Revue de presse

Riss : "Racisme de gauche" (Charlie Hebdo, 25 sep. 19)

25 avril 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a passé une bien mauvaise semaine après la publication de photos de lui déguisé en personnage à la peau totalement noire, lors d’une fête quand il était plus jeune. Son visage était peint d’un noir presque aussi noir que celui d’Al Jolson dans Le Chanteur de jazz, film de 1927. Aux États-Unis, on appelle cela le blackface. Il paraît que c’est une pratique courante là-bas, qui consiste pour un Blanc à se barbouiller le visage en noir pour ressembler à un Noir. Logique. Dans certaines soirées étudiantes sur les campus américains, il n’est pas rare que des étudiants blancs utilisent ce procédé pour égayer la soirée.

Cette polémique met mal à l’aise le gentil Justin Trudeau, champion de la diversité culturelle et des minorités. On ne sait pas très bien ce qui lui est passé par la tête pour se déguiser ainsi, et à la limite ce n’est pas important. Une chose est sûre, pour tomber si bas, c’est qu’il devait bien s’ennuyer dans cette soirée.

En regardant BlacKkKlansman, film de Spike Lee sorti en 2018, on se dit que l’antiracisme était plus simple quand les racistes étaient tous de gros cons comme ceux du Ku Klux Klan. Mais les choses se corsent lorsque le racisme se manifeste chez des gens qui ne sont a priori pas racistes, n’ont jamais commis d’actes racistes, et sont même plutôt ouverts d’esprit et respectueux des autres. Peut-on être raciste et de gauche  ? Quand on est de gauche, on est obligatoirement antiraciste. On n’a même pas besoin de le démontrer, c’est automatique. Vraiment  ? Les clichés ont la vie dure, car même si on exècre le racisme, rien ne vous protège d’avoir un jour un comportement objectivement négatif à l’encontre de ceux qui ne vous ressemblent pas.

Aujourd’hui en France, pour dire « Noir », on dit « Black ». Comme si le mot « Noir » était tellement connoté qu’on n’osait plus le prononcer de peur d’être soupçonné d’avoir des pensées racistes. Le mot « Noir » est devenu presque aussi infâme que les mots « Nègre » ou « Négro », qui eux sont totalement racistes. Quand on est de gauche, on dit « Black », mais on pense « Nègre ». Même le mot « Noir » peut nous causer des ennuis. On l’évite de peur qu’il sonne comme un aveu, comme un lapsus.

On constate la même chose avec le mot « feuj », qui a remplacé le mot « juif ». Certains ont du mal à prononcer « juif », car ils ont l’impression d’utiliser un terme si souvent associé au vocabulaire antisémite qu’ils craignent d’être accusés d’être antisémites. Alors on le remplace par un vocable en verlan qui donne l’illusion de la modernité et permet de parler des juifs sans jamais prononcer le mot « juif ». Étrange gymnastique où le juif est évoqué tout en étant écarté.

De même, le mot « Rebeu », verlan d’« Arabe ». Le mot « Arabe » nous écorche la bouche, car, en l’utilisant, on a le sentiment désagréable de se transformer en Dupont Lajoie raciste. Un peu moins avec le mot « Rebeu », qui n’existait ni à l’époque du maréchal Bugeaud ni à celle du général Bigeard, et qui n’était pas employé dans les colonies.

Et voilà qu’au détour d’une fête déprimante, des petits Blancs avec leurs petits culs de petits Blancs se déguisent en Noirs. En « Nègres ». Parfois, les images prononcent des mots sans même qu’ils sortent de la bouche. On peut donc se proclamer antiraciste et avoir sous le crâne des raisonnements racistes. On peut être de gauche et être raciste.

Un jour, lors d’un reportage en Afrique, je traversais une rue commerçante où les gens se pressaient devant les échoppes pour lire les couvertures des journaux qui accusaient le gouvernement français de tous les maux de cette région. Soudain, derrière moi, j’entendis la voix d’un type qui m’interpella : « Eh, le Blanc, viens là  ! Oh le Blanc  !  » C’était la première fois de ma vie qu’on me désignait par la couleur de ma peau. Je ne me suis pas retourné et j’ai passé mon chemin, car l’ambiance n’était pas vraiment au dialogue. Dans un premier temps, j’ai cru que cette expérience m’avait fait comprendre ce qu’un Africain ressent en Europe quand on le désigne par le mot « Noir ». Pas vraiment, en vérité, car être noir en Europe, c’est une expérience un peu différente. Et puis je me suis dit qu’au fond, ce gars qui m’avait interpellé ainsi avait eu raison. Je suis effectivement blanc. Il a donc le droit de m’appeler « le Blanc ». Mais j’ai aussi de grandes oreilles et un gros nez, et il aurait donc très bien pu m’appeler de cette manière : « Eh, le gros nez, viens là avec tes grandes oreilles  ! » Mais il ne l’a pas fait. Il a fait preuve d’un tact qui l’honore en évitant de me blesser profondément. Finalement, je préfère qu’on m’appelle « le Blanc » plutôt que « Gros nez ». « Gros nez », c’est vraiment raciste. Justin Trudeau, si un jour tu te déguises avec mon gros nez, c’est que tu es vraiment un raciste. "

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