Revue de presse

"Politiquement correct : la grande contagion" (J. Waintraub, Le Figaro Magazine, 12 oct. 18)

23 octobre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Géraldine Smith, Vu en Amérique... Bientôt en France, Stock, 2018, 272 p., 19,50 €.

"De nouveaux concepts et théories sont nés ces dernières années aux Etats-Unis. Se propageant par le biais des universités, ces idéologies ont pour ambition de s’imposer dans tout l’espace public. Conséquence : les tensions n’ont jamais été aussi fortes et nombreuses entre hommes et femmes, Blancs et non-Blancs, hétérosexuels et homosexuels... Un livre - dont Le "Figaro Magazine" publie de larges extraits - montre ce qui pourrait bien arriver en Europe.

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Nous, Français, avions tendance à nous moquer des emballements des intellectuels américains. La guerre des sexes, la suprématie du genre, l’obsession de l’identité, l’antispécisme : ces courants pourraient bien traverser l’Atlantique, ils finiraient par se briser sur les remparts de notre bonne vieille culture républicaine. Le politiquement correct n’imposerait pas la dictature des minorités chez nous. Et puis, il y a un an, a déferlé la vague #BalanceTonPorc, réplique hexagonale du tsunami #MeToo. De quoi faire vaciller toutes nos certitudes.

Dans Vu en Amérique, bientôt en France [1], Géraldine Smith raconte ce qui pourrait nous arriver, si nous n’y prenons garde. Installée depuis onze ans en Caroline du Nord, elle s’étonne toujours de n’être dans le regard de ceux qu’elle côtoie tous les jours qu’un « kaléidoscope de tranches identitaires, à savoir par ordre décroissant d’importance : Française, Blanche, femme, hétérosexuelle ». La société qu’elle décrit est à l’opposé du « vivre-ensemble » tant vanté par nos élites de gauche : les femmes s’y battent contre les hommes, les homosexuels, lesbiennes, bis, trans et autres contre les hétérosexuels, les « racisés » contre les Blancs, mais aussi entre eux…

Au gré de son récit, nourri d’histoires vécues, on découvre l’origine de nombre de concepts et de pratiques qui ont déjà cours chez nous. La revendication de pansements pour les peaux non-blanches, par exemple. La journaliste et militante Rokhaya Diallo est la première à évoquer le sujet en janvier, sur France 5. « Rien n’est pensé pour nous, se plaint-elle. Ni les pansements, ni les coiffeurs, ni le fond de teint. » En France, la campagne n’a pas pris, mais Géraldine Smith explique qu’aux Etats-Unis, la revendication a fait l’objet il y a quelques années d’une pétition contre une marque. La couleur beige des pansements était vécue par ses signataires comme une « micro-agression », c’est-à-dire « l’humiliation, volontaire ou non, d’une personne marginalisée par une personne du groupe dominant. » La plateforme Tumblr, qui s’est dotée d’une interface en français en 2011, a ouvert une page dédiée à ces « micro-agressions ». Une source d’inspiration potentielle inépuisable pour Rokhaya Diallo, qui multiplie les allers et retours avec les Etats-Unis, où elle est fréquemment invitée à s’exprimer.

On aurait tort de rire. De l’instrumentalisation d’une question aussi anecdotique que celle de la couleur des pansements à la ségrégation choisie, le chemin n’est pas si long dans un monde occidental travaillé par les revendications identitaires. En France, les « camps décoloniaux » (interdits aux Blancs) organisés par le collectif « afroféministe » Mwasi et les réunions « non-mixtes racisées » (interdits aux Blancs et aux hommes) de l’Unef ou de Sud-Education 93 ne sont que les symptômes annonciateurs de la contagion."


Quand l’Amérique devient folle

En s’installant aux Etats-Unis, la journaliste française Géraldine Smith a découvert un monde où la tyrannie des minorités s’exerce jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne. Selon que l’on est homme, femme ou transgenre, blanc ou « racisé », autrement dit victime d’une discrimination liée à la couleur de peau, on ne jouit pas des mêmes droits. Récit d’une déconvenue.

