Edito du Président

Lutter contre le Front national impose à la Gauche de promouvoir la laïcité (7 oct. 13)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République 7 octobre 2013

Ce n’est pas en faisant preuve d’hésitation et en tergiversant avec la laïcité, moins encore en composant avec le communautarisme que l’on s’opposera efficacement au Front national qui monte, qui monte, se banalise et récupère désormais de plus en plus d’électeurs issus de la Gauche. Faut-il craindre que l’Histoire ne se répète ?
A force de ne pas prendre à bras le corps les situations réelles vécues sur le terrain, de sombrer dans le déni en clamant qu’il n’y a pas de problème de laïcité en France, de se tromper d’adversaire en croyant discerner derrière chaque militant laïque un raciste, un islamophobe patenté, un bouffeur de curé désuet, une partie de la Gauche, celle qui a opté pour le communautarisme, entretient une logique qui favorise l’extrême-droite au lieu de la combattre.

Selon un récent sondage, 35 % des Français se reconnaîtraient dans les idées du Front national. Ils expriment pour beaucoup leur lassitude face à une interminable crise économique et sociale et leur exaspération face à l’élargissement de la fracture culturelle.
En fait, ils attendent davantage de justice sociale et un ressourcement aux valeurs républicaines : liberté, mêmes droits, mêmes devoirs pour tous. Quant à nos concitoyens de confession musulmane, dans leur très grande majorité, ils ne demandent qu’à être traités comme comme les autres citoyens, en égaux, de n’être pas catalogués a priori en fonction d’une religion supposée, de voir respectées leurs coutumes dès lors qu’elles s’inscrivent dans le cadre des lois de la République. La laïcité ne leur a jamais posé problème et ils savent qu’ils sont les premières victimes des prêches des islamistes et de l’image que ces derniers donnent de leur religion. Et face au racisme dont ils sont parfois victimes, la République doit être implacable. Le racisme n’est pas une opinion mais un délit. Il doit être sévèrement réprimé.

Ces idées sont soutenues par une grande majorité de Français, dont les deux tiers environ disent attendre que la laïcité soit simplement, clairement, résolument appliquée. Alors de quoi ont-ils peur, ceux qui tergiversent et laissent le Front national se parer des valeurs de la République - la laïcité en premier lieu - pour mieux les détourner à des fins inquiétantes ? A vouloir, vent debout, promouvoir un modèle multicommunautariste, plus libéral au sens américain que social-démocrate et dont reviennent la plupart des états qui l’avaient promu - Grande Bretagne, Allemagne, Europe du Nord, Pays-Bas... - on affaiblit la République, on discrédite la laïcité, on malmène l’intégration, on alimente des communautarismes qui revendiquent de plus en plus de dérogations à la loi commune, voire l’adoption de droits spécifiques. Résultat, on ne vit pas ensemble mais de plus en plus à côté les uns des autres, entre soi quand ce n’est pas les uns contre les autres. Le culte de la différence devient une barrière qui sépare quand notre pays a tant besoin de réapprendre à vivre ensemble. La tension monte, les intolérances explosent. L’extrême droite se repaît de cette situation et détourne la laïcité, elle qui l’ a toujours combattue pour en faire un instrument de stigmatisation des musulmans. Terrible contre-sens : la Laïcité, c’est la liberté de conscience, l’égalité des droits, la fraternité entre femmes et hommes différents mais égaux. L’extrême-droite, c’est le contraire ! Pourquoi, alors que "laïcité" devient le mot fondamental, que les Français la réclament, que d’autres peuples la découvrent, que nombre d’intellectuels lui retrouvent ses vertus, pourquoi cette impression d’atermoiement, de louvoiement, d’hésitation ? Pression des think tanks communautaristes ? Des lobbys religieux ? Peur de stigmatiser dans un "climat sociétal tendu" ?

François Hollande, en lançant sa campagne présidentielle, dans le discours du Bourget, a célébré les retrouvailles de la Gauche et de la Laïcité. Depuis des années, une partie de la Gauche avait fait preuve d’atermoiements coupables à l’égard du communautarisme et de peu d’intérêt pour la Laïcité pourtant si intimement liée à l’histoire du socialisme. Et chacun avait en mémoire le calamiteux bilan des gouvernements Fillon et les palinodies de Nicolas Sarkozy à Latran, la tentative de révision de la loi de séparation des églises et de l’Etat afin de la vider de son contenu, l’accord avec le Vatican remettant en cause le monopole des diplômes universitaires, la loi Carle mettant à parité établissements privés et publics dans le financement public des écoles, le rejet de la révision des lois de bioéthique... Un catalogue impressionnant d’atteintes graves à la laïcité.

