Revue de presse

"Lycée musulman Averroès : des notes du renseignement au cœur du premier volet judiciaire" (la-croix.com , 25 jan. 24)

25 janvier 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Reportage Devant le tribunal administratif de Lille mercredi 24 janvier, le représentant de la préfecture du Nord a soutenu que le lycée Averroès véhiculait une doctrine « séparatiste ». Les avocats du lycée ont tenté de démontrer le contraire, dénonçant le manque d’éléments du dossier. La décision de cette procédure en référé suspension devrait être rendue dans les jours qui viennent, en attendant le jugement sur le fond.

Marguerite de Lasa

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Le lycée Averroès de Lille, principal lycée musulman sous contrat de France, peut-il continuer à être financé par les deniers publics ? C’est sur cette question qu’ont débattu, mercredi 24 janvier devant le tribunal administratif de Lille, l’avocat représentant la préfecture et les avocats du lycée Averroès.

Ces derniers avaient déposé début janvier un recours en référé suspension visant à suspendre les effets de la décision du préfet du Nord, qui avait décidé le 7 décembre de résilier le contrat d’association liant le lycée Averroès à l’État. Cette procédure d’urgence a été introduite en attendant un jugement du tribunal sur le fond, qui tranchera plus tard sur l’annulation ou non de la décision préfectorale.

Devant une salle d’audience comble, les avocats des requérants – l’association Averroès, le comité social et économique ainsi que l’association des parents d’élèves du lycée – ont d’abord dû convaincre du bien-fondé de leur requête, argumentant à la fois sur l’urgence à statuer rapidement et sur le fait qu’il existe un « doute sérieux » concernant la légalité de la décision préfectorale. « Cette décision de résiliation est un arrêt de mort d’un point de vue financier » pour l’établissement, a lancé Vincent Brengarth, avocat de l’association Averroès, arguant également que cette mesure, qui ne prendra effet que le 1er septembre prochain, a d’ores et déjà des conséquences sur l’organisation de l’établissement, le recrutement des professeurs et la scolarité des élèves.

En face, le défendeur, représentant la préfecture, a contesté la légitimité de leur requête, estimant qu’il n’y avait pas d’urgence puisque la décision de résiliation ne sera opérante que le 1er septembre 2024. « Que le personnel soit affecté, que la direction se pose des questions ne relève pas d’un préjudice grave et imminent », a-t-il protesté. Les avocats ont ensuite contesté la légalité de la décision de résiliation, jugeant que les droits de l’association n’avaient pas été respectés, mettant notamment en cause le déroulement de la commission consultative académique réunie le 27 novembre, qui a voté la décision.

Une décision « politique » pour la défense

Sur le fond de l’affaire enfin, les avocats de l’association ont estimé que la décision de résiliation n’était pas fondée et « constituait un détournement de pouvoir manifeste », puisqu’elle intervient selon eux « en contradiction avec les conclusions de l’ensemble des rapports publics produits jusqu’ici » sur le lycée Averroès.

Et Me Vincent Brengarth d’évoquer les nombreuses inspections dont a été l’objet le lycée depuis son passage sous contrat avec l’État en 2008, qui font de lui le lycée le plus contrôlé de la région. Vincent Brengarth a notamment relevé « la conformité du contenu pédagogique de l’établissement » avec les valeurs républicaines, et « la validité du cours d’éthique musulmane », soulignées par le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), de juin 2020.

« Or du côté de la préfecture, on constate une carence objective d’éléments pour justifier la mesure de résiliation », a dénoncé l’avocat, soutenant que la préfecture avait passé sous silence le rapport favorable de l’IGESR et s’était appuyée pour justifier sa décision uniquement sur un rapport de la cour régionale des comptes de juin 2023 et sur deux notes blanches. Des documents peu solides selon la défense de l’établissement, qui met en cause ces notes blanches « non signées, non circonstanciées et produites de manière unilatérale par l’administration ».