LA GUERRE DES TOILETTES

« On n’a jamais autant parlé de la Caroline du Nord qu’en 2016, quand la « guerre des toilettes » y a fait rage . En jeu, le droit pour tous - hommes, femmes, transgenres, et a-genres (souhaitant n’être assimilés à aucun genre) - d’utiliser chalets d’aisance et vestiaires publics en toute sécurité. En mars, le gouverneur conservateur de l’Etat, Pat McCrory, avait signé la loi House Bill 2, rendant obligatoire, dans les bâtiments fédéraux, l’usage des toilettes et des vestiaires en fonction du « sexe attribué à la naissance ». Or, les transgenres réclament le droit d’aller dans les lieux correspondant au sexe qu’ils ont choisi. […]
Selon une étude du Williams Institute publiée en juin 2016, environ 0,6 % des Américains se revendiquent comme tels (soit 1,4 million de personnes), deux fois plus qu’en 2013. […] Avec la House Bill 2, les escarmouches entre partisans d’une séparation « traditionnelle » et militants de la cause transgenre, jusque-là réglées au cas par cas, ont tourné à la bataille rangée.
Les médias nationaux se sont emparés d’un dossier très « clivant » dans le contexte de l’élection présidentielle. Pat McCrory n’avait pas vu venir le déferlement de représailles : cinq procès, un boycott de la NBA (la ligue professionnelle de basket), un autre de la NCAA (la ligue nationale du sport universitaire), un concert de Bruce Springsteen annulé, des entreprises renonçant à s’implanter en Caroline du Nord… Au total, un manque à gagner estimé à près de 200 millions de dollars. La polémique a duré un an. […]

L’OBSESSION DU GENRE

À Duke, à Northwestern, à Kenyon (ndlr : trois universités américaines), la question du genre et celle de l’identité sexuelle sont omniprésentes. A Kenyon, un directeur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion supervise l’ensemble des mesures destinées à faire du campus un espace accueillant pour « la communauté LGBTQ + ». Une maison, Unity House, leur offre un « lieu sûr ». Chacun a la possibilité de choisir ses prénoms et pronoms de prédilection, à charge pour le corps enseignant et l’administration de respecter ces demandes. A côté de son nom, James, qui représente le sous-groupe transgenre sur le campus, a ainsi pris l’habitude d’écrire, dans une parenthèse : (they/them/theirs & he/him/his). Il signale ainsi qu’on peut se référer à lui comme à un garçon, en utilisant « il », « lui », « son » ou ne pas préciser son genre en employant plutôt « ils », « eux », « leurs ».
Les « alliés » - professeurs ou étudiants - sont invités à suivre une formation de deux jours au terme de laquelle ils sont autorisés à afficher à l’entrée de leur bureau un logo « safe space » aux couleurs de l’arc-en-ciel. Enfin, les étudiants LGBTQ + sont protégés par un bureau des droits civiques, tout particulièrement chargé de faire respecter une loi d’une grande importance dans le système éducatif américain, connue sous le nom de Title IX. Title IX fait partie d’un ensemble plus large, les « amendements à l’éducation de 1972 ». La loi tient en une phrase : « Personne aux Etats-Unis ne pourra, à raison de son sexe, être exclu de la participation à tout programme ou activité éducative recevant des subventions fédérales, s’en voir refuser les bénéfices, ou être sujet à quelque forme de discrimination. » […]

