Contribution

R. Diallo et le CNNum : République, laïcité, encore et toujours !

par André Bellon, écrivain ; Michel Bouchaud, proviseur émérite ; Samuel Tomei, historien. 26 décembre 2017

Nommer Rokhaya Diallo au conseil national du numérique allait à coup sûr provoquer d’âpres polémiques et, une fois l’erreur admise, la biffer de la liste des heureux élus revenait à la hisser au rang de victime, figure positive qui, de nos jours, a remplacé le héros. Le secrétaire d’État concerné a raison de considérer que les qualités, en matière numérique, de la militante « féministe intersectionnelle et décoloniale » (sic) ne sont pas en cause car, inutile de se voiler la face, c’est bien de l’idéologie qu’elle défend qu’il est question.

Jean Baubérot a récemment pris la défense de Mme Diallo avec laquelle il a écrit un livre. Or ses arguments – souvent d’autorité – étonnent de la part d’un esprit pourtant connu pour sa finesse, de la part de l’ancien titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laïcité à l’École pratique des hautes études ; à croire que le cas est décidément difficile à plaider.

L’intellectuel va jusqu’à considérer qu’à travers Rokhaya Diallo, c’est « à la République que l’on fait du mal ». Et c’est à la République qu’on fait du mal car Mme Diallo jouirait d’une « reconnaissance internationale » ! Elle s’est en effet exprimée récemment au sein de l’ONU dans le cadre d’un groupe d’« experts »… Il faut se méfier de ce genre d’argument qui reviendra, à en suivre la logique, à conférer une légitimité plus grande encore à l’intervention d’une fripouille qui, elle, prêcherait du haut, excusez du peu, de la tribune de l’assemblée générale des Nations Unies – pure hypothèse, certes.

Précisément, qu’a dit Mme Diallo, aux Nations Unies ? Ses propos valent d’être cités ; ils concernent plusieurs États dont la France : « C’est un racisme d’État que je dénonce comme tel, même si les États le contestent, car il est produit par des institutions et car les États ne mettent pas en œuvre les moyens d’y mettre fin, bien qu’il mette en péril la vie de centaines de citoyens. » Passons sur ce dernier chiffre sorti de nulle part pour apprécier la cohérence : on dénonce à la fois un racisme dont l’État serait sciemment à l’origine et son impuissance à y mettre un terme... Comprenne qui pourra.

Mme Diallo poursuit : « Il est impératif aujourd’hui que tous les pays se mobilisent pour reconnaître le caractère institutionnel du racisme hérité d’une histoire coloniale et esclavagiste et des pratiques créées à cette époque. » C’est la fameuse et fumeuse théorie du continuum colonial chère au parti des indigènes de la République… Continuum dont on exclut les Africains et les Arabes eux-mêmes puisqu’il semble que la conquête arabo-musulmane du Maghreb soit frappée de prescription et puisqu’on ne veut pas savoir que noirs et arabes ont également pratiqué l’esclavage – l’historien Pétré-Grenouilleau a failli naguère faire les frais de ce rappel devant les tribunaux. Le racisme ne peut qu’être celui des blancs ; en effet, selon les antiracistes racialistes, le noir ou l’arabe ne peut pas être raciste puisque, par nature, victime du blanc mû à son insu par le passé colonial de son pays – on exagère à peine hélas et peu importe que Clemenceau ait pris la tête dès les années 1880 d’un courant anticolonialiste qui n’aura cessé de prendre de l’ampleur. Finalement, la pensée « Diallo » s’inscrit comme une démarche raciste au sens où elle essentialise volontairement les blancs. Noir = victime, Blanc= bourreau.

À la lumière des seuls propos ci-dessus cités, le plus étonnant n’est pas qu’on écarte Mme Diallo du CNN du fait de ce qu’elle pense mais qu’on ait songé à elle malgré ce qu’elle pense. Plus étonnant encore : elle n’a pas poussé des cris d’orfraie à l’idée qu’on lui propose de collaborer avec un État selon elle raciste par système ! Elle a préféré, donc, jouer la carte de la victimisation – carte gagnante si l’on en juge par la résonance médiatique de son exclusion du prestigieux conseil national avant même d’avoir pu y siéger.

La République a failli se compromettre avec une égérie d’une nouvelle forme de racisme appelée racialisme mais dont l’identité de structure avec le racisme politique « traditionnel » est claire et nette malgré l’indulgence dont il bénéficie de la part d’une certaine gauche – tout comme le racisme antérieur bénéficie de la mansuétude d’une certaine droite. Ce seul constat suffit à exclure Mme Diallo de toute structure étatique ou para-étatique tout comme un antisémite n’y aurait pas sa place.

Jean Baubérot ne veut pas voir que cette idéologie différentialiste est précisément celle qui ethnicise la société au mépris de l’universalisme républicain qui voit avant tout l’homme en l’individu et non sa couleur de peau ou quelque autre caractéristique physique. Déjà Pierre-André Taguieff, il y a trente ans, mettait en garde contre cette dérive possible de l’antiracisme…

Le premier écart vis-à-vis de cet universalisme humaniste est d’ailleurs la bipartition radicale de l’humanité à travers la pratique de l’écriture inclusive – d’apparition récente dans les articles de Jean Baubérot – ou, ce qui revient au même, la systématisation du redoublement du masculin par le féminin et réciproquement (le fameux « celles et ceux ») qui essentialise l’homme-mâle et la femme, réduit l’individu à son sexe, lui interdisant l’abstraction émancipatrice grâce à laquelle il est partie de l’humanité indifféremment aux différences visibles dont il n’est pas responsable, différences qu’il ne s’agit pas de nier – et sur ce point M. Baubérot a raison : la République est indivisible mais pas « une et indivisible » – mais de subordonner à la loi commune afin qu’elles ne soient précisément pas source de droits particuliers.

On sera d’accord avec lui pour dénoncer le délit de faciès dont on ne saurait contester la réalité – exagérée par Mme Diallo puisque c’est son fonds de commerce –, mais défendre l’idée qu’il y aurait un racisme institutionnel en France est non seulement malhonnête d’un point de vue factuel mais moralement dangereux en ce que l’amalgame qu’on est dès lors immanquablement amené à faire avec les régimes de l’Europe occidentale du premier tiers du XXe siècle, ou avec l’Apartheid, conduit à banaliser ces derniers.

Que Jean Baubérot défende le droit pour Rokhaya Diallo d’aller rabâcher cette sornette, qui n’a pas la moindre réalité, selon laquelle il existerait un racisme d’État en France et que les blancs y seraient guidés par un inconscient colonialiste, nous le défendrons avec lui ; mais qu’il la soutienne sur le fond laisse pantois. Car si nous sommes d’accord pour dénoncer toute forme de racisme, de violence, policière ou autre, le remède n’est certainement pas le racialisme paranoïde de la gauche diversitaire mais bel et bien l’universalisme républicain, bien compris, si imparfaitement réalisé, et dans lequel s’inscrit la loi de 1905 que Jean Baubérot maitrise si bien : un texte qui dépasse un tolérantisme mortel à la République – celui de nos jours prôné par les différentialistes –, la République n’étant rien si elle ne fait fond sur les articles 1er et 3 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – d’une actualité brûlante et qui resteront toujours à conforter.



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