Contribution

Ne touchez pas à la loi laïque de 1905, loi de liberté séparant les Eglises de l’Etat ! (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 11 décembre 2018

Au nom de lutter contre les dérives intégristes, la montée des pressions politico-religieuses et le communautarisme, il est aujourd’hui question d’un projet de révision de la Loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Églises et de l’État, dont nous fêtons le 113e anniversaire [1]. C’est ce que vient de confirmer le ministre de l’Intérieur à cette occasion [2]. On sait combien cette loi est fondamentale, devenue l’un des grands principes de l’organisation politique de l’Etat. C’est l’absence de rapports de tutelle ou d’organisation avec les cultes, qui rend l’Etat impartial, et ainsi à même de traiter de façon égale l’ensemble des membres de notre société, d’assurer l’égalité des droits, et donc, la paix civile.

M. Cataner explique avoir entamé depuis quelques semaines des consultations avec les responsables des cultes sur ce texte, qu’il souhaite modifier. Ces travaux auront "une traduction législative", a-t-il rappelé lors d’un congrès des musulmans de France, organisé par les fédérations de mosquées réunies au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il parle de « conforter la loi » tout en la présentant comme à dépoussiérer, à moderniser, on sait ce que cela veut dire ! D’autant que l’on connait quels dangers comprend ce projet.

Cette loi ne saurait céder la place, par des modifications qui en altèrent la nature, à une forme quelle qu’elle soit de nouveau concordat, d’accord passé peu ou prou avec une religion ou une autre. Ce serait le cas, si les modifications envisagées, aménageant les conditions d’un nouveau financement des cultes par l’entremise d’associations cultuelles recevant un label d’Etat, se réalisaient. Il est ainsi question de modifier la loi, pour l’adapter à des associations cultuelles musulmanes préférant demeurer jusqu’alors sous le statut d’association 1901, pour éviter certaines contraintes, afin de les faire entrer dans le giron d’une loi de 1905 modifiée leur offrant de nouveaux avantages, dont le financement public de certains travaux concernant les bâtiments cultuels fait partie, ainsi que la possibilité de tirer des bénéfices de la gestion de biens, tout particulièrement d’immeubles... Pourtant, si on veut bien le voir, il existe tous les moyens de contrôler le fonctionnement de ces associations sans pour autant leur concéder ce qui remettrait en cause cette loi fondamentale. D’autre part, croit-on vraiment qu’en cédant par des accommodements, on puisse enrayer d’un pouce la radicalisation religieuse qui galope, alors que cela résulte d’avoir déjà depuis longtemps laissé reculer la République ?

Ce serait non seulement rompre avec l’article second de la loi : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte." Mais aussi, faire d’une loi de liberté une loi de contrôle et donc, rompre avec l’article premier de celle-ci : "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public." Ce serait d’autant plus dangereux que toute velléité de contrôle d’un ou des cultes, ne pourrait se faire sans que dans l’autre sens, les cultes exercent leur influence à nouveau sur l’Etat, et donc, sur les choix de nos concitoyens.

On avance le caractère ordinaire de la Loi de Séparation pour banaliser cette modification. Mais celle-ci, si elle a été adoptée le 9 décembre 1905 comme une loi ordinaire, ne le fut qu’en raison de la nature des institutions de la IIIe République dont l’esprit ne permettait pas de procéder autrement. Comment oublier que, depuis, la laïcité est inscrite à l’article premier de notre Constitution de la Ve République, comme l’un des quatre attributs essentiels de celle-ci. Il est rédigé comme suit : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Ce qui confère nécessairement à cette loi une valeur constitutionnelle, et donc, implique pour tout projet de modification, que l’on en passe par le référendum, comme le prévoit notre Constitution. Et non, qu’on la ripoline sur un coin de bureau avec les représentants des cultes, en légiférant dans l’ombre de l’activité parlementaire ordinaire. Ce serait ni plus ni moins qu’un hold-up !

L’autre procédure de modification d’une loi constitutionnelle, qui est celle du Parlement réuni en Congrès à Versailles (députés et sénateurs devant la voter aux 3/5 des présents), ne saurait ici convenir. Seul le peuple, au nom duquel l’Etat agit en toute chose, aurait ici autorité pour trancher, puisque c’est à son rôle souverain auquel on s’attaque en voulant redonner aux cultes une place dans l’Etat. Faut-il donc ici rappeler que, selon l’article 2 de notre Constitution, la République a pour principe : le « Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Et encore que, selon son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Bien des choses qui sont oubliées, depuis trop longtemps reléguées.

Ne touchez-pas à cette loi ! Ce serait mutiler la France d’une partie de son histoire, de sa modernité, de sa liberté, pour la livrer à nouveau à la concurrence des cultes avec le pouvoir d’Etat, à l’affrontement dans le champ du politique entre la croyance et la raison, débouchant à coup sûr à un moment ou un autre, sur l’affrontement et la violence.

Il faut donc s’opposer avec force à cette nouvelle dérive juridique de remise en cause du cadre constitutionnel républicain, qui vient s’ajouter à de nombreux contournements déjà entérinés par le Conseil d’Etat, dans le prolongement des pratiques clientélistes de trop d’élus. Il faut stopper la décomposition continue, depuis une trentaine d’années de ce principe, fragilisant l’égalité, la loi commune et la citoyenneté. Démocratie ethnique ou démocratie laïque, il faut choisir !

On notera au passage que de nombreux religieux musulmans s’inquiètent qu’une telle modification ne vienne stigmatiser nos concitoyens de confession musulmane. Comment ne pas envisager ce risque, puisque c’est en prenant prétexte de leur existence que l’on entend procéder à cette dégradation de notre République en recréant un lien direct, consubstantiel, entre les Eglises et l’Etat. Faut-il y voir la suite à ce discours du Président de la République devant les représentants de l’Eglise catholique réunis au Collège des Bernardins, le 9 avril dernier, où il avait évoqué l’idée d’un lien « abîmé » avec cette dernière qu’il s’agirait de réparer, en offrant ainsi aux cultes cette voie d’eau dans notre laïcité ? Les autres cultes s’inquiètent aussi, d’être les victimes collatérales de cette atteinte mortelle à notre pacte républicain, craignant par-là, qu’on rouvre la boite de Pandore de la lutte des deux France, laïques contre cléricaux.

La laïcité garantit à tous, par la liberté de conscience comme bien commun porté au-dessus des différences, un vivre ensemble harmonieux. Une laïcité ni ouverte ni plurielle ni accommodante, mais la laïcité tout court, sans qualificatif qui l’affaiblisse, seule à même de garantir la liberté de croire ou de ne pas croire, d’avoir une religion ou de ne pas en avoir, d’en changer ou de les critiquer comme n’importe quelle opinion, d’assurer l’égalité hommes/femmes.

Contre les dérives intégristes, la montée des pressions politico-religieuses et le communautarisme, il n’y a rien de supérieur à la défense de ce principe républicain capital. Il faut contre cette attaque, appeler sans relâche à défendre et à promouvoir la laïcité, seule capable de rassembler tous les citoyens au-delà de leurs singularités autour du projet commun de leur République, pour garantir à tous et à chacun la chose la plus précieuse sans laquelle plus rien n’a de sens et les périls menacent, notre liberté.

Guylain Chevrier

[1C’est le journal L’Opinion qui a révélé le contenu de l’avant-projet de modification, le 5 novembre dernier.



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