LE FÉMINISME DE COMBAT

Au fil des ans, Title IX a étendu son champ d’application à toute forme de discrimination liée au sexe. En 2011, après la publication d’un rapport révélant qu’une étudiante sur cinq déclarait « avoir été victime d’une tentative d’agression sexuelle ou avoir été obligée d’en repousser une » pendant sa scolarité, le Bureau fédéral des droits civiques a demandé aux établissements de prendre des mesures « immédiates et efficaces » pour y remédier. Depuis, Title IX est devenu l’arme de choix dans la lutte contre le harcèlement et la violence sexuelle dans les écoles et sur les campus (indépendamment des recours en justice). La procédure va droit au but : tout étudiant s’estimant victime d’agression sexuelle de la part d’un condisciple ou d’un professeur porte plainte auprès de l’Administration, qui doit ouvrir une enquête pouvant aboutir à l’expulsion du coupable. […]
Armando, un garçon portoricain de 22 ans que je connais, sympathique et fêtard, se réveille régulièrement avec la gueule de bois, sans trop savoir comment il a échoué sur tel canapé ou dans tel appartement. En quatre ans, il a été convoqué à deux reprises par son université, au titre de Title IX : la première fois, pour un suçon dans le cou d’une fille lors d’une soirée ; la seconde, pour avoir « dansé de manière sexuellement agressive » pendant une fête caribéenne. Dans les deux cas, les victimes déclaraient ne pas avoir donné leur consentement. Le suçon lui a valu un avertissement. Devant la personne qui l’avait convoqué la seconde fois, Armando a fait le bravache : « Donc je ne peux pas danser la salsa dans une fête ? Vous vouliez que je fasse quoi ? Que je reste assis ? » La responsable a répondu sans conviction : « Tu aurais dû demander aux filles qui étaient sur la piste de danse si elles étaient d’accord pour que tu danses de manière suggestive. » Armando risquant l’expulsion, la réponse ne l’a pas fait rire.
Le consentement est la clé de voûte du Title IX, dont le mouvement #MeToo a pris le relais hors des campus après « l’affaire Weinstein ». Aux Etats-Unis, les règles du consentement sont fixées par les Etats, qui ont dans leur grande majorité adopté le principe suivant : les partenaires doivent donner leur accord mutuel avant l’acte sexuel, mais peuvent changer d’avis au cours des ébats, qui doivent alors s’interrompre (la Caroline du Nord fait exception : on n’y peut pas se raviser pendant l’acte). Il est même possible de rétracter son consentement a posteriori, quand on estime avoir été « induit en erreur ». Par exemple, si le garçon est en couple mais prétend être célibataire, la tromperie se plaide et l’acte librement consenti peut être requalifié en agression sexuelle. Par ailleurs, la notion de consentement est caduque si la victime a bu ou est sous l’emprise de drogues. Le consentement est ainsi une zone grise, mal définie ou sujette à requalification. […]
Comment prouver l’absence de consentement quand, en général, il n’y a pas de témoins ? A cette ultime question, le Title IX apporte une réponse très controversée : la « vraisemblance prépondérante », et non pas une preuve formelle, fait pencher la balance. Autrement dit, en cas de doute, on croit les femmes.

L’ARME DE LA VICTIMISATION

Stop ! You are making me really unconfortable ! (« Arrête, tu me mets vraiment mal à l’aise ! ») est une autre formule détournée de sa vocation initiale. Les jeunes femmes l’utilisent désormais pour couper court à toute discussion qui ne leur convient pas. Je l’entends très souvent. Par exemple, pour accrocher un poster, un étudiant avait dûment réservé un espace qu’une étudiante convoitait. Gentiment, il a proposé de partager le tableau d’affichage mais elle a refusé. Quand il lui a dit qu’elle exagérait, elle a crié « la » phrase, lourde de la menace d’une dénonciation au titre de Title IX pour « agression verbale ». Ce vocabulaire féministe de combat, et l’état d’esprit qu’il traduit, sont ancrés dans la conviction que la « guerre des sexes » est une fatalité.

