communautariste, marchande et commerciale au lieu de favoriser la justice sociale, la laïcité et le vivre ensemble (Eddy KHALDI, Laïcité : désinstitutionalisation de l’Education ?, article publié le 19 avril 2017, Mediapart, https://blogs.mediapart.fr/eddy/blog/190417/laicite-desinstitutionalisation-de-l-education).

Ces multiples dérogations conduisent finalement à s’interroger sur la permanence du principe.

II – L’horizon incertain du principe de non subventionnement des cultes

Le principe d’interdiction de subventionner les cultes fait actuellement l’objet d’une souplesse jurisprudentielle critiquable (A) auquel s’ajoute aujourd’hui de la part des élus une véritable tentation concordataire (B).

A – Une souplesse jurisprudentielle critiquable

Outre les nombreuses dérogations législatives sus rappelées, le Conseil d’Etat a développé une jurisprudence particulièrement souple de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905.

C’est surtout par cinq arrêts de principe du 19 juillet 2011 que la haute juridiction a ouvert la brèche, en se fondant sur la notion d’intérêt public local (voir en ce sens : CE, 19 Juillet 2011, Commune de Trélazé, n°308544 ; CE, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et M.P, n°308817 ; CE, Communauté urbaine du Mans Le Mans Métropole, n°309161 ; CE, Commune de Montpellier, n°313518 ; CE, Mme V., n°320896).

Dans ces affaires, les collectivités territoriales avaient accordé des subventions aux cultes.

Au soutien de ses décisions, la haute juridiction rappelle les articles 1 et 2 de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905 et les articles 13 et 19, ces derniers prévoyant la mise à disposition gratuite des édifices du culte au bénéfice des associations cultuelles et l’impossibilité pour ces dernières de recevoir des subventions des collectivités publiques, sauf pour la réparation des édifices du culte et pour les dépenses nécessaires à leur entretien et conservation.

Ces dispositions interdisent donc clairement toute subvention aux cultes.

Pourtant, la haute juridiction se fonde sur les exceptions très limitées prévues par ces articles pour affirmer que « si la loi de 1905 interdit en principe toute aide à l’exercice d’un culte, elle prévoit elle-même expressément des dérogations ou doit être articulée avec d’autres législations qui y dérogent ou y apportent des tempéraments » et que « si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu’à la condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu’elles respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qu’elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat interprète largement voire détourne, l’esprit de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 en facilitant les pratiques de subventionnement des cultes.

En effet, des subventions peuvent financer des projets en rapport avec des édifices ou pratiques cultuels lorsqu’il existe un intérêt public local. Or, la notion d’intérêt public local est une notion subjective dépendant de l’appréciation d’une collectivité territoriale, qui permet seulement d’interdire des subventions manifestes, telles le financement des ostensions septennales par une collectivité territoriale (CE, 15 février 2013, Grande Confrérie de Saint-Martial, n°347049). Cette notion laisse donc une importante marge de manœuvre aux élus locaux.

Du reste, le principe de « neutralité à l’égard des cultes » devrait précisément empêcher toute subvention d’un Etat qui ne reconnaît pas les cultes. L’emploi de la notion « d’égalité » met du reste en évidence le primat progressif de l’égalité des religions sur le primat de la liberté de conscience, contrairement à ce que prévoit la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

Le Vice-Président du Conseil d’Etat lui-même considère d’ailleurs que la loi du 9 décembre 1905 et notamment son article 2 est inégalitaire, notamment vis-à-vis du culte musulman qui serait défavorisé en France par rapport aux religions historiques. Et que le régime des associations cultuelles ne serait par ailleurs pas adapté à l’islam… (Jean-Marc SAUVE, Vice-Président du Conseil d’Etat, Liberté de conscience et liberté religieuse en droit public français, Contribution à l’étude collective réalisée à l’occasion du 15ème anniversaire de la Cour administrative suprême de Lituanie, 11 octobre 2017).

L’Etat devrait donc s’adapter aux religions et en assurer l’égalité. Ce principe supplante peu à peu celui du respect de toutes les convictions, parmi lesquelles la liberté de ne pas croire, au détriment des contribuables notamment locaux.

Au demeurant, cette souplesse jurisprudentielle encourage les attitudes électoralistes telles que celle de Monsieur Feltesse, député de Bordeaux qui a versé 50 000 euros de sa réserve parlementaire en 2014 pour la construction d’une mosquée (voir notamment : Charles ARAMBOUROU, Les contournements du principe de séparation : les subventions aux cultes des collectivités locales, Union des familles laïques, 19 décembre 2016).

