Revue de presse

N. Polony : « Notre école n’a plus rien d’un sanctuaire » (lefigaro.fr/vox , 12 juil. 14)

13 juillet 2014

"Il y a ces deux petites filles qui grandiront sans leur mère et porteront à jamais ce manque. Il y a ces enfants qui garderont pour toujours l’image de leur maîtresse s’écroulant sur le sol, assassinée par une folle le dernier jour de l’année. Par une folle. En tout cas une femme « souffrant de troubles psychiques ayant aboli son discernement » selon le langage consacré des experts psychiatres. On aura d’ailleurs entendu l’habituelle litanie des termes consacrés : « cellule psychologique », « marche blanche » et « drame inévitable ». Comme pour intégrer le plus rapidement possible cette horreur à la longue liste des faits divers déplorables.

Et bien sûr, on pourra répéter qu’il y a des déséquilibrés partout. Et bien évidemment, il n’est pas question de transformer les écoles en forteresses. Mais tout de même, les mots ont un sens. Et il n’est pas anodin que le Ministre de l’Education Nationale ait choisi d’ajouter aux éléments de langage déployés à l’envi le trop classique « l’école n’est pas un sanctuaire. » Une phrase qui se veut un constat. « L’école n’est pas un sanctuaire », de sorte que peuvent y pénétrer les violences et les drames du monde extérieur, et l’on n’empêchera jamais un acte de folie perpétré par un individu en crise.

A ceci près qu’il ne s’agit nullement d’un constat mais bien d’un programme. Maquillé en constat objectif pour renvoyer les « tenants de l’école sanctuaire » à leurs chimères. L’idéologue, c’est toujours l’autre. Et derrière cette phrase, il y a le refus d’admettre que les politiques qui ont peu à peu, réforme après réforme, cherché à tout prix à faire de l’école un « lieu de vie ouvert sur le monde » ont non seulement conduit à un désastre pédagogique avec une école plus inégalitaire et plus inefficace que jamais, mais aussi à une destruction violente du métier de professeur et de ses conditions d’exercice.

La mère qui a tué à coup de couteau l’institutrice de sa fille était certes déséquilibrée. Mais il est significatif que la phrase qu’elle ait prononcé, le déclencheur symbolique de sa violence, fût ce « tu as mal parlé à ma fille » qu’ont évoqué les témoins. Même un esprit perturbé nous dit quelque chose des limites et des tabous d’une société. En l’occurrence, la nôtre a abandonné l’idée qu’il était impensable de lever la main sur un professeur parce qu’il incarnait pour une société laïque et républicaine quelque chose d’aussi sacré que le prêtre de l’ordre ancien.

Aujourd’hui, dans une école qui n’a plus rien d’un sanctuaire, non par fatalité mais par le fait d’une prophétie autoréalisatrice tant de fois exprimée, la moitié des directeurs d’école a déjà été insulté par des parents. Les professeurs sont sommés de « bien parler » à des enfants érigés en demi dieux à la fois hypersensibles et tout puissants. On s’invective et l’on s’insulte parce qu’on est là pour s’exprimer, pour déployer sa spontanéité, et non pour recevoir des savoirs universels transmis par un professeur. Dans l’école qui « n’est pas un sanctuaire », nul n’oserait attendre des chérubins et de leurs parents qu’ils étouffent leurs pulsions sous la décence et le respect pour l’institution et ceux qui l’incarnent. La violence est une fatalité. Elle est surtout beaucoup plus acceptable aux yeux de ces adeptes de la résignation déguisée en réalisme que cette violence institutionnelle que pouvait constituer le fait d’imposer à des enfants efforts et discipline. Car disons-le bien haut : les notes qui traumatisent les élèves, les commentaires sur les bulletins qui alignent les « peut mieux faire » et les « encore un effort », voilà la véritable violence à l’école, celle contre laquelle s’est élevé récemment Benoît Hamon. [...]"

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