L’ASSIGNATION À RÉSIDENCE IDENTITAIRE

Aux Etats-Unis, parler de race n’est pas tabou. C’est une donnée statistique de base, au même titre que la date de naissance ou le sexe. Chez le médecin, à l’école, lors de l’inscription sur les listes électorales et pour le moindre sondage, constamment, il faut déclarer son appartenance raciale. Blanc, Noir, Hispanique, Asiatique ? Cochez la case. Avant d’emménager dans une nouvelle maison, ou de postuler pour un emploi, chacun peut vérifier, en ligne, la « diversité raciale » de la future ville ou entreprise. […] Ces statistiques sont issues de recensements fédéraux effectués tous les dix ans depuis 1790.
[…] George, un autre copain, Blanc, né aux Etats-Unis mais dont les parents viennent de Porto Rico, coche « Hispanique ». Son père est un cancérologue réputé. George ne parle pas un mot d’espagnol mais, en se déclarant comme minorité, il a bénéficié de la discrimination positive (un coup de pouce pour entrer à l’université). Pour les mêmes raisons, Aisha, un temps colocataire de Lily (ndlr : deux étudiantes), se déclare « Noire », alors que son père est marocain et sa mère américaine blanche. Ses cheveux crépus lui permettent de revendiquer son « sentiment d’être noire ».
[…] En 2008, Max (ndlr : un étudiant) part au collège déguisé en Notorious B.I.G., un célèbre rappeur noir assassiné en 1997, dont il doit jouer le rôle en classe de théâtre. Casquette à l’envers, sweat à capuche, gros collier doré assorti d’un pendentif en forme de dollar, sa panoplie de Biggie ne vaut pas grand-chose. Pour faire plus vrai, je lui noircis grossièrement le visage au bouchon brûlé. Il se trouve « super ». Mais quand l’entraîneur de football américain, noir, le voit descendre du bus scolaire, il l’attrape par le bras en lui donnant l’ordre d’aller immédiatement se laver la figure. […] Une fois nettoyé, il l’envoie dans le bureau d’un vieux gardien, noir lui aussi, pour une séance d’explication. Mister Foushee est vraiment contrarié : « Max, tu ne comprends pas ? C’est une insulte pour les Noirs, une provocation ! Se déguiser en Noir quand on est blanc, c’est raciste. Blackface ! »
[…] Après six mois d’études au Cameroun, en 2017, Max retrouve son campus dans l’Ohio. Il arrive un soir, tard, sous la pluie. La cantine est fermée. Par chance, il croise Adam, un ami qui l’invite à partager son repas. Dans sa petite chambre, sur un réchaud, Adam prépare du riz auquel il mélange un plat ghanéen à base de poulet que sa sœur - qui vit également aux Etats-Unis - lui envoie. Ce soir-là, les deux garçons décident qu’ils partageront une chambre en troisième année. […]
Quelques jours plus tard, un responsable de Men of Color (MOC), la fraternité noire de leur université, demande à Adam de renoncer à ce projet. Motif : même si Max est un bon copain, à qui ils n’ont rien à reprocher, Adam ne devrait pas aller s’installer en dehors de la communauté de ses « frères de couleur ». Adam est très embêté. Arrivé du Ghana trois ans plus tôt, issu d’une famille privilégiée, il ne se reconnaît pas dans les luttes des activistes noirs sur le campus. […] « Comment pouvez-vous dire que vous œuvrez à la diversité et en même temps empêcher un de vos membres d’habiter avec moi ? demande Max quand Adam lui rapporte sa conversation. Est-ce que vous ne devriez pas être contents de tout ce qui rapproche les gens sur le campus ? Un Noir et un Blanc qui vivent ensemble, c’est une occasion parfaite pour que nos copains se mélangent, pour créer des liens plus solides. » Adam tente d’infléchir la position des MOC. Lui et Max envisagent même que deux autres étudiants noirs, un garçon et une fille, partagent avec eux un plus grand appartement. « Si on est trois Noirs et un Blanc, c’est bon, non ? » dit-il à son interlocuteur des MOC. Mais celui-ci ne cédera rien, répétant que « pour pouvoir nous ouvrir aux autres dans le futur, nous devons d’abord rester entre nous ».
[…] Nico (ndlr : un étudiant) était un excellent élève. Il n’aimait pas jouer au basket. Il a la peau claire, sa petite copine était Blanche. Les autres élèves lui reprochaient d’être un « faux Noir ». Il a joliment formulé son rejet des politiques identitaires dans un article écrit pour la presse locale en 2017, après qu’un sénateur noir républicain avait été traité d’Oncle Tom (House negro) pour avoir soutenu la candidature d’un membre blanc de son parti au poste de garde des Sceaux : « Ce genre d’insulte est habituel pour tous ceux qui osent transgresser un tabou en s’affiliant à un parti jugé incompatible avec leur identité. C’est le sort des Noirs, des homos, des musulmans qui ne se définissent pas comme des gens de gauche. Il n’y a pas de safe spaces pour ces délinquants. » Nico se désole de voir que tant de gens de son âge adhèrent avec enthousiasme à une conception « tribale » de la société. « On ne peut pas réduire les gens à leur origine », fait-il valoir.

