Remise des Prix le 14 novembre 2017 à la Mairie de Paris

VIDEO Prix de la Laïcité 2017. Patrick Kessel : Les pouvoirs publics "soufflent le chaud et le froid"

Président du Comité Laïcité République. 14 novembre 2017

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Madame la Maire de Paris, chère Anne Hidalgo, Mme et MM. les Maires adjoints, Monsieur l’ancien Premier Ministre, cher Manuel Valls, Monsieur l’ancien ministre d’État, cher Jean-Pierre Chevènement,
Mmes et MM. les anciens ministres, députés, sénateurs, anciens parlementaires, ambassadeurs, Présidents et représentants d’associations laïques, militants, citoyennes et citoyens, chers amis, BIENVENUE à cette 12ème édition de la remise des prix de la Laïcité.

Vous êtes exactement 1 265 à vous êtes inscrits. C’est bien plus que cette superbe salle des Fêtes ne peut contenir. Il n’a donc pas été possible de satisfaire toutes les demandes. Par votre présence aussi massive, vous témoignez mieux que de longs discours de la vitalité et des attentes de la famille laïque.
Vous êtes si nombreux qu’il n’est pas possible de citer toutes les personnalités et associations ici représentées. Leurs noms défileront sur l’écran. Que nous pardonnent, par avance, ceux qui auront échappé à notre vigilance.

Mes premiers mots s’adressent à vous chère Anne Hidalgo pour vous remercier de présider l’ouverture de cette cérémonie organisée par le Comité Laïcité République.

Une importante réunion internationale devait vous retenir en Allemagne. Mais vous avez fait en sorte d’être aujourd’hui avec nous et de présider l’ouverture de cette cérémonie des prix de la Laïcité. Une fois encore, vous accueillez le Comité Laïcité République. J’y suis très sensible car c’est un nouveau témoignage de votre amitié et de votre soutien à la Laïcité. En nous recevant dans ce haut lieu chargé d’histoire, vous conférez à cette manifestation une dimension toute particulière, soulignant que Paris, capitale d’une République laïque, se doit d’être le phare international de la liberté de conscience.

Monsieur le Premier Ministre, cher Manuel Valls, votre présence à cette cérémonie participe d’un rituel républicain puisque vous êtes fidèlement des nôtres depuis des années. Tous nos amis ici présents, quels que soient leurs engagements, savent que vous avez été et que vous demeurez une des rares voix politiques à oser défendre la laïcité à voix haute et claire. Vous avez témoigné votre solidarité lorsqu’il s’est agi de défendre Natalia Baléato, la directrice de la crèche Baby Loup, de soutenir Samuel Mayol, le directeur de l’IUT de Saint-Denis, de dénoncer la montée et la banalisation d’un nouvel et intolérable antisémitisme.
Nous avons en mémoire le vibrant et émouvant discours que vous avez prononcé devant les députés, un instant unanimes, le 13 janvier 2015 au lendemain des attentats barbares, propos qui résonnent encore puissamment alors que nos amis de Charlie sont à nouveau victimes d’une salve de haine et de menaces.

Jean-Pierre Chevènement, grand serviteur de l’État, de nombreuses fois ministre, à l’Intérieur, à la Défense, à l’Éducation Nationale, ministre d’État à la Recherche et à l’industrie, vous êtes un inlassable combattant de la République laïque et sociale, de la citoyenneté que je veux saluer avec amitié. Merci de votre présence parmi nous à laquelle je suis particulièrement sensible.

En votre nom à tous, je souhaite saluer tout particulièrement les parents de Charb, le directeur de Charlie hebdo, notre ami, qui présida le jury du prix de la laïcité en 2012. Charb qui nous avait mis en garde, déclarant à cette tribune : “J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent” [1].

Gérard Biard et Marika Bret qui représentent Charlie s’exprimeront dans un instant. Mais, au moment où Charlie est à nouveau l’objet d’une tempête d’insultes et de menaces, il est essentiel d’affirmer haut et fort "Nous sommes toujours Charlie".

C’est pourquoi, le 6 janvier prochain, le Comité Laïcité République, le Printemps républicain et la Licra, avec le soutien de Charlie, vous invitent à une journée de mobilisation intitulée : « Nous sommes toujours Charlie : de la mémoire au combat ». Cette journée se tiendra aux Folies Bergère. Nous vous dirons en fin de réunion comment vous y associer si vous le souhaitez [2].

