Revue de pressse

M. Lazar : "Le PS miné par le pouvoir" (Le Monde, 20 mai 17)

Marc Lazar, historien. 29 mai 2017

"Porté par un idéal de transformation radicale, le PS se plie au principe de réalité une fois au gouvernement. Une contradiction qu’il doit résoudre pour sortir de la crise, soutient l’historien Marc Lazar.

Parti de rupture ou de gouvernement ? Cette tension jamais résolue menace le Parti socialiste de désintégration. Professeur d’histoire et de sociologie politique, directeur du Centre d’histoire de Sciences Po et président de la School of ­government de la Libre université internationale des études sociales (Luiss, Rome), Marc Lazar est coauteur de l’ouvrage Le Parti socialiste unifié. Histoire et postérité (Presses universitaires de Rennes, 2013). Il retrace les grandes étapes de la douloureuse confrontation du PS avec l’exercice du pouvoir.

Le PS est-il mort, comme l’a récemment déclaré Manuel Valls ?

Je serais plus prudent. La crise qu’il traverse est périlleuse mais il en a connu d’autres. Chaque fois que les socialistes ont été au pouvoir sous la Ve République, les tensions qui se sont ensuivies ont entraîné des échecs électoraux : lors du premier mandat de François Mitterrand (ils perdent les législatives en 1986), lors du second (déroute aux législatives de 1993), lors de l’élection présidentielle de 2002, où Lionel Jospin a été éliminé du second tour… Manifestement, l’exercice du pouvoir plonge toujours le PS dans de grandes difficultés et dans de douloureux débats internes.

Ces difficultés se sont-elles aggravées sous le quinquennat de François Hollande ?

Un certain nombre d’éléments ont amplifié le problème. C’est d’abord l’écart entre le discours et les actes en matière de politique économique et sociale. La fameuse phrase de François Hollande lors du discours du Bourget – « Mon ennemi, c’est la finance » – s’est rapidement heurtée à la nouvelle orientation économique du gouvernement en faveur des entreprises.

C’est, ensuite, la question de l’Union européenne, qui divise depuis des décennies le Parti socialiste. François Hollande avait annoncé qu’il allait tenter de renégocier le traité de stabilité budgétaire pour infléchir la politique d’austérité : cela ne s’est pas fait, et cet échec a mis à nu la division sur ce sujet au sein du Parti socialiste. [...]

C’est, encore, la question de la fonction présidentielle sous la Ve République, sujet toujours épineux pour un parti dont la tradition est la démocratie parlementaire. [...]

Ce sont, enfin, les attentats terroristes, qui ont ouvert une ligne de fracture autour de la déchéance de nationalité.

[...] Qu’appelle-t-on la « troisième voie » ?

Théorisée par le sociologue et philosophe britannique Anthony Giddens, la « troisième voie » vise à créer une philosophie politique et économique à mi-chemin entre la social-démocratie et le libéralisme. Elle a été lancée en Amérique par Bill Clinton [président des Etats-Unis de 1993 à 2001] et en Europe par Tony Blair [premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007], puis reprise par le social-démocrate Gerhard Schröder [chancelier fédéral d’Allemagne de 1998 à 2005]. L’idée est la suivante : le capitalisme a changé, on ne peut pas ignorer la mondialisation, elle crée des inégalités mais elle fournit aussi d’énormes opportunités. Autrement dit : il faut se réconcilier avec une forme de libéralisme, et donner leurs chances non plus à des catégories sociales mais à des individus. D’où l’importance de l’éducation et de la formation – grand thème de Tony Blair dans les années 1990 –, seules à même de répartir au mieux ces opportunités en aidant les catégories les plus faibles. Lesquelles ne sont plus seulement les classes populaires, mais aussi des classes moyennes émergentes malmenées par la mondialisation.

Cette évolution a déclenché l’un des grands débats de l’histoire du socialisme européen, peut-être le plus grand depuis celui entre Bernstein et Kautsky. Car elle a de multiples conséquences sur le paysage politique : l’affrontement gauche-droite s’estompe au profit d’un clivage entre progressistes et conservateurs ; le centre gauche devient le dépositaire d’une forme d’optimisme ; le rôle de l’Etat s’amenuise ; les droits sociaux s’accompagnent de devoirs et de responsabilité individuelle… Tous ces éléments ont secoué fortement tous les partis socialistes et sociaux-démocrates. La majorité d’entre eux se sont reconnus dans cette proposition – à l’exception notable du PS.