VERS LA RE-SÉGRÉGATION

[…] Il ne suffit pas de décréter l’égalité pour qu’elle advienne. En 1961, trois ans avant les lois qui allaient mettre fin à deux siècles de racisme institutionnel, John F. Kennedy avait imposé les premières mesures de discrimination positive dans le domaine de l’emploi (inventant le terme « affirmative action »). Lyndon Johnson, son successeur, justifie cette démarche dans un discours à l’université historiquement noire de Howard en 1965 : « La liberté, ce n’est pas suffisant […] Vous ne prenez pas une personne qui, pendant des années, a été handicapée par des chaînes pour la libérer, l’accompagner sur la ligne de départ de la course et dire : “Allez, tu es libre d’affronter tous les autres” et croire que vous avez été équitable. » […]
A Harvard, Princeton ou Duke, un étudiant sur quatre est désormais d’origine asiatique. […] A court d’arguments, les universités ont invoqué le critère de « diversité » pour justifier leur rejet de candidatures d’une communauté « surreprésentée ». En 2015, un collectif de 64 associations asiatiques a riposté, assignant Harvard en justice pour discrimination raciale, la sélection à l’entrée étant nettement plus difficile pour les membres de leur « communauté ». Le procès est en cours.
Une autre raison de la détérioration du climat est plus insidieuse, plus ambiguë. On la devine derrière un paragraphe noyé dans une étude sur la perception de l’égalité entre races, publiée en juin 2016 par le Pew Research Center (ndlr : centre américain de recherches sociales et démographiques). Pour améliorer les relations entre communautés, « une majorité de Noirs de 18 à 49 ans dit que l’accent doit être mis sur ce qui fait de chaque groupe ethnique et racial un groupe unique » (54 % des 18/29 ans et 50 % des 30/49 ans). […]
Les parents cherchaient à se fondre dans l’Amérique ​blanche [… …] Les jeunes Noirs revendiquent au contraire leur droit à une identité distincte et exclusive dont ils surjouent souvent les codes. Les premiers luttaient pour le droit de s’asseoir à la même table, les seconds veulent qu’on leur dresse une table de même taille, mais séparée.
Men of Color n’est pas un cas isolé. De très nombreuses associations étudiantes noires réclament et obtiennent depuis 2015 des « lieux sûrs », safe spaces propices selon elles à leur bien-être et à leur épanouissement intellectuel. A California State, une université publique de Los Angeles, il y a depuis 2016 des lieux de vie séparés réclamés par le Syndicat des étudiants noirs pour se protéger des « remarques racialement insensibles » et des « micro-agressions » sur le campus. […] Cette tendance à une reségrégation volontaire est l’une des manifestations des politiques identitaires à l’œuvre aux Etats-Unis.
[…] Souvent jeunes, très actifs sur les campus et les réseaux sociaux, les militants de la diversité s’appuient sur le langage de la justice sociale, un lexique fondé sur l’idée qu’il y a d’un côté des victimes et de l’autre des bourreaux. Les « microagressions », par exemple, sont l’humiliation, volontaire ou non, d’une personne marginalisée par une personne du groupe dominant. Le terme date des années 1970 mais il est devenu vraiment courant il y a quelques années, grâce à la plateforme Tumblr qui avait ouvert une page sous ce nom. […]
Une amie me raconte avoir signé une pétition contre une marque de pansements : « Tu sais pourquoi ils sont beiges ? Pour se confondre avec la chair blanche. Nous voulons des pansements noirs ! »

