Revue de presse

"Une prof de fac menacée de mort pour avoir critiqué l’islam" (lepoint.fr , 16 déc. 20)

9 janvier 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Elle vit sous protection policière après avoir évoqué des « religions sexuellement transmissibles ». La Ligue des droits de l’homme a porté plainte contre elle.

Par Clément Pétreault

Lutte salutaire contre les discriminations ou censure motivée par des obsessions victimaires ? Une professeure de droit de l’université d’Aix-Marseille a vu son nom publié sur les réseaux sociaux à la suite de propos qualifiés d’« islamophobes ». Son tort ? Avoir expliqué, dans le cadre d’un cours sur les conflits de lois de master 2, que certaines religions – en l’occurrence, l’islam et le judaïsme – seraient « sexuellement transmissibles » et avoir ajouté : « L’un des plus grands problèmes qu’on a avec l’islam, et ce n’est pas le seul malheureusement, c’est que l’islam ne reconnaît pas la liberté de conscience. C’est quand même absolument terrifiant. » Depuis, elle ne cesse de recevoir torrents d’insultes et menaces de mort, au point d’avoir été placée sous surveillance policière. Deux mois après l’assassinat de Samuel Paty, la méthode qui consiste à exposer le nom d’enseignants dès qu’un soupçon de racisme est décrété interpelle.

La formule « religion sexuellement transmissible » peut sembler inappropriée dans le cadre d’un enseignement universitaire. Mais cela justifie-t-il pour autant que celle qui l’énonce verse dans « l’injure raciale » ? Il appartiendra au tribunal de se prononcer, une plainte ayant été déposée par la Ligue des droits de l’homme. Le parquet de Marseille a ouvert une enquête préliminaire pour injures publiques en raison d’appartenance à des religions. « S’en prendre aux religions n’est pas punissable, et c’est heureux, mais là, vu la brutalité du propos, on passe à un autre stade », explique le président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Michel Tubiana, pour qui « renvoyer une religion à une maladie sexuellement transmissible revient à dire que les fidèles sont contaminés et contaminants ». « On n’est plus dans la critique, mais dans l’injure. Ce genre de diatribe que l’on pourrait retrouver sur CNews n’est pas une caricature, ça n’a rien à voir avec Charlie Hebdo, c’est un jugement de valeur insultant destiné à blesser », martèle-t-il.

L’enseignante de droit a été auditionnée ce mardi par la police d’Aix-en-Provence en présence de son avocat, Lucien Simon, qui récuse toute injure raciste et s’étonne de l’identité du plaignant. « Je ne dois pas être au clair sur le sens de droits de l’homme », s’agace-t-il. L’avocat de l’enseignante annonce ce jour déposer une plainte contre Mediapart pour « mise en danger de la vie d’autrui » après la publication de son nom. Par ailleurs, « le fait que la police convoque une professeure agrégée des facultés de droit pour une formule prononcée dans le cadre d’un cours pointu dispensé à des étudiants censés disposer d’un sens critique, c’est pour le moins une surprise ». Quant aux termes qui font polémique, « il n’est pas nécessaire d’être docteur en théologie pour savoir que la religion juive se transmet par la mère et la religion musulmane par le père », explique l’avocat, qui tient aussi à préciser le contexte dans lequel les propos sur la liberté de conscience ont été prononcés : un cours sur les conflits de lois, c’est-à-dire dans le cas où une personne peut être considérée comme potentiellement assujettie à deux droits contradictoires. Or, explique Lucien Simon, cette enseignante a illustré son cours à l’aide d’une décision portant sur un conflit entre droits de l’homme et droit théologique, « avec le cas d’un musulman grec qui avait justement choisi d’exercer sa liberté de conscience en refusant de se soumettre à la charia en faisant de sa femme sa légataire universelle ». La charia était en effet imposée aux musulmans grecs en exécution de traités internationaux conclus entre la Grèce et l’Empire ottoman lorsqu’il se retirait de ses conquêtes européennes. « C’est tout de même un comble d’accuser ma cliente, professeur de droit, de ne pas faire la différence entre une religion et ses croyants, alors que son cours même porte sur ce sujet. »

À l’inverse de Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’homme, le caractère raciste des déclarations de l’enseignante ne convainc pas du tout Alain David, représentant de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) auprès de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). « Je lis des articles qui donnent le nom de cette enseignante en lui accolant l’étiquette "islamophobe", ce qui la met gravement en danger. Je note que les propos qui ont été tenus font mention de l’islam et du judaïsme. Or je n’y vois en l’occurrence ni racisme ni antisémitisme. Ce n’est pas parce que quelqu’un se dit offensé que c’est nécessairement du racisme », explique cet ancien professeur de philosophie, qui s’insurge de l’action en justice lancée par la Ligue des droits de l’homme : « La LDH aurait-elle porté plainte contre Samuel Paty pour les mêmes motifs ? Cette enseignante de droit fait l’objet des mêmes accusations et des mêmes procédés d’incitation à la vindicte publique que ceux qui ont mené à la mort de Samuel Paty. On sait comment cela s’est achevé. Les enseignements de cette terrible affaire n’ont pas été tirés ! »

Cette affaire accentue les antagonismes entre associations de lutte contre le racisme, où l’on voit les représentants de la Licra et de la LDH consolider les frontières de deux camps opposés sur la question de la lutte contre le racisme, notamment sur celle de « l’islamophobie ». Ce clivage se cristallise jusqu’au sein de la CNCDH, où siègent des représentants des 24 associations de défense et de promotion des droits de l’homme et qui se présente comme « l’institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme française créée en 1947 ». C’est à la suite d’échanges de mails envoyés entre membres de cette autorité administrative que l’affaire s’est retrouvée propulsée sous les feux des projecteurs. Soucieux de tenir éloignée l’institution de cette affaire, le président de la CNCDH, Jean-Marie Burguburu, a adressé un courrier de « demande urgente de protection d’une enseignante de l’université́ d’Aix-Marseille » à la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, dans lequel il rappelle son attachement à « la liberté́ d’expression et la liberté́ d’enseignement » et dit « craindre que l’ampleur que peut prendre désormais cette affaire à l’échelle nationale ne mette en danger cette enseignante ». « Nous avons tous en mémoire qu’un enseignant a été assassiné il y a un mois et demi et que la jeune Mila est sous protection policière et continue de recevoir des menaces de mort particulièrement sordides. »

Pour certains observateurs, il n’est pas exclu que le contexte de préparation de la loi séparatisme et de dissolution du CCIF soit totalement étranger au surgissement médiatique de cette affaire. Dans un contexte de crispations manifestes autour de la liberté de débat à l’université, les développements de ce nouveau dossier pourraient bien donner lieu à des débats tout à fait intéressants entre liberté d’expression et liberté religieuse. « Je n’ai pas choisi entre liberté d’expression et liberté religieuse, j’ai choisi de demander au parquet de sanctionner un abus de la liberté d’expression », répond au Point Michel Tubiana. Pas sûr que cet argument suffise à éloigner les menaces qui, elles, ne s’encombrent pas de telles subtilités."

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