Note de lecture

J. Birnbaum : Un silence religieux ou politique ? (R. Michel)

par Richard Michel 25 avril 2016

Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme, Seuil, 240 p., 17 €.

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Trop longtemps, nombre de commentateurs ont réduit le passage à l’acte des terroristes islamistes à des ressorts liés à l’échec d’un modèle d’intégration sociale en panne, mettant ainsi en relief la crise économique occidentale, et son lot d’injustices diverses.

Trop longtemps ensuite, les experts ont réduit ce passage à l’acte à des causes psychologiques liées à des blessures narcissiques qui ont pris corps dans des cités marginalisées où il était bien difficile de rêver à une vie meilleure.

Trop longtemps encore, d’autres observateurs ont eu tendance à réduire l’explication de ce passage à l’acte à l’influence foudroyante d’internet et des campagnes numériques ciblées de Daech et d’Al Qaïda.

Trop longtemps, et plus que jamais, plus les actes de ces hommes et de ces femmes prennent une dimension tragique, plus on les traite de « psychopathes », de « barbares », comme si cela allait suffire à cerner l’ADN du passage à l’acte.

Peu, très peu de commentateurs ont pris le soin de désigner le ressort profond qui galvanise l’ensemble des paramètres : la religion. Peu on fait l’effort de déceler dans celle-ci les ressorts profonds qui déclenchent ce passage à l’acte. Le poète syrien Adonis dans Islam et violence (Seuil) s’y est admirablement essayé quand il a osé porter la critique au cœur même de ce qui se déroule depuis plusieurs années : « Ce qui se passe dans les pays arabes depuis 2011 est une sorte de retour à l’avant-homme, à la sauvagerie. On assassine l’homme pour le voler ou parce qu’il pense différemment. On assassine ceux qui n’appartiennent pas au sunnisme ou qui pense différemment. Ceci témoigne d’une haine de l’humain. Ces pratiques et le silence des musulmans qui entoure ces faits montrent que les musulmans croient et pensent que l’islam est la seule religion vraie, la religion achevée, celle que Dieu a choisie pour Ses fidèles. Comme s’il était possible de vivre sans l’islam. Comment peut-on penser que le monde sans l’islam serait dépourvu de sens ? »

Le poète n’hésite pas à mettre le doigt dans la plaie. Une plaie qui s’est ouverte brutalement à la suite de la récupération par les fondamentalistes wahhabites et les courants salafistes associés des révoltes sociales ayant éclaté dans les pays arabes. « Peut-on nous parler d’une révolution arabe si la femme est toujours prisonnière de la charia ? Le recours à la religion a transformé ce printemps en un enfer. Cette dernière a été interprétée et utilisée pour des fins idéologiques ».

Un autre observateur, Jean Birnbaum, directeur du Monde des livres, en écrivant Un silence religieux, la gauche face au djihadisme s’est à son tour penché sur cette plaie béante. Avec raison, il reproche à la classe politique, et plus particulièrement à la gauche, d’avoir « observé un silence religieux » lors de la manifestation du 11 janvier 2015 en « répétant sur tous les tons une idée et une seule : les attaques qui viennent d’ensanglanter la France n’ont « rien à voir » avec la religion en général, et avec l’islam en particulier ». Il interprète cette façon de réagir comme « un gigantesque déni » au moment même où ceux qui avaient commis ces actes terribles les légitimaient par leur foi en l’islam. Jean Birnaum rappelle très justement que les auteurs de ces massacres « se présentaient fièrement comme des soldats de Dieu ». Il regrette que personne n’ait voulu entendre ce qu’avaient dit les terroristes : « Sur la scène médiatique et jusqu’aux sommets de l’Etat, les mots qu’ils ont prononcés n’ont pas été entendus. A l’Elysée puis au Quai d’Orsay, on s’est empressé de combler la religion « par le vide ». Non, non et non, décidément, ces actes inqualifiables n’avaient « rien à voir » avec la religion ».
De toute évidence, il est absurde « d’affirmer sur tous les tons que les djihadistes n’ont rien à voir avec l’islam » car cela conduit à « considérer que le monde musulman ne se trouve pas concerné par les fanatiques qui se réclament du Coran » et qu’il en est d’ailleurs aussi la victime. Là est le déni, nous dit Birnbaum.