LA POLICE DE LA PENSÉE

Dans une chronique publiée le 5 août par Variety, un hebdomadaire influent d’Hollywood, un critique de film sonnait l’alarme : « Le débat sur la propriété des histoires ethniques se répand comme un feu de brousse dans le monde du cinéma, après s’être propagé dans le monde des lettres où l’on commence à considérer comme allant de soi qu’un auteur ne puisse plus se saisir des expériences d’autres races. » Pour se couvrir et protéger leurs auteurs, des éditeurs pensent avoir trouvé la parade. Ils ont recours à des sensitivity readers, littéralement des « lecteurs de sensibilité », qui sont payés pour débusquer dans des manuscrits toute trace de racisme, de sexisme, de « grossophobie » ou d’autres contenus jugés offensants.
En mai 2017, l’auteur de romans fantastiques Susan Dennard expliquait au Chicago Tribune avoir payé l’un de ses lecteurs, transgenre, pour vérifier la « validité » d’un personnage de sa série "Truthwitch". Dans le même article, un éditeur reconnaissait utiliser des lecteurs de sensibilité en amont de l’acquisition des droits. Une base de données en ligne, Writing in the margins (Ecrire dans les marges), exploite ce nouveau créneau en proposant les services payants de plus de 250 relecteurs. « Ils révisent un manuscrit pour y déceler les préjugés intériorisés et le langage chargé négativement », peut-on lire sur la page d’accueil du site créé par Justina Ireland, elle-même auteur.
« Ils », ce sont une liste de gens classés dans un document Excel par ordre alphabétique, leur nom de famille suivi d’une brève présentation puis de leur domaine d’expertise : Coréen adopté, homosexuel, Juif, Juif orthodoxe, malade en phase terminale, LGBT, Japonais-Américain, sourd, schizophrène, Noir, nonbinaire, dépressif, femme, autiste, acteur de porno, obèse, prédisposé aux allergies alimentaires, unijambiste, sado-maso, a-genre, pauvre, vieux, bibliothécaire, musulman, queer, Hongrois…

UNE MALADIE CONTAGIEUSE

[…] En 2016, j’ai supervisé la rédaction d’une série d’articles destinés à un journal local de Durham. Un groupe d’étudiants devait décrire le quotidien de réfugiés africains francophones à qui ils rendaient régulièrement visite pour les aider à apprendre l’anglais. Les étudiants voulaient projeter une image positive de cette communauté en montrant l’ardeur au travail des uns, l’enthousiasme des autres, les efforts de tous pour mettre leur nouvelle vie sur les rails en moins de six mois, délai au-delà duquel les aides publiques cessent aux Etats-Unis. Leurs reportages mettent ainsi en scène Monique la Congolaise partant travailler de nuit dans une usine de poulets, sans jamais se plaindre ; Guy révisant son anglais ; Aisha bataillant pour apprendre à lire à 17 ans parce qu’elle fréquente une école pour la première fois de sa vie…
En revanche, ce que l’on n’apprend pas dans notre série, c’est que Binta, enceinte de huit mois, boit à tomber par terre, que Pierre a été renvoyé de l’usine pour avoir mis une claque à sa responsable (« je n’ai pas d’ordres à recevoir d’une femme »), que Karim gaspille son forfait pour envoyer aux étudiantes des photos de lit king size, recouvert de satin rouge et de coussins en forme de cœur. Pour éviter d’alimenter en munitions les partisans de Donald Trump, alors en pleine campagne électorale, nous nous étions autocensurés. Nos mensonges par omission ont déformé la réalité en troquant une « représentation stéréotypée » pour une autre : la figure du « migrant problématique » pour celle du « bon réfugié travailleur ».

Judith Waintraub"

Lire "Stop au politiquement correct ! Quand les dérives américaines menacent la France".

[1Vu en Amérique... Bientôt en France, par Géraldine Smith, Stock, 2018, 272 p., 19,50 €. En librairie le 17 octobre.




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