Je souhaite saluer également les parents et collègues de Franck Brinsolaro qui protégeait Charb, décédé dans les locaux de Charlie, Philippe son frère jumeau, commandant de police à Marseille, son fils Kevin, élève gardien de la paix à l’école de police de Saint-Malo, ainsi que les proches et collègues de Ahmed Merabet qui fut assassiné alors qu’il était au sol. Et saluer la maman de Clarissa Jean-Philippe, abattue de deux balles dans le dos le 8 janvier 2015.

Nous dédions cette cérémonie à leur mémoire ainsi qu’à toutes les victimes des attentats barbares de Saint-Denis et du Bataclan voilà deux ans et un jour.

Je salue également les 70 officiers de sécurité qui ont souhaité se joindre à nous et qui, au péril de leur vie, assurent la sécurité des journalistes, dessinateurs, philosophes, militants laïques, citoyens, menacés de mort pour leurs paroles, leurs écrits ou leurs dessins.

Dans un petit moment, ces femmes et ces hommes seront honorés par le jury. C’est une décision exceptionnelle qui permet d’associer des femmes et des hommes aussi différents que des policiers et des collaborateurs de Charlie, unis par le même dévouement aux valeurs de la République. D’ores et déjà, je souhaite vous rendre l’hommage qui vous est dû par la République car sans vous, la démocratie cèderait sous les menaces et le crime barbares.
(Je vous demande de les applaudir avec chaleur et fraternité)

Je souhaite enfin évoquer la mémoire de deux grands amis de la laïcité qui nous ont quittés cette année : Antoine Blanca, ancien ambassadeur de France en Amérique latine, conseiller de François Mitterrand, ami de Salvador Allende, et Pierre Bergé fondateur du Comité Laïcité République que vous avez souvent entendu défendre brillamment la laïcité à cette tribune.

Il y a un an, ici-même [3], nous évoquions la déchirure sociale mais aussi culturelle du pays. Nous disions notre inquiétude face à la montée des revendications communautaristes qui menacent la paix civile. Nous appelions les forces républicaines des deux rives à retrouver le discours de la citoyenneté et de la laïcité, à lever la confusion qui s’est imposée dans les têtes et à rappeler les principes fondateurs de la République : la liberté de conscience et l’égalité des droits et des devoirs entre tous, quels que soient l’origine, la couleur de la peau, le sexe, les appartenances religieuses et philosophiques. Ces principes ne se négocient pas.

Nous avions souhaité que les élections de 2017 soient l’occasion d’un ressourcement à ces principes. Le Comité Laïcité République, comme la plupart des associations laïques, a appelé à faire barrage à la candidate d’une extrême-droite qui, tout au long de son histoire, a défendu une identité française blanche, catholique, apostolique et romaine, bien peu laïque !
De cela, nous pouvons nous féliciter même s’il convient de demeurer vigilant pour l’avenir.

Mais la laïcité a été peu évoquée, souvent instrumentalisée.
Sur la rive droite, certaines voix se sont élevées pour stigmatiser l’ensemble des musulmans et capitaliser les voix de la peur. Les mêmes qui se posent en laïques, avaient manifesté contre le mariage pour tous et plaident aujourd’hui en faveur des crèches dans les Mairies. Comme si la laïcité devait s’appliquer exclusivement à nos concitoyens musulmans.
Ceux-là n’ont pas abandonné l’idée d’une France fille aînée de l’Église [4].

De la rive gauche, on espérait un sursaut républicain et laïque dans la filiation de Jaurès et de Clemenceau. Pour beaucoup, on eut la course au vote communautaire, les accommodements dits “raisonnables” et les renoncements coupables.

On aurait aimé entendre dans la bouche des candidats que la laïcité, la liberté de conscience et l’égalité entre tous les citoyens et d’abord entre hommes et femmes, ne sauraient être relativisées, contournées, contestées.

On aurait aimé qu’un véritable débat mette en lumière le fait que le multiculturalisme ne conduit pas au métissage, ni même à la rencontre des cultures mais à l’ethnicisation et à l’enfermement dans des ghettos. Que seul l’universalisme porté par la laïcité ouvre la voie à la fraternisation au-delà des origines et appartenances diverses.

Au lieu de cela, des voix d’intellectuels, de sociologues, de journalistes et même plus récemment de quelques élus aux origines pourtant progressistes, ont cultivé le déni des réalités, ont nié les problèmes posés par les revendications communautaristes dans des crèches, des IUT, des écoles, des hôpitaux, des prisons, dans des entreprises, des quartiers, ont détourné le combat antiraciste, ont falsifié le combat féministe, ont masqué la montée d’un intolérable nouvel antisémitisme porté par l’islamisme politique.

