Revue de presse

"Mohamed Sifaoui, agir sous la menace" (Marianne, 10 juil. 15)

Martine Gozlan. 18 juillet 2015

"Journaliste, essayiste et réalisateur, président de la Fondation Onze janvier, il se bat contre tous les extrémismes. Du coup, il est ciblé par les islamistes. Portrait.

« L’époque qui nous faisait si peur est arrivée. Des appels au meurtre, des décapitations, des tirs au kalach­nikov dans les rues et contre les rédactions… » Mohamed Sifaoui parle d’une voix tranquille au cœur d’une vie qui ne l’est pas. Le voici à nou­veau menacé par les islamistes. Ses mots décrivent notre présent et le sien, mais le passé y chemine. Ce passé algérien auquel il a survécu, rescapé en février 1996 de l’attentat contre son journal, le Soir. Un temps déraisonnable : tout journaliste était pris pour cible, tout citoyen menacé par les égorgeurs, toute femme – fût-elle voilée – violée et réduite à l’esclavage par les GIA. les Groupes islamiques armés, préfiguration d’Al-Qaida et deDaech. La déraison a franchi la Méditerranée. Très tôt, Sifaoui a compris qu’elle le rattrape­rait sur le sol français. Pour l’avoir subie dans son pays natal, il veut l’identifier dans son pays d’adop­tion. Objectif du jeune reporter qui vient de poser ses deux valises avec sa famille : regarder en face le danger terroriste, démasquer ses réseaux, dénoncer le discours qui en libère les pulsions, les complicités qui le renforcent, les ambiguïtés qui le jus­tifient. D’une enquête à la suivante, du stylo à la caméra, l’investigation s’approfondit.

Près de quinze ans déjà. Entre ce jour glacial de février 2001 où notre confrère pousse la porte de Marianne pour la première fois et ce jour caniculaire de juillet 2015 où nous découvrons avec lui que les menaces s’intensifient, l’homme n’a pas varié d’un pouce. Sa défense de la laïcité et son rejet du communau­tarisme vont de pair avec le combat contre l’extrême droite.

Il dérange parce que nul ne peut !’assigner à résidence. Parce qu’il est en même temps musulman et pour­fend ceux qu’il appelle « [ses].frères assassins » (Mes « frères » assassins, Le Cherche-Midi, 2003). Parce qu’il combat l’islamisme politique autant que le Front national. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, rappelle ce parcours dans une tri­bune du HuffingtonPost : « Il a pour­suivi jean-Marie Le Pen en justice aux côtés de SOS Racisme lorsque l’ex-président du Front national avait stigmatisé les Algériens et les musulmans dans une affiche élec­torale. Il a été l’un des premiers à dénoncer le site Riposte laïque pour ses provocations à la haine envers les musulmans. Il a également consa­cré un ouvrage entier aux positions xénophobes d’Eric Zemmour… » Résultat : Sifaoui devient la cible des officines qui veulent réduire la France à un affrontement entre l’extrême droite et l’islam.

Der­nier avatar du genre :le Collectif contre l’islamophobie en France (Ccif). Marianne souligne depuis longtemps ce qu’il faut penser de ce concept, cache-sexe de toutes les interdictions de penser librement. « Un terme inventé en 1979 par les mollahs de Téhéran pour dénoncer les Iraniennes qui refusaient le port du voile prôné par la République islamique », écrivions-nous avec Eric Conan en mai 2011. Ce col­lectif n’hésite pas, le jour même où est annoncée la décapitation par Yassin Salhi de son employeur Hervé Cornara, à publier un com­muniqué ultra dangereux. « Le vrai danger, assène le Ccif, ne réside pas dans les vaines tentatives de groupes armés de déstabiliser la République. Ses principes sont assez ancrés dans l’esprit des Français et l’histoire de notre pays l’a maintes fois montré. Le vrai danger réside du côté de ceux qui utilisent ces événements pour déverser leur haine contre une partie de la population qui est, de fait, celle qui paie le plus lourd tribut face au terrorisme. » Autrement dit, la terreur et la barbarie, ce n’est pas sérieux. La tête décapitée d’Hervé Cornara, les huit personnes assas­sinées de Charlie Hebdo, les poli­ciers abattus, les quatre victimes de l’Hyper Cacher, les enfants juifs et les militaires tués à bout portant par Merah, seraient des « détails », pour reprendre la sinistre expression lepéniste. Les vrais coupables ? Non pas les bourreaux, mais ceux qui osent évoquer leurs victimes, défendre leur mémoire et se battre contre une idéologie meurtrière. Parmi eux, Mohamed Sifaoui est désigné, encore et toujours. Sa photo est mise en ligne sur le site du Ccif. Ce qui déclenche, en ces jours de fièvre, une nouvelle surenchère de la haine.

Notre confrère en est à son 13ème dépôt de plainte pour menace de mort et vit sous protection policière. Il sait pourquoi on veut le faire taire : « L’enjeu est de taille : il s’agit de diabo­liser et de déshumaniser tous ceux qui critiquent l’islamisme. On vise ainsi à écarter totalement les acteurs de cette société qui représentent la nuance, Le refus du radicalisme religieux et de la terreur en même temps que de l’extrême droite. » Pourquoi, dans ces conditions, le Ccif jouit-il d’une telle honorabilité ?

Ses « analyses » et ses « tableaux » sont repris en chœur par des médias moutonniers, ce qui per­met de faire avancer auprès de l’opinion la thèse d’une islamopho­bie plus dangereuse que le terro­risme. Dépêchée par le Parti socia­liste, une porte-parole, Corinne Narassiguin, assiste même au dîner de gala de l’association le 29 mai dernier [1]. Parmi les invités : Houria Bouteldja, égérie des Indigènes de la République, Rokhaya Diallo, pour les Indivisibles, ou Pascal Boniface. Jean-Christophe Cam­badélis avait présenté quelques jours plus tôt, Rue de Solferino, une motion intégrant le concept d’islamophobie « parmi les idées d’extrême droite à combattre ». Le Ccif pouvait donc pavoiser en cette nuit de gala. La mise aux enchères d’un dîner avec Tariq Ramadan, apparu souriant, en duplex, deus ex machina coraniquement compa­tible, a remporté le plus vif succès, comme le raconte notre consœur de Slate, Ariane Bonzon. De quoi agacer les dents de Manuel Valls, lui qui affirme : « Nous ne voulons ni frères musulmans ni salafistes ! »

Les islamistes se nourrissent de ces incohérences. En janvier, la rage et la douleur au cœur, Mohamed Sifaoui avait repris le chemin des cimetières pour rendre un dernier hommage à ses amis de Charlie Hebdo. Il n’aurait jamais cru marcher un jour, à Paris, comme à Alger autrefois, derrière le cercueil d’hommes et de femmes assassinés parce que la liberté était leur métier.

Trois mois plus tard, il lance la Fondation Onze janvier (lire Marianne n° 945). Parmi les objec­tifs : « déconstruire les thèses extré­mistes » et « assumer la fracture idéologique entre ceux qui adhèrent au corpus démocratique et ceux qui minent les valeurs fondamentales ». Son combat est le nôtre."


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