Revue de presse

"Pardon my french" (A. Lancelin, Marianne, 8 juin 13)

18 juin 2013

"Il y eut dans les rames de métro à Paris, des années durant, une campagne de publicité particulièrement tenace et agaçante pour les cours du Wall Street Institute. On y voyait un jeune cadre supérieur tirant une langue repeinte aux couleurs du drapeau américain, répondre avec un enthousiasme crétin à la question posée plus haut sur l’affiche : « Do you speak english ? Yes ! I speak Wall Street english. »

C’est un peu dans ce monde-là hélas, le monde de l’esclave tertiaire supérieur affichant fièrement sa servitude, que nous avons l’impression d’avoir définitivement pénétré depuis l’adoption par l’Assemblée le 30 mai dernier du fameux article de la loi Fioraso étendant la possibilité de dispenser un enseignement quasi entièrement en anglais sur le sol de France.

On l’aura compris, ce n’est pas la langue de Byron et Melville qui se trouvera ainsi promue chez les étudiants, ni même l’anglais ordinaire que les politiques français échouent invariablement à acquérir depuis trente ans, suscitant l’hilarité de leurs concitoyens, mais bien l’anglais du commerce et des sciences dures, la langue de Goldman Sachs et de The Lancet, le nouvel esperanto mondial.

Il est vrai qu’il y a au moins dix ans que l’enseignement donné en anglais s’est massivement - en réalité illégalement - répandu à bas bruit, notamment dans les business schools, obsédées par leur ranking dans les classements internationaux.

Au point qu’un étudiant qui aujourd’hui n’y serait pas pratiquement bilingue ferait figure de dinosaure égaré dans un supermarché. Ainsi la ministre Geneviève Fioraso a-t-elle eu beau jeu de souligner qu’en l’occurrence il s’agissait plutôt d’aligner la situation des universités sur celle des grandes écoles et, donc, argument phare du socialisme contemporain entier, de mettre fin à une « formidable hypocrisie ».

La procréation médicalement assistée pour les couples gay ? Hâtons-nous de mettre fin à une hypocrisie ! L’euthanasie ? Vite, vite, sortons les seringues, coupons court sans délai à toutes les immémoriales hypocrisies ! « Tu ne tueras pas », entre autres tartuferies old school. Même scénario aujourd’hui avec la loi Fioraso. La langue française - la seule à être présente sur cinq continents ainsi que l’anglais - marque désormais le pas en tant que langue véhiculaire du savoir ? Ne perdons plus une minute ! Otons-lui toute possibilité hypocrite de s’incruster : sabordons-la toutes affaires cessantes !

Pendant ce temps, la Chine, elle, ainsi que le rappelait le linguiste Claude Hagège, l’un des plus féroces adversaires de cette loi, déploie aujourd’hui des moyens financiers considérables pour propager sa langue dans le monde. Un attachement nostalgique d’arriérés, sans aucun doute.

Fut un temps pourtant où la gauche voulait changer le monde, maintenant elle veut juste apprendre à s’y résigner. « Pardon my french », c’est la désopilante expression anglaise pour prévenir qu’on va dire quelque chose de déplacé. Alors voilà, messieurs les Socialistes, pardon my french, mais on ne vous pardonnera pas de nous avoir définitivement condamnés à l’anglais."

Lire "Pardon my french".


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