Revue de presse

"Port du voile sur le lieu de travail : la défaite de la laïcité ?" (lepoint.fr , 20 mars 13)

21 mars 2013

"Jusqu’où le salarié peut-il manifester ses croyances religieuses dans l’entreprise ? Quel est le périmètre du principe de laïcité ? Éclairage.

"L’employeur peut-il systématiquement interdire le port de signes religieux ostensibles au nom du principe de laïcité ? La question a été posée à la Cour de cassation, saisie de deux affaires de licenciement d’une salariée au motif qu’elle portait un voile islamique couvrant ses cheveux. Dans la première affaire, la Cour a confirmé le licenciement de l’employée d’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui portait son voile sous forme de bonnet. Dans la seconde, elle a cassé l’arrêt qui validait le licenciement pour faute grave de la salariée d’une crèche privée (Baby-Loup), jugeant que l’interdiction inscrite dans le règlement intérieur n’était pas opposable à la salariée (décisions du 19 mars 2013).

Le motif d’une telle différence dans les solutions, la Cour de cassation l’explique dans ce communiqué : "Les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé." Par conséquent, s’agissant d’une caisse d’assurance maladie (qui exerce par nature une mission de service public), "peu importe que la salariée soit ou non en contact avec le public", le principe de laïcité impose "d’assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public", souligne la cour. À cet égard, "la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé, à propos d’une école, que le port d’un foulard est un signe extérieur fort de l’appartenance religieuse. La Cour de cassation semble donc admettre implicitement ce raisonnement", commente Malik Douaoui, avocat associé du cabinet Taj.

En revanche, une crèche privée, même dotée d’une "mission d’intérêt général, ne peut être considérée comme une personne privée gérant un service public", explique la Cour. Et d’en déduire : "Le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’étant pas applicable aux employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public, il ne peut dès lors être invoqué pour priver les salariés de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail." Toute restriction de leur liberté d’expression religieuse, même inscrite dans le règlement intérieur de l’entreprise, relève de la discrimination.

[...] Le règlement intérieur de la crèche qui fixe une obligation générale de neutralité n’est pas opposable à la salariée dans la mesure où le principe de laïcité ne s’applique pas aux employeurs du secteur privé ne gérant pas un service public. Ces derniers ne peuvent donc pas priver leurs salariés de la protection issue du Code du travail, et en particulier des dispositions prohibant les discriminations fondées sur les convictions religieuses.

En clair, l’employeur ne peut édicter une interdiction générale de manifester ostensiblement ses croyances religieuses. "Les seules restrictions possibles à cette liberté doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et proportionnée au but recherché", précise l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation. "La justification et la proportionnalité sont des conditions prévues par l’article 1121-1 du Code du travail sur les droits et libertés dans l’entreprise, note Me Douaoui. Par exemple, l’employeur peut interdire à une personne qui travaille près d’un tapis roulant de porter un foulard dans la mesure où la sécurité de la salariée est en danger et où l’employeur se trouve dans l’impossibilité de respecter son obligation de garantir cette sécurité : dans un tel cas, la restriction est proportionnée. En revanche, l’interdiction du bonnet ne le serait pas dans ce même cas", explique l’avocat. Les restrictions à la liberté d’expression religieuse peuvent aussi se justifier par la fonction du salarié, le contact avec la clientèle, l’image que l’entreprise veut véhiculer, etc. "Cela est apprécié au cas par cas. Ainsi, la vendeuse au sein d’une grande maison de couture n’aura pas les mêmes contraintes que celle qui travaille dans le back-office et n’a aucun contact avec la clientèle", illustre Me Douaoui.

La Cour de cassation évoque une troisième condition à la restriction de la liberté religieuse : "l’exigence professionnelle essentielle et déterminante". Une telle exigence est visée à l’article 1133-1 du Code du travail qui autorise l’employeur à introduire des "différences de traitement" répondant à une "exigence professionnelle essentielle et déterminante". "Dans la mesure où la Cour ne précise pas ce terme, on peut imaginer qu’un sacristain qui porte un foulard islamique au sein de son église contrevient à une exigence professionnelle essentielle et déterminante", présume Me Douaoui. Mais quid d’un salarié travaillant dans une crèche ? Celui-ci ne doit-il pas apparaître comme un modèle pour les enfants sans conviction religieuse affichée ? Rappelons que la CEDH jugeait, en 2001, que le licenciement d’une institutrice pour avoir refusé d’ôter son foulard islamique était justifié par le fait qu’elle était susceptible d’influencer les jeunes élèves au travers de ses convictions religieuses. "La liberté de porter le foulard s’arrête là où commence la liberté des enfants de ne pas être influencés de quelque manière que ce soit", décrypte Me Douaoui.

Il n’est donc pas exclu que la cour d’appel de renvoi vienne dire, au nom de cette troisième condition posée par la haute juridiction, que l’employeur était finalement fondé à interdire à la salariée le port du foulard."

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