Revue de presse

"En 2018, les conseillères de l’Elysée dénonçaient des comportements misogynes au plus haut sommet de l’Etat" (lemonde.fr , 6 août 20)

16 janvier 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Remarques sexistes, « blagues salaces », mises à l’écart… dans une note, les femmes du cabinet présidentiel visent sans le nommer l’ancien secrétaire général du gouvernement, Marc Guillaume.

Par Raphaëlle Bacqué

C’est une note de deux pages et demie, datée du 8 mars 2018, jour où l’on célèbre habituellement les droits des femmes. Elle a été signée par toutes les conseillères de l’Elysée et sans doute a-t-elle pesé – avec retard – dans l’éviction récente de Marc Guillaume du très stratégique poste de secrétaire général du gouvernement, bien qu’elle n’ait jamais été rendue publique.

Sous la présidence de François Hollande, les collaboratrices de l’Elysée recevaient en ce jour symbolique une rose mais, cette année-là, elles ont fait savoir qu’elles préféraient l’égalité salariale et Emmanuel Macron a fait aussitôt aligner les salaires des hommes et des femmes de son cabinet.

Cette fameuse note a été déposée sur le bureau d’Anne de Bayser, la secrétaire générale adjointe de la présidence de la République, et ce qu’elle contient est plus embarrassant. « Les conseillères » – c’est ainsi que les femmes du cabinet présidentiel ont signé – assurent dès les premières lignes :

« Si nous n’avons pas à souffrir directement de comportements sexistes au sein de votre cabinet, nous sommes régulièrement confrontées nous-mêmes ou témoins de telles pratiques au plus haut sommet de l’Etat. »

Suit une liste de réflexions sexistes entendues dans les réunions interministérielles et jusque dans la cour de l’Elysée. Aucun nom ne figure dans cette dénonciation d’une misogynie quotidienne. Mais pour que les choses soient tout à fait claires, les signataires ont expliqué oralement à Anne de Bayser que, parmi les députés et les fonctionnaires cités, un homme était particulièrement visé : Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement, depuis nommé préfet de la région Ile-de-France.

Ce « haut fonctionnaire » qui, dans leur récit, lance à une jeune énarque : « Vous, vous allez faire carrière grâce à votre décolleté ! », c’est lui, assurent les conseillères. L’homme qui clame en pleine réunion interministérielle après l’intervention d’une collaboratrice, « c’est rare une femme qui pense… et c’est beau aussi, surtout quand ça porte une jupe », c’est encore Marc Guillaume, disent-elles. Toujours lui, affirment-elles encore, celui qui plaisante lors d’une réunion de travail, alors que circule une boîte de chocolats : « Non, je ne prendrai pas de chocolat, chère X… Ça fait longtemps que tu ne m’as pas vu nu, ça se dégrade ! »

Alors même que le président de la République a affirmé l’égalité entre les hommes et les femmes grande cause du quinquennat, il est bon, réclament les signataires, que ceux qui travaillent « au plus haut niveau de l’Etat » aient « une responsabilité encore plus forte que tout un chacun : la responsabilité de l’exemplarité ».

A dire vrai, la réputation de Marc Guillaume à l’égard des femmes est connue au sein de la haute administration. « Déjà, lorsqu’il était directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, ses blagues salaces étaient pénibles », assure un fonctionnaire. Seulement, au poste de secrétaire général du gouvernement, il est devenu puissant. Jamais on n’a rapporté de geste déplacé de sa part, mais il fait rarement l’économie d’une remarque misogyne, s’abritant souvent derrière la plaisanterie.

« On m’a tout de suite prévenue, avant de passer mon premier entretien avec lui : il n’aime pas les femmes, il essaiera de te dévaloriser », raconte ainsi une conseillère qui ne veut surtout pas voir son nom publié. Une fois recrutée, on lui a aussi conseillé de laisser passer ses « blagues » sexistes sans jamais les relever :

« Il préside tous les comités de sélection des directeurs d’administration, autant dire qu’il est chargé de détecter les hauts potentiels de l’Etat. Lui déplaire, c’est l’assurance de voir ta carrière brisée… »

Le « SGG », comme on dit couramment, a la haute main sur les nominations et le moins que l’on puisse dire est qu’il choisit rarement des profils originaux et encore moins des femmes pour les postes stratégiques. « Nous ne comptons plus le nombre de réunions où seule une femme est présente », écrivent encore les conseillères de l’Elysée dans leur note.

Celles que nous avons interrogées aujourd’hui souhaitent toutes conserver l’anonymat, mais leurs témoignages convergent. Lors des réunions interministérielles, les hommes étaient systématiquement placés à la table de réunion. Aux femmes, fussent-elles représentantes d’un ministre ou même conseillère à l’Elysée, on désignait plus souvent, en cas d’affluence, les sièges derrière. C’était ainsi plus facile pour le secrétaire général d’« oublier » de les écouter.

Si l’une d’elles tentait tout de même de se faire entendre, Marc Guillaume pouvait lâcher sur le ton de la plaisanterie « mais, depuis quand laisse-t-on la parole aux femmes ? », en lui coupant bien vite la parole.

« Je comprends qu’une femme qui parle avec un sujet, un verbe, un complément d’objet, ça vous choque », tenta un jour la conseillère d’un ministre, furieuse de son comportement. « Il m’a regardé droit dans les yeux et est passé à autre chose, rapporte-t-elle. Mais, à la fin, je n’ai pas eu mon budget. Le pire, c’est qu’un de ses collaborateurs est venu me voir à l’issue de la réunion pour me dire : “Mais pourquoi tu le braques ?” »

A l’époque, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes est Marlène Schiappa. Lorsqu’il s’agit de trouver des ressources financières, le premier réflexe de Marc Guillaume est souvent de piocher dans son budget tout en se plaignant : « Elle va nous faire une crise d’hystérie. »

En fin de journée, le secrétaire général du gouvernement peut vite donner un drôle de tour aux conversations, imaginant la vie sexuelle d’une journaliste ou « plaisantant » sur le physique d’une conseillère de ministre. « Marc Guillaume a une vraie capacité à être un chef de meute, raconte une autre collaboratrice. Lorsqu’il était là, les hommes se comportaient différemment, s’esclaffant à ses blagues sexistes. » Une autre ajoute encore : « C’est le genre d’homme à être convaincu qu’il aime les femmes… »

Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, et Anne de Bayser ont fait état de cette note des « conseillères » à Matignon et, conscient du danger, le directeur de cabinet d’Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, a prévenu Marc Guillaume. Les remarques déplacées ont peu à peu cessé.

Sollicité par Le Monde, M. Guillaume tient aujourd’hui « catégoriquement » à dire : « La misogynie m’est, dans ma vie comme dans mes responsabilités, totalement étrangère. J’ai, dans mes fonctions au SGG, engagé de nombreuses actions pour lutter contre la misogynie et en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes », ajoute-t-il. Avant d’assurer avoir par ailleurs « le même niveau d’exigence envers les unes et les autres »."

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