Remise des Prix le 8 octobre 2012 à la mairie de Paris

Prix de la laïcité 2012. Discours de Françoise Laborde, lauréate du Prix national

Sénatrice de la Haute-Garonne 9 octobre 2012

Madame la Première adjointe,
Monsieur le Président du jury,
Mesdames et messieurs les membres du jury,
Chers Amis,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier, du fond du cœur, pour cet accueil chaleureux. Bien sûr, je remercie plus encore les membres du jury et le Comité Laïcité République pour cette distinction solennelle. Ce Prix Laïcité 2012 honore mon action en tant que parlementaire et j’y suis également très sensible en tant que citoyenne et femme politique engagée au Parti radical de Gauche.

Je suis très émue, le soutien que vous m’accordez m’apporte vraiment beaucoup de satisfaction et je vous en suis très reconnaissante car, en effet, le chemin a été rude et celui qui reste à parcourir ne manquera pas de l’être.

Avant d’évoquer la bataille que j’ai menée, en faveur de l’extension de l’obligation de neutralité au secteur de l’accueil de la petite enfance, je veux associer à ce prix, pour leur expertise et pour leur soutien, mes fidèles amis de l’association EGALE - Égalité Laïcité Europe. Sans l’appui constant de ces passionnés, j’aurais pu me laisser gagner par le découragement à certaines étapes de cette aventure.

Je voudrais souligner que ce prix s’inscrit dans la continuité de celui décerné en 2011 et j’en suis fière. Je tiens à rendre hommage au courage et à la pugnacité de Natalia Baleato, lauréate 2011, à laquelle je succède. Son combat continue encore aujourd’hui sur le plan du droit mais aussi sur le plan administratif, alors que la crèche Baby Lou a fêté son 20e anniversaire. Par son engagement, elle œuvre pour faire vivre au quotidien ce beau principe de Laïcité que nous honorons pour la 7e édition de ce Prix.

Si je me trouve devant vous aujourd’hui, c’est d’abord en tant qu’auteur d’une proposition de loi dont l’objet est d’apporter une réponse législative au problème complexe auquel était confronté l’équipe de la crèche Baby Loup, celui d’un vide juridique au niveau national concernant la définition des conditions de garde des enfants les plus jeunes. Comment transcrire dans le droit les solutions aux problématiques d’intérêt général qui se posent sur le terrain ?

C’est précisément ce que j’ai cherché à faire en concevant ce texte comme un outil facilitant un vivre ensemble apaisé, dans le respect de la diversité de chacun.

A ce stade de mon intervention, je tiens à évoquer les raisons qui ont motivées mon initiative :
- Après trente années comme professeur des écoles puis directrice d’école maternelle au sein de l’Education Nationale, ma carrière professionnelle m’a rendu tout particulièrement sensible aux questions relatives à la jeunesse et au service public.
- En tant qu’élue locale Adjointe déléguée à la Culture de Blagnac, je suis concernée par les responsabilités électives.
- Enfin, à titre personnel, je suis laïque par conviction.

Lorsque j’ai pris connaissance des difficultés de la crèche Baby Loup, j’ai pris conscience que de nombreuses problématiques constatées sur le terrain s’expliquaient par l’absence de règles communes concernant les conditions d’accueil des plus jeunes, avant leur scolarisation. Je vous rappelle que l’école n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans ! Cela se traduit très concrètement par des situations difficiles pour les professionnels, pour les élus locaux et bien sûr pour les parents.

Beaucoup trop de questions restaient sans réponse :

1. En premier lieu, contrairement à l’école avec un grand « E », le secteur de la petite enfance ne relève pas du service public qui impose aux professionnels des conditions précises pour garantir la santé, la sécurité, l’égalité d’accès des enfants mais aussi le respect de la neutralité tant philosophique, politique que religieuse.
Ma première interrogation était donc une question de bon sens : pourquoi le législateur n’a jamais cherché à imposer, pour l’éducation des enfants les plus jeunes, accueillis en dehors du domicile familial, les mêmes règles que celles qui s’appliquent aux enfants plus âgés durant leur scolarité ?
La neutralité a été oubliée, alors que l’obligation de santé et de sécurité a été préservée. En cherchant bien, on retrouve la trace de l’obligation de neutralité mais seulement dans les conventions passées entre la Caisse d’allocations familiales et les établissements conventionnés.
L’une des solutions pour régler ce problème eut été de déposer une proposition de loi pour faire entrer le secteur de l’accueil de la petite enfance dans la sphère du service public, mais la majorité gouvernementale de l’époque - je rappelle que nous étions en 2010 - y était complètement opposée et le texte n’aurait pas pu être voté. Mais aujourd’hui, est-ce le bon moment ?

