Revue de presse

"Soral, Dieudonné et la "quenellisation des esprits"" (Marianne, 22 fév. 19)

14 mars 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le discours groupusculaire et crépusculaire de l’extrémiste Alain Soral et de l’ex-humoriste Dieudonné, ami des négationnistes et des ayatollahs, est désormais repris dans les milieux les plus divers.

L’antisémitisme, historiquement, est toujours une coagulation des extrêmes, une alliance entre des individus et des groupes que tout semblait séparer. L’obsession du juif constitue leur seul dénominateur commun. Mais, pour que ces noces contre nature puissent être prolifiques, il faut deux éléments : une crise sociale et politique, un climat culturel. C’est ce qui est en train de se produire, dans le sillage du mouvement des « gilets jaunes ».

Le 8 mai 2009, Paris. Au Théâtre de la Main-d’Or, l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala et Alain Bonnet dit Alain Soral présentent à la presse leur « liste antisioniste » pour les élections européennes. « La France black-blanc-beur, elle est là ! » lance Soral. Il explique : « Le seul ennemi de cette République, c’est le sionisme, qui est là et qui nous divise depuis toujours, qui organise en fait les guerres un peu partout dans le monde et en France… » Autour de la table, des jeunes issus de l’immigration, un ancien de la Ligue communiste révolutionnaire, une militante du Renouveau français, un groupuscule qui se définit comme « nationaliste, contre-révolutionnaire et catholique », des anciens du Parti communiste, des Verts et du Front national de la jeunesse.

Sans oublier un certain Yahia Gouasmi qui vient de lancer le Parti antisioniste. Fondateur du centre chiite Zahra France, fervent supporteur des ayatollahs iraniens, ce Franco-Algérien a joué les intermédiaires entre Dieudonné et Mahmoud Ahmadinejad, alors président de la République islamique. « Dieudo » a pu ainsi se rendre à Téhéran pour obtenir le financement d’un film sur l’esclavage. Soral est hanté par les juifs. Il a eu un parcours sinueux du Parti communiste au Front national, quitté en janvier 2009. Il rêve d’amalgamer les rouges, les bruns, et toutes les couleurs possibles dans une formidable alliance « contre le sionisme international, le système, la banque ».

Soral et Dieudonné avaient déjà fait cause commune sur la liste EuroPalestine aux élections européennes de 2004. En 2003, Dieudonné s’est illustré à la télévision, sur le plateau de Marc-Olivier Fogiel, avec un sketch qui se termine par un « Isra-Heil ! ». En 2005, à Alger, il traite la mémoire de la Shoah de « pornographie mémorielle ». En 2008, il invite le négationniste Robert Faurisson sur la scène du Zénith.

Le grand déni

Aux élections européennes du 7 juin 2009, la liste Antisioniste fait un flop, notamment dans les banlieues si convoitées. L’affiche était pourtant juteuse et annonciatrice. Dieudonné y pavoisait avec sa première quenelle. Il commentait avec son élégance habituelle : « L’idée de glisser ma petite quenelle dans le fond du fion du sionisme m’est très chère. »

Dix ans plus tard, pourquoi retrouve-t-on le discours de cet attelage improbable chez certains « gilets jaunes », via les salafistes d’un côté, via les identitaires de l’autre, tandis que le marais hésite, se tâte, n’ose pas condamner ?

C’est que désormais l’antisémitisme s’est amalgamé à l’air du temps. Sur la toile de fond du grand déni. Non, il ne peut y avoir d’antisémitisme dans les banlieues, chez les humiliés. Telle est la thèse à gauche. Indigente et indigéniste. La thèse bobo qui passe sous silence les tweets infâmes d’un Mehdi Meklat ; discrédite les enquêtes menées courageusement sur le terrain ; met en accusation l’historien Georges Bensoussan, traîné devant les tribunaux (il sera relaxé par la cour d’appel de Paris en mai 2018) pour avoir évoqué un antisémitisme islamique.

La haine flambe

Malgré ces yeux grands fermés, la haine flambe sur les réseaux sociaux, nouveau vivier pour Dieudonné et Soral qui y diffusent leurs vidéos. Un beau succès, car l’antisionisme est au cœur des mobilisations de « la banlieue ». Dans son essai sur « les nouveaux enfants du siècle » (Le Cerf), Alexandre Devecchio souligne « la collusion entre dieudonnistes et islamistes réconciliés par et pour un antisionisme que l’on peine à distinguer de l’antisémitisme… Les uns et les autres ont communié aux cris de “Juif, la France n’est pas à toi” lors de la manifestation “Jour de colère”, le 24 janvier 2014 ». Le même cri que celui craché au visage d’Alain Finkielkraut le samedi 16 février, dans une rue de Montparnasse, par un sympathisant salafiste portant gilet jaune, et proche de l’association des Palestiniens de Mulhouse. Il a, depuis, été placé en garde à vue.

En mai 2014, Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, constate dans les colonnes du Monde : « Dieudonné entraîne avec lui une mouvance transversale, antisystème et complotiste dont l’antisémitisme reste la colonne vertébrale. Leur vision est celle d’un ordre mondial dominé par l’axe Washington - Tel-Aviv. »

Le public s’élargit

L’historien britannique Hyam Maccoby, dans Un peuple paria (traduit en français aux éditions H&O), résume avant l’heure ce mouvement de l’opinion qui traverse aussi le travaillisme anglais et déclenche aujourd’hui la fuite de plusieurs députés : « L’un des principes cardinaux de l’antisémitisme de gauche est que le sionisme ne constitue pas un véritable mouvement national, mais un instrument du capitalisme occidental, défendant les intérêts américains au Proche-Orient. Ce point de vue amène à nier toute l’histoire juive ainsi que les liens historiques des juifs avec la terre d’Israël. Il est à l’origine de l’utilisation péjorative du terme “sionisme” comme équivalent d’“impérialisme”. Cet usage s’est étendu pour y inclure de nombreuses accusations antisémites traditionnelles. Comme un complot des juifs du monde entier visant à dominer la planète, et celle d’une puissance financière juive. Bref, le mot “sioniste” est devenu un moyen déguisé de dire “juif” et l’ensemble du syndrome antisémite s’est attaché à ce mot. »

Le public s’élargit. Travesti ou pas, l’antisémitisme fait rigoler quand il ne tue pas. Même quand il tue, d’ailleurs. « Je me sens Charlie Coulibaly », clame Dieudonné au lendemain des massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Il revient en février 2015 dans la capitale iranienne pour remettre une « quenelle d’or » à l’ami Ahmadinejad. Depuis trois mois, comme Soral, il surfe sur les colères d’une foule imprévisible. Le 15 janvier 2019, à la veille d’un spectacle en Bretagne, Dieudonné claironne : « Je suis un “gilet jaune” depuis très longtemps ! »

Face à ce vieux scénario réinterprété jusqu’à la nausée, l’étonnement est vain. « Après l’émancipation [fin du XVIIIe siècle], relève Hyam Maccoby, il y eut une volonté pathétique parmi les juifs de croire que l’âge de la raison était arrivé et que l’élément irrationnel ou mythique, dans la vie sociale, était du passé… Mais, sous le vernis des Lumières, l’ancien mythe profondément inculqué continuait d’affirmer que les juifs n’étaient pas comme les autres êtres humains. »
Il semble que ce soit toujours le cas sous le vernis de 2019."

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