Tribune libre

Une enquête sur « Les jeunes Français et la laïcité », qui invite à plus de tolérance... Tout faux ! (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur et chargé d’enseignement à l’université, membre du Conseil d’administration du CLR. 13 février 2024

[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Une enquête sur « Les jeunes Français et la laïcité », qui invite à plus de tolérance... Selon l’UNSA éducation, « un bel espoir ». Tout faux !

JPEG - 7 ko

L’UNSA éducation a publié sur son site sa vision d’une étude cherchant à évaluer, dans quelle mesure, l’inscription des jeunes dans un environnement globalisé a une incidence sur leur positionnement à l’égard de la laïcité française [1]. Elle a été pilotée par le Laboratoire Cultures-Education-Sociétés (LACES) de l’Université de Bordeaux et le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités, laboratoire du CNRS, et commandée à l’institut Kantar. « Ce sont donc 1000 jeunes Français.es de 18 à 30 ans, représentant la diversité française qui ont été sondé.es. » rapporte le syndicat. Il souligne, pour accorder à la chose son crédit, qu’elle a été faite « en coopération avec deux chercheurs spécialistes de la laïcité, Charles Mercier et Philippe Portier, ce qui la différencie de sondages parfois trop sensationnels sur ce sujet. » On peut en douter, ces personnalités étant plutôt tendance « laïcité ouverte ». Dans un entretien au Monde [2] ils livrent leurs conclusions : que la jeunesse influencée par la mondialisation est plus ouverte à la diversité et à l’expression des identités religieuses, et qu’ainsi, en matière de laïcité « la tolérance des jeunes français est bien supérieure à celle de leurs aînés (…) plus inclusive »… Le syndicat n’y fera pas référence, pourtant révélateur du but recherché.
 
Ce qu’est la laïcité ? Une étude qui brouille les cartes
 
Sur les chiffres, l’article de l’UNSA éducation relève que « 89% des sondé.es estiment comprendre la notion de laïcité. », et que, « Si 67% des jeunes interrogé.es la voient comme un élément positif de notre société, la définir n’est pas si simple. » Effectivement, surtout si les questions posées induisent une vision qui n’a rien à voir avec ce qu’elle est, exemple : « Pour vous, aujourd’hui, le principe de laïcité, c’est avant tout… « Mettre toutes les religions sur un pied d’égalité », la laïcité confondue avec une démarche concordataire, ou encore « Faire reculer l’influence des religions dans la société », la laïcité confondue avec l’athéisme. Résultat assuré, la confusion règne : Ainsi, 29% estiment que c’est « mettre toutes les religions sur un pied d’égalité », 27% « assurer la liberté de conscience des citoyens », 22% « séparer les religions de la sphère politique et de l’État », enfin, 15 % « faire reculer l’influence des religions ». N’est-ce pas biaiser d’emblée toute la suite ? L’article poursuit : « Nos jeunes compatriotes pensent également qu’elle devrait évoluer (à 64%) mais sans réel consensus là non plus. Ainsi 35% souhaitent plus de tolérance et 42% plus de fermeté envers l’expression des idées religieuses. » N’aurait-il pas fallu d’abord mettre en avant qu’ils sont plus nombreux à demander plus de fermeté ? Mais cela aurait sans doute été à l’encontre de ce que l’on entend démontrer. L’article poursuit :« De même, si 49% souhaiteraient plus de coopération entre les cultes et les institutions publiques, 41% aimeraient plus de séparation entre les deux. » Que signifie donc cette notion de « coopération » pour ceux qui, en réponse à la question précédente, sont plus nombreux à réclamer plus de fermeté ? On ne le saura pas.

« La connaissance du fait religieux hors de nos frontières n’est pas une inconnue pour les jeunes » souligne l’article, « la moitié estime en avoir une bonne perception, en particulier celles et ceux qui sont bien inscrit.es dans la mondialisation (qui ont vécu à l’étranger, ont au moins un parent étranger etc.). Peut-être une des raisons pour lesquelles l’interdiction des ports de signes religieux ostensibles en France passe mal auprès de certains d’eux. 44% sont favorables à la liberté d’en porter y compris pour les élèves dans les lycées publics comme en Grande-Bretagne par exemple. » Pour ajouter : « Il est donc essentiel de faire mieux comprendre aux plus jeunes ce qu’est la laïcité : un moyen d’émancipation pour toutes et tous. » C’est l’art de porter la contradiction à son comble, le syndicat se faisant l’écho inconditionnel de cette étude en faveur d’une tolérance sans fin en concurrence avec la laïcité.

