Revue de presse

« La pensée “décoloniale” renforce le narcissisme des petites différences » (collectif, lemonde.fr , 25 sep. 19)

26 septembre 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Un collectif de 80 psychanalystes s’insurge, dans une tribune au « Monde », contre l’emprise croissante d’un dogme qui, selon eux, ignore la primauté du vécu personnel et dénie la spécificité de l’humain."

« Les intellectuels ont une mentalité plus totalitaire que les gens du commun », écrivait George Orwell (1903-1950) dans ses Essais, Articles et Lettres. Aujourd’hui, des militants, obsédés par l’identité, réduite à l’identitarisme, et sous couvert d’antiracisme et de défense du bien, imposent dans le champ du savoir et du social des idéologies racistes. Ils usent de procédés rhétoriques qui consistent à pervertir l’usage de la langue et le sens des mots. Ils détournent la pensée de certains auteurs engagés dans la lutte contre le racisme qu’ils citent abondamment, comme Frantz Fanon (1925-1961) ou Edouard Glissant (1928-2011) et qui, au contraire, reconnaissent l’altérité et prônent un nouvel universalisme.

La pensée dite « décoloniale » s’insinue à l’université. Elle menace les sciences humaines et sociales sans épargner la psychanalyse. Ce phénomène se répand de manière inquiétante. Nous n’hésitons pas à parler d’un phénomène d’emprise, qui distille subrepticement une idéologie aux relents totalitaire en utilisant des techniques de propagande. Réintroduire la « race » et stigmatiser des populations dites « blanches » ou de couleur comme coupables ou victimes, c’est dénier la complexité psychique, ce n’est pas reconnaître l’histoire trop souvent méconnue des peuples colonisés et les traumatismes qui empêchent sa transmission.

C’est une idéologie qui nie ce qui fait la singularité de l’individu, qui nie les processus toujours singuliers de subjectivation pour rabattre la question de l’identité sur une affaire de déterminisme culturel et social. Cette idéologie qui relègue au second plan, voire ignore la primauté du vécu personnel, qui sacrifie les logiques de l’identification à celle de l’identité unique ou radicalisée, dénie ce qui fait la spécificité de l’humain.

De la lutte des classes à la lutte des races

Le racialisme, courant de pensée qui prétend expliquer les phénomènes sociaux par des facteurs ethniques – une forme de racisme masquée – pousse à la position victimaire, au sectarisme, à l’exclusion et finalement au mépris ou à la détestation du différent et à son exclusion de fait. Il s’appuie sur une réécriture fallacieuse de l’histoire, qui nie les notions de progrès de civilisation mais aussi des racismes et des rivalités tout aussi ancrés que le racisme colonialiste. C’est par le « retournement du stigmate » que s’opère la transformation d’une identité subie en une identité revendiquée et valorisée, qui ne permet pas de dépasser la « race ». Il s’agit là d’« identités meurtrières », pour reprendre le titre d’un essai d’Amin Maalouf publié chez Grasset en 1998, qui prétendent se bâtir sur le meurtre symbolique de l’autre.

Là où l’on croit lutter contre le racisme et l’oppression socio-économique, on favorise le populisme et les haines identitaires. Ne nous leurrons pas, ces revendications identitaires sont des revendications totalitaires, et ces dérives sectaires, communautaristes, menacent nos valeurs démocratiques et républicaines en essentialisant les individus, en valorisant de manière obsessionnelle les particularités culturelles et en remettant à l’affiche une imagerie exotique méprisante que les puissances coloniales se sont évertuées à célébrer.

Cette idéologie s’appuie sur ce courant multiculturaliste américain qu’est l’intersectionnalité, en vogue actuellement dans les départements des sciences humaines et sociales. Ce terme a été proposé par l’universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw en 1989, afin de spécifier l’intersection entre le sexisme et le racisme subi par les femmes afro-américaines. La mouvance décoloniale peut s’associer aux postcolonial studies ou « études postcoloniales » afin d’obtenir une légitimité académique et propager leur idéologie. Là où l’on croit lutter contre le racisme et l’oppression socio-économique, on favorise le populisme et les haines identitaires. Ainsi, la lutte des classes est devenue une lutte des races.

Effort de mémoire

Des universitaires, des chercheurs, des intellectuels, des psychanalystes s’y sont ralliés en pensant ainsi lutter contre les discriminations. C’est au contraire les exacerber. Rappelons, comme le fait Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie, que la notion d’« emprise », procédé à l’œuvre dans les totalitarismes notamment, fait écho à l’article L. 141-6 du code de l’éducation. Celui-ci, qui stipule que le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de « toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique », est un fondement juridique protecteur de l’université et un argument majeur pour s’opposer à des manifestations idéologiques.

Il est impérieux que tout citoyen démocrate soit informé de la dangerosité de telles thèses, afin de ne pas perdre de vue la tension irréductible entre le singulier et l’universel pour le sujet parlant. La constitution psychique, pour Freud, n’est en aucun cas un particularisme ou un communautarisme.

Nous appelons à un effort de mémoire et de pensée critique tous ceux qui ne supportent plus ces logiques communautaristes et discriminatoires, ces processus d’assignation identitaire qui rattachent des individus à des catégories ethno-raciales ou de religion. La psychanalyse s’oppose aux idéologies qui homogénéisent et massifient. La psychanalyse est un universalisme, un humanisme. Elle ne saurait supporter d’enrichir ce que Sigmund Freud appelait « narcissisme des petites différences ». Au contraire, elle vise une parole vraie au profit de la singularité du sujet et de son émancipation.

Premiers signataires : Houria Abdel­ouahed, maître de conférences à l’université Paris-VII, Alain Abelhauser, psychanalyste, professeur à l’université de Rennes-II, président du séminaire inter-universitaire d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse, Patrick Belamich, psychanalyste, président de l’Association française des centres médico-psycho-pédagogiques, président du Cercle freudien, Patrick Chemla, psychiatre, psychanalyste, fondateur du centre de jour Antonin-Artaud (Reims) et président de l’association La Criée, Patricia Cotti, maître de conférences à l’université de Strasbourg, Laurence Croix, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre, Olivier Douville, maître de conférences à l’université Paris-Diderot, directeur de la revue Psychologie clinique, Roland Gori, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, président de l’Appel des appels, Patrick Guyomard, président de la Société de psychanalyse freudienne, Mohammed Ham, professeur à l’université de Nice-Sophia-Antipolis, Rhadija Lamrani Tissot, psychanalyste, linguiste, Patrick Landman, président du mouvement « STOP DSM », Laurent Le Vaguerèse, psychiatre, psychanalyste, site Œdipe.org, Claude Maillard, psychanalyste, médecin et écrivain, Céline Masson, psychanalyste, professeure des universités, référent racisme et antisémitisme à l’université de Picardie Jules-Verne, Alain Vanier, professeur émérite à l’université Paris-Diderot, président d’Espace analytique.

La liste complète des signataires est accessible sur ce lien.

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