Alors d’où vient-il ce déni ? Comment s’explique-t-il ? Chacun sait bien que la difficulté à nommer les choses était motivée essentiellement par le désir de prévenir l’amalgame entre islam et terrorisme. Par la crainte encore de libérer la haine raciste de groupes extrémistes. Mais avec la distanciation permise aujourd’hui, l’analyse de Jean Birnaum mérite une forte attention car elle situe ce que l’auteur nomme « un refoulement ». Si c’est le cas, d’où vient un tel refoulement ? Selon l’auteur d’ Un silence religieux, ce refoulement s’explique par le fait que la gauche a une « tendance propre à escamoter la puissance propre à la religion », en déclarant celle-ci « vestige résiduel du passé ». Ce qui aboutit, comme il le note dans la conclusion de son livre, à l’occultation de « la force autonome de l’élan spirituel ».

Ce n’est pas entièrement faux, mais si l’on veut bien comprendre cette occultation, faut-il encore en saisir l’origine et la profondeur. Ne pas voir ainsi qu’elle prend sa source avant tout dans les stratégies géopolitiques des grandes puissances occidentales observées depuis la fin de la Première guerre mondiale conduit à n’en pas mesurer la profondeur. Rappeler que l’Occident a songé avant tout à composer avec les forces conservatrices arabes pour maintenir son influence sur le Machrek et le Maghreb permet de situer le caractère politique de cette occultation. L’intérêt économique a toujours tout dicté. Et pendant ce temps-là, les forces opposées à cette mainmise politique ont élaboré une contre-offensive politico-religieuse. C’est le résultat de la contre-offensive des Frères musulmans qui, depuis 1920 ont riposté aux Accords Sykes-Picot qui ont permis à la Grande-Bretagne et à la France de partager leur influence au Moyen-Orient. C’est encore la montée en puissance du courant wahhabite qui mène depuis des décennies une lutte acharnée contre les chiites. C’est cette donnée politico-religieuse qui a été avant tout « occultée » et dont on paie aujourd’hui le prix.

Si l’on suit le raisonnement de Jean Birnbaum qui estime que la gauche a omis de voir que « sous la table, la théologie s’activait discrètement », il serait « hasardeux de renvoyer la religion au passé, à une époque archaïque et révolue ». C’est là que nous devons engager le débat car pour ma part, les religions telles qu’elles s’expriment aujourd’hui montrent au contraire leur archaïsme moyenâgeux. Qu’il s’agisse de l’islam avec sa version fanatique et son idéologie mortifère ou de l’Eglise catholique empêtrée dans ses archaïsmes qui l’empêchent, malgré les efforts de modernité du pape François, à se prononcer clairement contre la pédophilie, pour l’avortement et le mariage pour tous, les religions libèrent avant tout une vision passéiste, anachronique du monde et s’hérissent contre les libertés et les émancipations. C’est en cela que nous devons considérer que le retour du religieux est un « retour sans avenir » sinon celui de nous faire retourner dans les ténèbres. Le poète syrien Adonis n’a pas tort, lui, d’écrire que « son espoir est que Daech soit le dernier cri » de cet islam des temps anciens.

Si un enseignement devait être tiré de l’analyse de Jean Birnbaum, c’est sans doute de ne pas mépriser « l’élan spirituel » qui nourrit notamment les actes nocifs des intégristes de tous bords, mais c’est surtout d’amplifier l’offensive de la raison contre l’obscurantisme, de ne jamais renoncer aux valeurs universelles portées par le siècle des Lumières. Et cela se nomme la primauté de la politique au sens où Hannah Arendt l’entendait.

Richard Michel



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