"Toujours Charlie ! De la mémoire au combat" (6 jan. 18)

V. Corazza : "Agir contre l’intrusion dans mon collège d’idéologies et agissements anti-républicains" ("Toujours Charlie !" 6 jan. 18)

Véronique Corazza, principale de collège à Saint-Denis. 7 janvier 2018

"Je suis depuis bientôt neuf ans Principale d’un collège de 600 élèves de l’éducation prioritaire à Saint-Denis. Cette ville est d’une grande richesse humaine mais est très compliquée, fortement touchée par la ghettoïsation, les difficultés économiques et sociales ainsi que l’insécurité. La mission des personnels du collège est d’assurer la réussite des élèves, de transmettre et faire partager les valeurs de la République afin de permettre aux élèves de devenir des citoyens éclairés.

Les attentats de janvier 2015 ont été pour moi un véritable choc, remettant sérieusement en question mon impression que la laïcité était plutôt bien respectée en France. Depuis ces attentats, une forte impulsion a été lancée par le Ministère de l’Education nationale, appelant à une mobilisation sur le terrain de tous les personnels pour la promotion des valeurs de la République et de la laïcité : il ne faut donc pas craindre d’agir.

C’est depuis ces terribles événements de 2015 que j’incite fortement les personnels du collège à s’engager dans la transmission des valeurs républicaines. Dans le collège que je dirige, de nombreuses initiatives sont prises pour promouvoir les valeurs de la République et la laïcité, l’égalité garçons-filles, lutter contre le harcèlement, les discriminations, le racisme et l’antisémitisme, pour entretenir la Mémoire (par exemple, des professeurs emmènent les élèves de troisième au Mémorial de la Shoah).

Par ailleurs, dès la rentrée, je rappelle aux professeurs qu’ils doivent, dans le cadre de leurs cours, discerner les propos d’élèves qui relèvent du questionnement habituel ou du manque de connaissance sur le sujet de propos qui peuvent constituer une contestation du contenu des enseignements. En effet, les élèves ont parfois des idées arrêtées et des a priori qu’ils entendent soit à la maison, soit dans certains lieux de la ville ou sur internet. Dans certains cours, il n’est pas toujours simple pour les professeurs de faire reculer certains tabous souvent liés à l’emprise de croyances religieuses. Les professeurs doivent faire preuve de pédagogie et de professionnalisme, et surtout se savoir soutenus par leur chef d’établissement en cas de problème. Nous faisons bien sûr appliquer la loi de 2004 d’interdiction de port de signes religieux : la loi est globalement bien respectée par les élèves, quelques rappels à l’ordre sont parfois nécessaires mais ils sont à la marge. La Charte de la laïcité est explicitée en début d’année par les professeurs aux élèves.

Dans notre collège, une action qui me tient particulièrement à coeur se déroule tous les deux mois, à chaque veille de vacances : c’est la Journée de l’élégance, que j’ai officiellement instaurée suite à la demande initiale d’une élève de troisième (« Madame, vous seriez d’accord pour qu’on fasse une journée de l’élégance ? »), permettant ainsi aux filles et aux garçons de s’habiller comme elles et ils le souhaitent (pour les filles : jupes, robes, pantalons moulants – pour les garçons, chemises, beaux pantalons, quelques cravates et nœuds pap’) : à cette occasion, beaucoup d’élèves s’habillent élégamment, osant surmonter les regards parfois critiques ou le sexisme. C’est la liberté de s’habiller élégamment, précieuse liberté.

Etre « Charlie au quotidien », c’est aussi agir contre l’intrusion dans mon collège d’idéologies et agissements anti-républicains. Voici trois exemples concrets.

Premier exemple. Des étudiants de l’Université Paris 8 de Saint-Denis candidatent souvent à un poste d’assistant d’éducation ou d’assistant pédagogique dans mon collège, pour la surveillance et l’accompagnement pédagogique des élèves. Or un certain nombre d’étudiants de Paris 8 ont organisé depuis deux ans au sein de leur université des « réunions non-mixtes racisées », des « paroles non-blanches », interdites aux blancs. Afin que de telles idées et pratiques anti-républicaines n’entrent pas dans le collège, je suis très vigilante lors des entretiens d’embauche de ces étudiants, et leur pose notamment des questions spécifiques lors des questions sur les valeurs que doit respecter et faire partager aux élèves tout assistant d’éducation ou pédagogique.

Deuxième exemple. Certaines associations d’aide aux devoirs, à Saint-Denis et aux alentours, cachent en réalité des écoles intégristes clandestines, peu enclines à transmettre aux jeunes les valeurs de la République, et donnent illégalement des cours à des enfants déclarés par leurs parents en scolarisation à domicile. Donc lorsque je trouve collée à l’entrée de mon collège une affiche d’association proposant du « soutien scolaire », je me renseigne et j’agis lorsque c’est nécessaire afin que les élèves et leurs parents ne soient pas abusés.

Troisième exemple. Il y a un peu moins d’un an, j’ai embauché un assistant d’éducation qui, quelques semaines après sa prise de fonction, a refusé de serrer la main aux femmes, annonçant qu’il entamait un jeûne. Avertie par les CPE qui venaient par ailleurs d’apprendre que ce monsieur avait demandé à des personnes s’il y avait dans le collège une salle où il pouvait faire sa prière, celui-ci s’entêtant et évoquant successivement plusieurs raisons à son refus de serrer la main aux femmes (problème de jalousie dans son couple, rhume), j’ai convoqué l’assistant d’éducation et lui ai rappelé son obligation de respecter la neutralité de sa fonction, les valeurs de la République et l’égalité hommes-femmes, le mettant en demeure de changer de comportement. Comme il a persisté dans ses agissements, allant jusqu’à porter une attelle à la main droite invoquant une blessure au sport l’empêchant de serrer toute main, j’ai décidé de l’isoler des élèves, de le suspendre puis finalement de le licencier, afin de préserver mes élèves. Dans ce litige, j’ai averti ma hiérarchie dès le début mais ai été confrontée à l’isolement et au manque de soutien du Rectorat de Créteil.

Finalement, « être Charlie au quotidien », c’est agir avec détermination et exemplarité pour assurer la liberté de conscience des élèves et développer leur sens moral, par la promotion et la défense des valeurs qui nous rassemblent. Pour moi, c’est tout simplement accomplir mon devoir de Principale de collège envers les enfants de la République."



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