Note de lecture

Malika Sorel-Sutter : La République se meurt de la faiblesse de ses partisans

par Patrick Kessel 7 décembre 2015

Malika Sorel-Sutter, La Décomposition française, Fayard, 2015, 18 e.

Malika Sorel ne fait pas dans la mesure. Elle cogne. Parfois, emportée dans son élan, avec trop de force, penseront certains lecteurs, mais à la mesure de son inquiétude et de sa blessure, elle qui, issue de l’immigration arabe, diplômée de plusieurs grandes écoles françaises, a fait de l’intégration un thème de prédilection. Elle qui sait qu’elle peut dire des choses qui seraient politiquement très incorrectes sous d’autres plumes que la sienne.

Elle décerne donc ses flèches trempées au vitriol à la gauche et à la droite, qui "ont occulté le réel, l’ont travesti pour finalement capituler". "La France et la République ne se meurent pas tant de la force de leurs adversaires que de la faiblesse de leurs partisans", dit-elle, désignant ces "élites de commandement", responsables de la "décomposition française". " Ce n’est pas la République qui a échoué, mais l’Etat", écrit Malika Sorel dans son dernier ouvrage qui résonne comme un appel à la mobilisation.

"Le relativisme a été le cheval de Troie du multiculturalisme au service d’un libéralisme débridé, dévoyé". La véritable cassure s’est produite en 2005 avec l’embrasement des banlieues, dont les causes culturelles ont été masquées sous la seule explication sociale, estime-t-elle. Dans la foulée du "mythe de la France black-blanc-beur", porté par la victoire du Onze tricolore, après le lancement d’associations ouvertement différentialistes, le communautarisme a été porté par une partie de la gauche intellectuelle et politique, croyant servir la lutte anti-raciste.

Mais, rappelle l’auteur, et c’est un euphémisme, la droite n’a pas été plus claire. Ainsi rappelle-t-elle que, sans la courageuse opposition de Simone Veil, Nicolas Sarkozy aurait fait inscrire le droit à la différence dans la Constitution, ouvrant ainsi une voie royale aux politiques de discriminations dites positives.

Au fil des pages, Malika Sorel évoque le débat sur l’identité française, la crèche Baby-Loup, les mères voilées-accompagnatrices de sorties scolaires, les accommodements dits "raisonnables", les modifications des programmes scolaires, le rapport Tuot sur l’intégration, les statistiques ethniques, la judiciarisation de la société via les "class actions", les circulaires du Conseil d’Etat sur la loi de 1905..., comme autant de symptômes de l’affrontement entre défenseurs de l’universalisme républicain et tenants du différentialisme communautaire. Un choix de société qui ne dit pas son nom et qu’on ne souhaite pas trancher, plus souvent par électoralisme que par conviction, estime Malika Sorel-Sutter.

La laïcité se trouve en première ligne dans cette bataille dont l’enjeu n’est, ni plus ni moins, que la pérennité de la République. La laïcité "sacrifiée, non pas par désir de la sacrifier, mais par nécessité, parce qu’elle représente une digue", par des partis qui "la bafouent, la prenant pour une variable d’ajustement". " Une laïcité qu’il ne faut pas laisser réduire à une simple neutralité", qui "établit une séparation entre spirituel et temporel", qui "hiérarchise" et "dessine bel et bien, un modèle de société". Et qui n’a pas pour vocation "de protéger les religions lorsqu’elles se mettent à barrer aux hommes la route de l’individuation".

Le constat que nous livre Malika Sorel est particulièrement décapant. Ses propositions, pour certaines, se nourrissent de celles de l’ancien Haut Conseil à l’Immigration et de sa mission laïcité dont elle fut membre actif. Mais cet ouvrage est d’abord le cri du coeur d’une femme dont les convictions et le parcours personnel plaident en faveur d’une citoyenneté universaliste. Celle qu’évoquait Romain Gary lorsqu’il disait : "Je n’ai pas une goutte de sang français mais la France coule dans mes veines".

Patrick Kessel


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