“Obama, président noir, pas président des Noirs” (Libération, 7 nov. 08)

21 novembre 2008

"« Voilà une famille noire normale, une famille heureuse, avec de très jolies petites filles, entourée de parents qui les aiment et ils vont vivre à la Maison Blanche », expliquait, hier dans le New York Times, une amie de Michelle Obama et future first lady, qui parle « de fierté raciale ». L’Amérique avait déjà eu deux secrétaires d’Etat noirs, Colin Powell et Condoleeza Rice, des juges, des généraux noirs, des ambassadeurs. L’acteur le mieux payé d’Hollywood, Will Smith, est un Noir. Tout comme la personnalité la plus aimée de la télé, Oprah Winfrey. Mais avec Obama, la barrière suprême a été brisée. Interrogé sur le symbole que représente sa réussite, le sénateur dit à la fois parler au nom de tous les Noirs de son pays, mais insiste autant sur son parcours individuel hors du commun. Sur sa mère blanche qui le réveillait à 4 heures du matin pour réviser ses leçons. Sur l’amour de ses grands-parents - blancs - à Hawaii. Sur sa détermination à réussir à la prestigieuse université de Harvard. La position d’Obama sur la discrimination positive a évolué. S’il a toujours soutenu ce programme, il veut aussi l’adapter et faire en sorte que les critères économiques remplacent les critères raciaux. Régulièrement, il explique « ne pas pouvoir savoir si [il] a été admis à Harvard en raison de l’affirmative action, mais si cela a été le cas, je n’en ai pas honte et je dirais que l’affirmative action est justement importante, si celui qui en bénéficie tient ses promesses, une fois que la chance lui a été donnée ». « En réalité, Barack Obama aspire à une société dans laquelle le facteur racial a moins d’importance. Où il n’apparaît pas comme un handicap ou comme un élément automatique de promotion sociale », explique Charles Ogletree, le conseiller du président élu sur les questions raciales. « Il veut faire cohabiter responsabilité individuelle et opportunités pour les Afros-Américains. »

Larmes. A 47 ans, Obama est aussi un enfant des luttes pour les droits civiques, qui ont mis fin à la ségrégation raciale aux Etats-Unis dans les années 60. Il ne s’est jamais associé aux militants historiques comme Jesse Jackson, que l’on a vu en larmes, submergé d’émotion, dans la foule qui acclamait Obama à Chicago. Mais il fait partie d’une nouvelle génération de leaders noirs apparus dans les années 90, qui ont su tout à la fois profiter de l’activisme de leurs prédécesseurs et s’affranchir de la dimension uniquement raciale de leur combat. Après avoir été le premier Noir nommé président de la Harvard Law Review, un poste qui ouvre aux Etats-Unis les portes de plus grands cabinets d’avocat, Obama a préféré retourner à Chicago sur le terrain. Pendant quelques années, il a été un travailleur social dans les HLM de la ville, aidant les Noirs à se battre contre les propriétaires et à sortir de la pauvreté. Autant d’histoires émouvantes qu’il décrit longuement dans son autobiographie mais en refusant toute victimisation.

Professeur à l’université de Chicago, puis sénateur local, Obama est entouré de Noirs qui, comme lui, ont réussi. Il représente cette classe moyenne ou supérieure noire qui est apparue depuis une trentaine d’années. Entre 1978 et 2003, le nombre de médecins, magistrats, professeurs noirs a doublé. D’autres ont choisi, comme Obama, la politique, notamment à Chicago qui a élu en 1982 un remarquable maire noir, Harold Washington. Témoin de cette évolution, Clinton restera comme le président qui a fait venir le plus de Noirs dans son administration, dont certains vont se retrouver dans l’équipe d’Obama. Comme Susan Rice, spécialiste de l’Afrique et de politique étrangère, qui pourrait devenir conseillère pour la Sécurité, ou Eric Holder qui pourrait prendre la Justice. Cependant, c’est le républicain Bush qui nommera des Noirs au plus haut poste de responsabilité, secrétaire d’Etat, l’équivalent de ministre des Affaires étrangères.

Transcender. Ces succès spectaculaires pour une brillante minorité de Noirs ne se traduisent pas par une évolution aussi positive pour l’ensemble de la communauté. Le chômage des Noirs est toujours le double de celui des Blancs ; leur revenu moyen stagne depuis trente ans à 60 % de celui des Blancs ; et il y a toujours quatre fois plus de familles noires sous le seuil de pauvreté. Pour Obama, la question sociale doit transcender la race. Récemment, il a souligné que ses deux filles, Malia et Sasha, « qui ont toutes leurs chances dans la vie », ne devraient pas profiter des programmes de discrimination positive. Il sera un président noir, mais pas un président des Noirs."

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