Victimisation des jeunes musulmans, affaiblissement de la laïcité et wokisme

On met en avant que « 60% des sondé.es pensent également que la laïcité est instrumentalisée par certains partis politiques ou médias pour dénigrer les musulmans. » sans préciser que c’est ce que pensent 87% des jeunes musulmans interrogés. Selon l’étude, la religion occupe pour 85 % des jeunes de confession musulmane la place la plus importante dans leur vie personnelle, pour seulement 53 % des jeunes catholiques, alors que pour les autres elle est insignifiante. Les jeunes musulmans sont aussi favorables à 85 % à l’évolution de la laïcité, de loin les plus nombreux… Trait général qu’aurait pu faire ressortir le syndicat, dans un contexte de revendication de l’abaya dans l’école, qui en dit long sur le rejet de la laïcité telle qu’elle est, de séparation (des Eglises et de l’Etat) et non de reconnaissance. De fait, si l’on considère que la laïcité devrait être « l’égalité de traitement des religions », tout ce que disent ses défenseurs et promoteurs est « islamophobe ».
 
L’étude d’après le syndicat, « bien loin des clichés d’une jeunesse tantôt très conservatrice, tantôt très à cheval sur tout ce qui viendrait brider la liberté individuelle », montrerait une « réalité plus nuancée », et ainsi, que l’« On est donc loin d’un « wokisme » généralisé comme voudrait le faire croire certain.es. » Qu’en dire quand l’article lui-même est rédigé en « écriture inclusive », considérée comme une révision « woke » de la langue française ? Une idéologie qui voit tout selon le principe de différence, qui divise et sépare, ici par ce point médian les genres, loin de l’esprit de notre République égalitaire. Le serpent se mord la queue.
 
Un modèle libéral de tolérance qui enterre la laïcité
 
Nos deux historiens dans Le Monde parlent de jeunes diplômés mondialisés qui ne seraient « pas motivés par une inquiétude identitaire », selon « le concept de nation culturelle ou « ethnique », puisque « l’identité de la France » pour eux « se réinvente sans cesse (…) en contexte d’ouverture. (…) ». L’UNSA éducation converge, pour vanter une mondialisation libérale aux bons effets : « la majorité (des jeunes interrogés) se sent à l’aise dans un monde aux frontières ouvertes (63%), se considérant même pour 44% des sondé.es être aussi citoyen.nes du monde. Ceci peut donc nous donner un bel espoir pour l’avenir ! » Une autosatisfaction que modèrent les catégories populaires, 25 % des interrogés, absentes de cet article, qui prennent leur distance avec la tolérance aux communautés et aux signes religieux, ainsi qu’avec la fin des frontières… Chez elles, on trouve davantage l’idée que l’immigration pose problème, et que les traditions qui fondent la France sont menacées. Il faut dire que cette mondialisation libérale enjolivée, elles la payent au prix fort, avec pour seul recours la nation et cet Etat laïque qui leur garantit, par le fait de ne voir que des individus de droit et non chacun selon sa différence, un traitement égal devant la loi. L’UNSA éducation insiste : « la laïcité ne peut se résumer à une série d’interdits mais au contraire à des règles communes pour nous permettre de (bien) vivre ensemble, ce que nos jeunes compatriotes semblent avoir compris. » On s’interrogera sur cette opposition entre règles communes et interdits, comme si toute règle commune n’autorisait pas autant qu’elle limite, principe d’éducation. Mais subliminalement, c’est plus de tolérance qui est demandé, la République laïque, ses lois, après… Enfin, ce qu’il en resterait sans doute si on suivait le mouvement, son squelette dans un musée.

Guylain Chevrier


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales