Revue de presse

N. Polony : "Nous ne sommes pas tous Jean Moulin" (lefigaro.fr , 9 jan. 15)

10 janvier 2015

"Il est des moments dans l’histoire d’un pays où les vérités se font jour, où le flot du commentaire est interrompu soudain par l’éclat douloureux d’une lumière trop crue. Au moins peut-on rêver que cette lumière rende parfois la vue aux aveugles. Mais pour l’instant, elle a surtout rendu la parole aux muets.

Donc, nous sommes tous Charlie. Cri du cœur essentiel puisqu’il ressoude un peuple dans le refus de l’abjection. Mais ce cri doit-il permettre d’étouffer sous une unanimité de façade les questions gênantes ? Qui oserait proclamer « Je suis Jean Moulin » ? Et pourtant, c’est ce que font les voix médiatiques qui jurent la main sur le cœur qu’elles n’abandonneront pas le combat. Mais quel combat, exactement ?

On pouvait lire jeudi matin sous la plume du directeur de Libération, Laurent Joffrin, ces mots : « Est-ce un hasard ? Les terroristes ne se sont pas attaqués aux “islamophobes”, aux ennemis des musulmans, à ceux qui ne cessent de crier au loup islamiste. Ils ont visé Charlie. C’est-à-dire la tolérance, le refus du fanatisme, le défi au dogmatisme. Ils ont visé cette gauche ouverte, tolérante, laïque, trop gentille sans doute, “droit-de-l’hommiste”, pacifique, indignée par le monde mais qui préfère s’en moquer plutôt que d’infliger son catéchisme. Cette gauche dont se moquent tant Houellebecq, Finkielkraut et tous les identitaires… »

Faut-il en conclure que ceux dont il cite les noms, s’ils avaient été victimes d’un attentat, l’auraient bien cherché ? Et faut-il rappeler au directeur de Libération que les dessinateurs de Charlie Hebdo ont eux-mêmes été accusés d’islamophobie pour avoir martelé toutes les semaines que la laïcité implique le droit au blasphème, à tous les blasphèmes ?

Ils ont eu pour réponse un « Manifeste contre Charlie Hebdo », cosigné par Rokhaya Diallo et quelques autres, et des accusations, au choix, de « connerie », de « masochisme », d’opportunisme, d’irresponsabilité, justement par cette gauche « ouverte, tolérante » mais pas du tout laïque pour qui « laïcard » est devenu une insulte fréquente, autant que par une droite religieuse qui se mit à plaider pour le « respect des croyances » des salafistes au nom de sa propre susceptibilité.

Car c’est bien autour de la laïcité que se joue le drame qui nous bouleverse aujourd’hui. La laïcité comme principe fondateur non seulement de nos lois mais de nos modes de vie. La laïcité qui est intrinsèquement liée au modèle républicain d’intégration que certains ont voulu, depuis quelques décennies, remplacer par un multiculturalisme fait de l’assignation de chacun à ses origines et de la mise sur le même plan de tous les modes de vie et de toutes les valeurs.

En novembre 2013, une chanson interprétée par dix rappeurs stars en marge du film La Marche parlait ainsi : « Ma meilleure amie porte le foulard, plus jolie que ces filles peinturlurées / (…) C’est qu’on te juge du regard, pas grave sista’ / D’t’façon, y’a pas plus ringard que le raciste / Ces théoristes veulent faire taire l’Islam / (…) Je réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo. » Et dans Marianne, Jack Dion s’en émouvait : « Le plus inquiétant, écrivait-il, est que personne ne se soit offusqué d’un engrenage débouchant sur un cri de haine contraire à l’esprit même de la marche de 1983, d’inspiration laïque, et qui était à mille lieues de toute récupération religieuse. À l’époque, il s’agissait de défendre les immigrés. Aujourd’hui, on renvoie immédiatement ces derniers à une essence musulmane supposée ne tolérer aucune critique. »

Mais ce n’était que la suite logique des renoncements qui avaient peu à peu fait traiter de racistes ces professeurs alertant sur les « territoires perdus de la République » où l’on ne pouvait plus enseigner la Shoah ou la théorie de l’évolution, qui avaient classé dans le rang des « réacs » les républicains inquiets de la panne d’intégration. Il n’y a aucun hasard à ce que l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, soit aussi celui de la crèche Baby-Loup.

En octobre 2014, Edwy Plenel, estimant qu’on « islamisait la question sociale », déclarait : « La laïcité originelle n’est pas ce laïcisme sectaire, cheval de Troie de la banalisation du racisme par nos élites. » Il poursuit aujourd’hui en expliquant à propos du carnage : « À force de jouer avec les haines, nous produisons des monstres qui se retournent contre nos libertés fondamentales. Nous avons créé un climat où ces crimes sont possibles. »

Alors disons-le clairement : le fanatisme religieux n’est pas le produit de la discrimination sociale et raciale, même si celle-ci existe. Et ce qui produit des monstres, ce n’est pas le trop-plein de laïcité mais son recul. Ce qui produit des monstres, c’est l’oubli de ce qui fait la France : la fondation d’une communauté nationale, mêlant les origines et les religions, autour d’un idéal commun, celui d’une société laïque et humaniste fondée sur la liberté individuelle, le commerce apaisé entre les sexes et l’inscription de tous les citoyens, d’où qu’ils viennent, dans une histoire et une civilisation."

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