Pourquoi cette résistance au changement du Parti socialiste français ?

Parce que cette troisième voie emprunte beaucoup au libéralisme, et que ce « social-libéralisme » ne passe pas dans la gauche française – du moins officiellement. Car, en réalité, lorsqu’ils sont au pouvoir, les socialistes français tentent eux aussi de mener cette politique. Mais ils ne le disent pas : ils sont à nouveau dans une forme de réformisme honteux. En premier lieu pour des raisons historiques : à la fin des années 1990, alors que le débat fait rage au sein des social-démocraties européennes, le gouvernement Jospin, au pouvoir de 1997 à 2002, est soutenu par une gauche plurielle rassemblant notamment le Parti communiste français (PCF) et Les Verts. Tactiquement, pas question, donc, d’aller dans cette direction. Pour des raisons culturelles, ensuite : au sein de la gauche française, la troisième voie est perçue comme un libéralisme uniquement économique. Or, si le PS est progressiste en termes de libéralisme culturel (défense des libertés individuelles), il est nettement moins à l’aise avec le libéralisme économique. Nous avons en effet une culture étatique très importante héritée de notre histoire monarchique.

Enfin, la troisième voie suppose de s’affranchir du clivage gauche-droite, ce qui est inadmissible pour l’ensemble de la classe politique française. C’est en effet la France qui a inventé ce clivage, selon la position géographique prise par les différents partis politiques dans l’Assemblée constituante de 1789 ! C’est la division suprême, la summa divisio dont parlait l’historien René Rémond, celle qui structure les mentalités, les cultures et les comportements politiques. Et cette division a encore été renforcée sous la Ve République par la loi électorale du scrutin majoritaire à deux tours : même si le clivage entre gauche et droite est de plus en plus difficile à comprendre sur les questions économiques, il revient en force au moment de l’élection. C’est ce que perturbe aujourd’hui Emmanuel Macron.

Quel résultat a donné cette troisième voie dans les pays qui l’ont suivie ?

Tous les tenants du social-libéralisme le savent aujourd’hui : la troisième voie n’est pas la solution miracle. Certes, elle réduit le taux de chômage dans la plupart des pays qui l’ont suivie. Mais au prix d’un creusement des inégalités, qui s’est encore accentué depuis la crise financière de 2008. Résultat : non seulement ces politiques sont aujourd’hui contestées, mais elles ne garantissent plus la victoire des partis qui les portent – en Italie, le mouvement démocrate de Matteo Renzi est ainsi sévèrement concurrencé par le Mouvement 5 Etoiles.

La mondialisation nous plonge dans une phase historique de bouleversement, et toute la gauche européenne est en crise. Le problème n’est donc pas propre à la France. Mais plus encore que les autres partis social-démocrates, le PS, du fait de sa résistance au changement, souffre d’une faiblesse d’élaboration intellectuelle et de travail théorique. Aujourd’hui, c’est peut-être ce qui pèse le plus sur sa survie.

Quel avenir peut-on prédire au PS français ?

Le PS est dans une situation gravissime. ­Depuis le congrès d’Epinay, au cours duquel François Mitterrand, en 1971, a pris le contrôle du tout nouveau PS, sa grande force a été de parvenir à rassembler des sensibilités différentes autour d’un projet. Or, la machine vient d’exploser en vol. Le quinquennat de François Hollande a mis au jour qu’il y avait peut-être en effet, comme le disait ­Manuel Valls, des gauches « irréconciliables ». La gauche française peut aujourd’hui être comparée à un champ magnétique à deux pôles : le pôle Mélenchon et le pôle Macron. Ecartelé entre ces deux forces contraires, le PS voit son centre se fragiliser, alors qu’il s’agit justement d’un parti gouverné au centre.

Se sortira-t-il de cette crise ? S’il doit continuer d’exister, il lui faudra tout refonder : ses bases, son identité, sa stratégie. Il lui faudra surtout faire un devoir d’inventaire de son exercice du pouvoir, en remontant jusqu’en 1981. Après le quinquennat qu’ils viennent de vivre, les socialistes ne peuvent plus éviter cet examen de conscience. Moyennant quoi ils parviendront peut-être, pour certains d’entre eux, à « garder la vieille maison »."

Lire "Pourquoi le pouvoir a toujours miné le Parti socialiste".


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