Revue de presse

"Sainte-Sophie : Erdogan entre en guerre de religion" (J.-Y. Camus, Charlie Hebdo, 5 août 20)

21 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"En reconvertissant la basilique Sainte-Sophie en mosquée, Erdogan rompt définitivement avec la laïcité turque."

"Le 10 juillet dernier, la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul est officiellement redevenue une mosquée. Et, le 31 juillet, pour la première fois depuis quatre-vingt-six ans, des milliers de musulmans y sont venus prier le jour de l’Aïd. Pour les incroyants, l’affaire peut sembler sans intérêt aucun : église byzantine, siège du patriarcat orthodoxe de Constantinople, devenue mosquée en 1453 lorsque les Ottomans prirent la ville, Sainte-Sophie pourrait n’être qu’un de ces lieux de culte que se disputent les différents monothéismes, qu’on peut considérer comme guère plus tolérants les uns que les autres.

Sauf qu’Atatürk, en 1934, tout à son œuvre de laïcisation de la Turquie, l’avait transformée en musée, donc en témoin des diverses cultures qui s’épanouirent au bord du Bosphore. Elle aurait dû conserver ce statut, l’Unesco poursuivant sa restauration en attachant un soin égal aux mosaïques chrétiennes et aux éléments musulmans. La Cour suprême turque et la volonté d’Erdogan en ont décidé autrement. Leur décision, purement politique, est une nouvelle preuve de la dérive du pouvoir turc vers l’instauration d’un néocalifat dans lequel le pays souhaite pouvoir intervenir culturellement, religieusement, voire militairement, comme au temps de sa puissance, qui se déployait d’Alger à Bagdad.

Même désaffectés, les lieux de culte sont des marqueurs historiques et culturels. L’islam n’en manque pas, à Istanbul. Le christianisme et en particulier l’immense civilisation byzan­tine, eux, sont réduits à une portion congrue alors qu’à son apogée l’Empire romain d’Orient s’étendait de l’Italie à l’extrémité de la mer Noire et de Carthage à Antioche, englobant tous les Balkans. L’islam politique d’Erdogan, en changeant le statut de Sainte-Sophie, tourne le dos à l’Europe, ce qui n’est pas nouveau. Mais il rompt surtout le statu quo avec le monde orthodoxe, suscitant la réprobation de la Grèce et de la Russie, faisant monter les tensions avec l’ensemble du monde chrétien, puisque le pape a également manifesté son «  affliction  ».

Les réactions des chancelleries et des cultes ne pouvant aller au-delà de la réprobation, Erdogan ouvre une brèche dans laquelle d’autres autorités politiques ou religieuses musulmanes pourront s’engouffrer. Puisque l’époque est à la réécriture de l’Histoire, pourquoi ne pas réclamer davantage  ? C’est ce que vient de faire l’émir de Chardja, Sultan bin Mohammed al-Qasimi, qui souhaite que l’Espagne restitue à l’islam la cathédrale de Cordoue.

Des tensions avec l’ensemble du monde chrétien

Cette tendance à l’instrumentalisation politique de ­l’islam ne trouve, et c’est grave, que peu d’opposition en Turquie même. Le 20 juillet, trois intellectuels kémalistes, Nazif Ay, Mehmet Ali Öz et Yusuf Dülger, ont bien publié une tribune pour dénoncer une « erreur grave » qui « offense les non-­musulmans » et « renforce l’hostilité envers l’islam ». Voix isolées. Si le principal parti d’opposition, le CHP (social-­démocrate), accuse Erdogan d’instrumentaliser Sainte-­Sophie pour faire oublier la mauvaise situation économique, on aimerait l’entendre dire, et aussi, tout simplement, que la Turquie a cessé d’être un pays laïc."

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