Ces voix ne nous feront pas croire que ces obscurantistes seraient les nouveaux damnés de la Terre, les héritiers d’un prolétariat perdu ! La question sociale ainsi caricaturée ne sert qu’à affaiblir la laïcité, à justifier des régressions de mœurs dont les femmes sont les premières victimes, à légitimer des alliances politiques contre-nature avec des forces obscurantistes.
La République est laïque et sociale. Pas l’un sans l’autre !

Résultat, c’est la laïcité qui s’est trouvée accusée d’être « colonialiste », « raciste », « islamophobe » ! On a même pu lire que c’est « le fondamentalisme laïque qui menacerait la France » !
Cet aveuglement évoque celui de ces intellectuels qui, dans les années 30, de retour de Moscou, n’avaient rien vu de l’enfer stalinien ou, un peu plus tard, de retour de Berlin, n’avaient pas perçu la réalité du nazisme.

Régis Debray avait raison voilà trente ans de nous mettre en garde : le droit à la différence débouchera sur la différence des droits, disait-il. Nous y sommes. Et c’est pourquoi nous avons plus que jamais besoin de laïcité.

Les élections de 2017 n’ont pas permis de lever la confusion qui s’est installée dans les têtes. Le débat n’a pas eu lieu mais il divise désormais profondément et la droite et la gauche et même les associations laïques.
Les questions demeurent et il est toujours aussi faux de prétendre qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France.

Le Collectif national laïque qui regroupe plus de trente associations laïques publiera dans les prochains jours son rapport annuel qui en fait objectivement la démonstration.

Six mois après les élections, les perspectives se révèlent indécises et les déclarations soufflent alternativement le chaud et le froid.
Le chaud lorsque le ministre de l’Éducation Nationale adresse des signaux qui semblent aller dans le bon sens concernant l’école. Car la priorité des priorités, c’est de réinstituer l’école de la République.
Le froid lorsque d’autres voix autorisées paraissent vouloir transformer la laïcité en un dialogue interreligieux. Tant mieux s’il permet de rapprocher des communautés de croyants plutôt que de nourrir de nouvelles guerres de religions.

Mais cette démarche n’a rien à voir avec la laïcité ! En revanche elle serait inquiétante si l’engagement de l’État devait servir de cheval de Troie à une sorte de concordat qui ne dirait pas son nom. Qui aboutirait à contourner la loi de séparation de 1905 et à replacer les religions dans le débat politique !
Car s’il est légitime que les religions, comme les familles philosophiques, s’expriment dans les grands débats de société, c’est aux élus du peuple à faire la loi.

Aussi, la mise en place d’une instance interconfessionnelle, même “informelle”, auprès du ministre de l’Intérieur, ne peut manquer de nous préoccuper. L’État doit demeurer extérieur aux considérations théologiques et les clergés extérieurs aux institutions de la République. Selon la formule de Victor Hugo, tout va mieux quand l’État est maître chez lui et l’Église chez elle.

La laïcité sans qualificatif que nous défendons n’est pas qu’une loi. Elle est aussi une philosophie de l’émancipation, de la liberté de conscience et de l’égalité des droits.

Aussi pensons-nous que le Président Macron pourrait rassembler une majorité de républicains des deux rives afin de d’élargir la liberté de conscience à la fin de vie. C’est avec cette volonté de rassemblement que nous soutenons la proposition de loi du député Jean-Louis Touraine que je salue. C’est ce qu’attendent plus de 80% de nos concitoyens.
C’est ce que le Président Mitterrand avait fait pour l’abolition de la peine de mort et le Président Giscard d’Estaing pour l’interruption volontaire de grossesse. Le dépassement des clivages traditionnels trouverait là une concrétisation heureuse.

La laïcité est le moyen de la paix sociale, du rassemblement de toutes les citoyennes, de tous les citoyens, quelles que soient leurs singularités. Elle est la voie de la fraternité citoyenne qui donne tout son sens à la République. Il faut la protéger, la promouvoir et nous sommes disposés à travailler avec tous ceux qui partagent cette volonté.

C’est pourquoi nous travaillons à ce qu’elle soit au centre de la recomposition politique et d’un rassemblement autour d’un projet de République moderne, laïque et sociale.

C’est aussi pourquoi nous avons créé ce prix de la laïcité afin d’honorer celles et ceux qui, parfois au péril de leur vie, se battent pour la liberté, l’Égalité et la Fraternité que porte la Laïcité.

Le jury, indépendant dans ses choix, a beaucoup débattu. Je remercie tous ses membres. Cette année, il est présidé par Alexis Lacroix, journaliste, directeur de la rédaction de l’Express.

C’est un journaliste reconnu doté d’une belle plume, un homme d’éthique et de grande culture. Je souhaite le remercier pour le temps, l’énergie, la simplicité et la gentillesse dont il a fait preuve.



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