La pratique des « budgets mixtes » se développe également, en accordant des subventions à un projet culturel (association loi 1901) adossé à un projet cultuel (association cultuelle loi de 1905), ce qui permet de subventionner les cultes. C’est ainsi qu’ont par exemple été financées la cathédrale d’Evry (13 millions de francs) dont les fonds publics auraient été affectés à un centre d’art situé dans le bâtiment, ainsi que de nombreux autres projets sans qu’aucune garantie de l’utilisation réelle de ces fonds ne soit posée.

B – La tentation concordataire

Dans ce contexte, il est permis de s’interroger sur la résurgence d’un régime légal de financement public des cultes (Traité de droit français des religions, Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, Jean-Marie Woehrling, Lexis Nexis, édition mars 2013).

Les rapports d’études les plus récents proposent soit un renforcement de ces dispositifs (Rapport d’information de M. Hervé Maurey, sénateur (UDI) de l’Eure, « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte », fait au nom de la délégation du Senat aux collectivités territoriales et rendu public le 17 mars 2015), soit un subventionnement direct des cultes (Les rapports des cultes avec les pouvoirs publics, rapport de Jean-Pierre Machelon, remis au ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, La Documentation Française, septembre 2006).

Des politiques envisagent régulièrement de revenir sur la règle de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905, au prétexte que les cultes minoritaires seraient défavorisés par rapport au culte catholique historiquement implanté en France. Ceux qui y sont favorables emploient d’ailleurs une sémantique consistant à adjoindre un qualificatif à la laïcité, tel que le concept de laïcité « positive » de Nicolas Sarkozy (Discours prononcé le 15 septembre 2008 à Paris devant le Pape Benoît XVI), directement repris à l’Eglise catholique (Revue jésuite Esprit Octobre 1949 ; in ABC de la Laïcité, p. 78, Eddy KHALDI, Demopolis, août 2015).

Il ne faut pas s’y tromper, le financement public des cultes reviendrait à revenir à un nouveau régime concordataire, à l’inverse de l’esprit de la loi du 9 décembre 1905 selon lequel il ne peut y avoir de séparation des Eglises et de l’Etat qu’en l’absence de toute subvention aux cultes.

Depuis plusieurs années, et plus encore depuis les attentats terroristes de l’année 2015, l’on assiste parallèlement à une volonté de l’Etat de s’impliquer dans l’organisation et la structuration d’un islam de France arguant de la nécessité de lutter contre les discours radicaux. Mais rien ne justifie de financer un culte et comme il serait impossible de privilégier un culte par rapport à un autre (principe d’égalité), cela reviendrait à faire émerger un Concordat déguisé.

La Fondation pour l’Islam de France recréée en 2017, prévoit pourtant la création de deux piliers, dont l’un consistant en une association cultuelle chargée de collecter des ressources parmi les musulmans pour financer des projets cultuels, salarier et former les acteurs du culte musulman (Emmanuel Macron face au défi de « l’islam de France », Anne-Bénédicte Hoffner, L’Obs, 11 février 2018). Il s’agira d’une nouvelle exception à l’article 2 par l’organisation directe par l’Etat des modalités du financement du culte musulman, une contribution sur le Hallal étant souvent évoquée.

Alors que le président Macron ne cesse de repousser le grand discours sur la laïcité qu’il devait initialement prononcer en décembre à l’occasion du 112ième anniversaire de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, il a en revanche promis de « poser les jalons de toute l’organisation de l’Islam de France au cours du premier semestre de l’année 2018 » (Macron veut "poser les jalons de toute l’organisation de l’islam de France", Le Journal du Dimanche, 10 février 2018).

L’inquiétude est grande sur les intentions d’un président de la République qui a affirmé en décembre 2017, devant les représentants des six principales religions, qu’il craignait une « radicalisation de la laïcité » (Face aux représentants des religions, Emmanuel Macron s’inquiète d’une "radicalisation de la laïcité", Hadrien Mathoux, Marianne, 22 décembre 2017), propos qui ne manquent pas de surprendre devant des représentants de cultes ("M. le président Macron, la laïcité n’est ni radicale, ni une menace pour la France", Fatiha Boudjahlat, Céline Pina, Caroline Valentin, Barbara Lefebvre, Waleed al-Husseini, Marianne, 28 décembre 2017)….

En conclusion, face à un discours politique donnant de plus en plus de place aux religions et à leur égalité, il est indispensable de réaffirmer au contraire l’importance du principe de laïcité dont la règle de non subventionnement des cultes est seule à même de respecter les convictions de tous les citoyens à égalité.



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