« La présence de notes blanches trahit la carence d’éléments probants », a jugé Me Vincent Brengarth. « Nous démontrons le caractère politique de la mesure, qui se caractérise aussi par une forme de deux poids deux mesures par rapport à d’autres établissements », a déclaré l’avocat, faisant une claire allusion à l’établissement catholique parisien sous contrat Stanislas, actuellement sous le feu des critiques.

« Pourquoi la préfecture ne mentionne-t-elle pas le rapport de l’IGESR ? Pourquoi privilégier des notes blanches sur l’ensemble des rapports que nous produisons ? », a encore interrogé l’avocat.

D’autant que, pour la défense, le contenu de ces notes blanches est lui-même « contestable ».« La note pointe le fait qu’une partie des élèves du lycée sont voilées, et mentionne la présence d’ouvrages d’auteurs qu’elle qualifie de “fréristes”, citant Bernard Godard, pourtant non musulman et auteur de nombreux ouvrages sur l’islam, mais aussi de Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux connu pour ses positions libérales », égrène Me Paul Jablonski.

Face à eux, Me François Pinatel, défendeur, a soutenu que l’établissement véhiculait une idéologie « séparatiste. » « Nous disposons d’éléments qui permettent de montrer l’adhésion à une doctrine qui irrigue l’intégralité de l’établissement et qui n’est pas compatible avec les valeurs de la république », a-t-il défendu. Il s’appuie notamment sur une inspection du CDI (le centre de documentation et d’information de l’établissement, NDLR) en janvier 2022 faisant état de « l’absence de ressources sur l’orientation sexuelle, sur l’homosexualité ou sur la laïcité » ; et mentionnant des « ressources importantes autour de l’islam », mais « aucune ressource sur les autres religions ».

Des liens avec le frérisme en question

Surtout, le défendeur en veut pour preuve le refus par le chef de l’établissement d’une inspection inopinée en juin 2022. « On a refusé aux inspecteurs d’accéder au CDI », argue-t-il. « Rien que ça, c’est fou », s’est-il emporté. Enfin, le défendeur s’appuie sur le rapport de la cour régionale des comptes mentionnant des cours d’éthique musulmane où il serait enseigné « que la loi de la République est inférieure à la loi confessionnelle ». « C’est très ennuyeux et c’est une méconnaissance grave des obligations qui incombent à un établissement sous contrat », déplore-t-il. Enfin, il pointe les propos – tenus en dehors des cours – de trois enseignants du lycée, dont deux ne sont plus en poste aujourd’hui.

En réponse, les avocats du lycée déclarent produire « le fonds intégral » du CDI, montrant qu’il comporte des ressources pluralistes, notamment sur l’homosexualité, et démontrant « la conformité des enseignements aux valeurs de la République. » Quant à l’inspection refusée par le chef d’établissement – qui n’est plus en poste aujourd’hui – ils la reconnaissent. « Effectivement, le directeur était affairé ce jour-là », concède la défense, arguant un probable « burn-out » dû aux contrôles répétés. « Ce jour-là, il aurait dû laisser entrer les inspecteurs. »

Le dernier acte de l’audience s’est joué sur son point le plus polémique, avec la prise de parole de Louis-Xavier Thirode, préfet délégué à la défense et à la sécurité du département du Nord. « Tous ces éléments constituent un système organisé de manquements, et le lycée Averroès est très lié à la mouvance des Frères musulmans et à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), vitrine très lisse des Frères musulmans en France », a-t-il déclaré, interrogeant : « Est-ce que les deniers publics doivent encore financer cela ? »

« Il n’y a aucune perméabilité entre le frérisme et l’activité pédagogique de l’établissement », a répondu la défense, avant la conclusion de la séance. Le tribunal devrait rendre sa décision dans le courant de la semaine prochaine."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Lycée Averroès (Lille) dans Ecole privée dans Ecole (note de la rédaction CLR).


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