2. Deuxième question : dans le conflit du travail qui opposait les responsables de la crèche Baby Loup à leur salariée, pourquoi a-t-il été si difficile de faire valoir les dispositions du règlement intérieur de l’établissement, qui affirment le caractère neutre de l’accueil des enfants ?
Si la crèche avait été un établissement confessionnel, il lui aurait été beaucoup plus facile de faire valoir son caractère propre, confessionnel. Il me semblait y avoir là une rupture d’égalité, en tout cas une contradiction sérieuse.
Afin que cette désolante affaire ne puisse plus se reproduire, il fallait remédier au plus vite à cette anomalie car cet évènement a révélé qu’il est plus difficile de faire respecter le droit à une éducation à caractère laïque que le droit à une éducation à caractère propre dans notre République.

3. Troisième interrogation sous forme de constat : il s’avère que les élus locaux ne disposent d’aucun recours juridique pour contraindre, à la demande des familles concernées, un assistant maternel à cesser toute forme de prosélytisme, à partir du moment où le rapport de confiance est rompu avec ces familles.

4. En découle une quatrième question : en cas de difficulté, pourquoi les familles qui le souhaitent ne pourraient-elles pas faire valoir le droit des parents au choix de l’éducation de leurs enfants, pour garantir un accueil en toute neutralité ?

En tant qu’élue radicale de gauche, très attachée à la laïcité, il m’a semblé important de proposer un cadre législatif qui permette de rétablir cette situation déséquilibrée. Pendant de longs mois, j’ai consulté et réfléchi à une solution législative satisfaisante et qui serait susceptible d’être adoptée devant le Parlement. J’ai choisi de déposer une proposition de loi, au Sénat, et je remercie tous mes collègues sénateurs membres du groupe du RDSE – le Rassemblement Démocratique et Social Européen – de m’avoir apporté leur soutien dans la conduite de cette initiative.

Ce texte propose d’introduire une obligation de neutralité, dans les conditions de délivrance de l’agrément décerné aux professionnels, par le conseil général. Il concerne, sans toutefois le préciser, aussi bien l’établissement d’accueil collectif agréé que l’assistant maternel accueillant les enfants à son domicile.

Ma principale motivation était de mettre en place une base juridique sur laquelle les familles, les élus ou les employeurs puissent s’appuyer pour sortir des situations conflictuelles, nullement de s’immiscer dans des situations où tout se passe bien, mais plutôt de rendre possible un recours juridique en cas de rupture de confiance.

La CAF, elle-même, impose des règles de neutralité dans les contrats de gestionnaire qu’elle passe avec les établissements.

Les détracteurs de ma proposition de loi m’ont opposé le principe de la liberté individuelle, en particulier pour ce qui concerne l’accueil des enfants au domicile des assistants maternels.
Mais je voudrais leur répondre que l’extension de la sphère publique à la sphère privée existe belle et bien, j’en ai trouvé une illustration relative à l’interdiction de fumer. Ainsi le décret qui fixe les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif étend l’interdiction de fumer à " tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail ". Ainsi "l’assistant maternel et les personnes présentes à son domicile ne sont pas autorisées à fumer en présence des enfants accueillis."

Ce que l’on est prêt à faire pour défendre la santé des enfants, il faut être prêt à le faire pour garantir la neutralité de leur éducation, leur liberté de conscience.

Le texte de ma proposition a été considérablement remanié par la commission des lois du Sénat et son rapporteur. C’est pourquoi, je tiens à rappeler que le texte original ne mentionnait pas les établissements religieux dits confessionnels. Considérant que ces derniers ne doivent pas bénéficier de fonds publics, j’estimais qu’ils n’étaient pas concernés par ma proposition de loi. Certes, ces établissements ont toute liberté dans l’affirmation de leur religion, mais le rapporteur M. Richard a jugé plus prudent de préciser explicitement cela et je me suis rendue à ses arguments, même si, pour ma part, je reste opposée à tout versement de financement public à des établissements religieux. Je préfère voir les fonds publics attribués à des crèches municipales ouvertes à tous.

Contraindre les établissements et les professionnels qui reçoivent des aides publiques directes ou indirectes, à respecter l’obligation de neutralité pendant la période de garde des plus petits, sera désormais possible grâce au texte voté au Sénat le 17 janvier 2012, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Pour entrer en vigueur, il doit désormais passer l’épreuve de l’Assemblée Nationale, être inscrit à l’ordre du jour des débats et bien sûr être adopté en séance avant de pouvoir être promulgué. La neutralité deviendrait alors la règle dans le secteur de la petite enfance, ce qui est déjà une avancée de principe et c’est pour cette raison que je l’ai voté en l’état.

Mais quelles seront les conséquences en pratique pour les professionnels ? Cette question m’a souvent été posée. Cette loi n’est pas un catalogue des pratiques « interdites ». Elle instaure un principe général, basé sur la confiance et le respect mutuel. Elle ne fera pas perdre son emploi à l’assistant maternel qui pratique sa religion de façon habituelle, modérée, raisonnable. Elle n’obligera pas le professionnel à changer ses pratiques dans la mesure où les parents en seront informés. Elle n’obligera pas non plus le professionnel à informer les parents de sa religion mais plutôt à déclarer s’il entend la pratiquer de façon ostensible. Cette obligation de neutralité tend principalement à l’empêcher de faire de son métier un instrument de prosélytisme.

Je rappelle que les assistants maternels bénéficient de financements publics que l’on peut qualifier d’indirects. Leur statut ouvre droit, par exemple, à une réduction d’impôt, ou à la prise en charge par la CAF de cotisations sociales et patronales pour les parents, ou encore à une prime à l’installation de 300 à 500 euros. Dans ce contexte, la préoccupation qui est la mienne d’instaurer l’obligation de neutralité me semble d’autant plus légitime.

J’évoquerai très rapidement pour finir, le chapitre des polémiques soulevées par mon initiative. De nombreux messages mensongers ont été diffusés, notamment par mail, méconnaissant complètement mon texte de loi, visant à instrumentaliser et manipuler des professionnels de bonne volonté qui font parfaitement leur travail dans le plus strict respect des familles.
Heureusement, la grande majorité d’entre eux, quelle que soit leur confession, ne se sont pas laissés enfermer dans ce piège. Je ne devrais pas avoir à le préciser mais, comme on dit familièrement cela va mieux en le disant : mon texte de loi ne tend à stigmatiser aucune communauté, il n’est ni islamophobe, ni antisémite, ni christianophobe. Il traite sur un pied d’égalité toutes les sensibilités, s’appuyant sur le droit des parents au choix de l’éducation de leurs enfants, il reconnaît la liberté et le droit d’être laïc au même titre et de façon proportionnelle, au droit de pratiquer une religion. Il n’altère donc pas la liberté religieuse.

La laïcité est un principe constitutionnel d’organisation de notre République et de notre société. Elle n’est ni revancharde, ni négociable. Elle assure les conditions d’un vivre ensemble dans le respect mutuel des particularités et de la liberté de conscience de chacun.

Vous l’avez compris, si c’était à refaire, je le referais car mon mandat de parlementaire me donne des responsabilités, celles de contribuer à faire les lois, et je les assume en parfaite cohérence avec les valeurs laïques que je tiens à faire vivre, celles du Parti Radical de Gauche. Même si ce n’est pas facile, qu’il faut expliquer et expliquer encore, nous devons réinvestir le champ laïc pour lui redonner tout son sens, de génération en génération.
La période que nous traversons, j’en suis convaincue, nous obligera à livrer de grandes batailles symboliques pour défendre notre modèle républicain et ses principes fondateurs : la laïcité, la liberté d’expression, l’égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, et la liberté de conscience. Notre combattivité laïque sera souvent mise à rude épreuve et de nouveaux débats nous attendent dans les mois qui viennent, comme la morale laïque à l’école, la question de la Constitution ou encore celle du Concordat … autant d’occasions pour chacun d’entre nous de promouvoir notre idéal laïc et de le faire vivre avec conviction.

Aujourd’hui, il est fondamental de faire passer ce message et je continuerai à le faire à chaque occasion. Aussi, j’espère que ma proposition de loi sera prochainement mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et qu’elle sera adoptée puis promulguée.

Je vous remercie de votre attention.


Voir aussi tout le Prix de la Laïcité 2012 dans la rubrique Prix de la Laïcité (note du CLR).


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