Si la proposition d’inscrire dans la Constitution les principes de la loi de 1905 n’a pas été concrétisée, le gouvernement Ayrault a tenu bon sur le mariage pour tous, résistant aux lourdes pressions de l’Eglise, transformée pour le coup de puissance spirituelle en force politique. Le gouvernement, face aux mêmes intimidations, a tenu bon en faisant voter la révision des lois sur la bio-éthique. Vincent Peillon a promulgué la charte de la laïcité à l’école publique, initiative salutaire. Certes, sa portée est surtout pédagogique et symbolique. Elle mériterait d’être confortée. Mais ne boudons pas notre plaisir, voilà bien longtemps qu’un ministre de la République ne s’était aussi fermement engagé pour la laïcité.

Pour autant le seul affichage ne suffit pas. Le gouvernement est attendu sur le droit à mourir dans la dignité. Et l’Eglise est encore à la manoeuvre. Il devra se pencher sur le respect pour le moins aléatoire de la laïcité dans le service public et dans l’enseignement supérieur "sous peine de manquer de crédibilité" comme l’a écrit Jean Glavany (Le Monde du 11 septembre [1]). La mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration, qu’une certaine bien-pensance a injustement calomniée, avait formulé 12 propositions [2], "dignes d’intérêt" selon Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur. Elles devraient être débattues et non rejetées sans discussion. La situation complexe dans les entreprises, qui relève pour le moment du Code du travail, devra aussi faire l’objet d’évolutions. Des propositions existent. Elles ne visent bien évidemment pas à stigmatiser mais à assurer la paix sociale sur les lieux de travail. Il conviendra aussi à un moment de reprendre la question du financement public des écoles et celle du Concordat pour laquelle le Collectif des associations laïques a proposé une transition concertée s’inscrivant dans la durée en vue du retour au droit commun.
Que le gouvernement prenne son temps pour que s’ouvrent démocratiquement les débats, sans exclusive et sans passion est une bonne chose. Il ne doit pas y avoir de question tabou, pas de culpabilité, pas de peur. Sauf à abandonner le terrain idéologique au communautarisme et à l’extrême-droite, complices objectifs.
L’espoir que nombre de laïques ont mis dans la nouvelle majorité et la présidence de François Hollande demeure d’actualité. Faut-il encore, qu’à côté du Président, des voix politiques fortes s’élèvent pour dépasser les fausses querelles, affirmer que la laïcité n’est ni raciste, ni islamophobe, ni antireligieuse, mais la clé d’une citoyenneté aux valeurs universalistes, l’unique moyen d’un réel vivre ensemble en fraternité.

Symbole de cette extrême confusion : la crèche Baby-Loup, subventionnée publiquement, dont le sort sera tranché le 17 octobre prochain par la Cour d’appel de Paris et qui se pose désormais en enjeu national. La directrice, Natalia Baleato, est poursuivie pour avoir licencié une collaboratrice refusant d’ôter le voile dans l’exercice de ses fonctions d’accompagnatrice d’enfants. Les jeunes enfants doivent-ils pouvoir bénéficier de protections de même nature que ce qui existe à l’école publique ? Faudra-t-il, pour remédier à une situation juridique complexe, faire intervenir la loi ainsi que l’avait envisagé le Président de la République lors d’une intervention télévisée (28 mars 2013 au journal de 20h de France 2 [3]) ? Rescapée des geôles de Pinochet au Chili, militante antifasciste de longue date, Natalia Baleato, sous la menace de réseaux islamistes, traitée de "raciste" par des militants communautaristes parfois de gauche, sera-t-elle abandonnée à la raison d’Etat ? On ne masque pas la fièvre en cassant le thermomètre. Ce serait une grave défaite pour la République, un encouragement aux initiatives communautaristes et une aubaine pour l’extrême-droite qui ne manquera pas de se saisir de l’affaire. En croyant ne pas faire de vague, on risque bien d’aboutir à l’effet inverse. La paix sociale ne se gagne pas à reculons. Mais ce serait aussi une scandaleuse injustice pour cette femme courageuse et généreuse qui, dans ce quartier difficile où se multiplient toutes les misères, a donné le meilleur d’elle-même. La veuve de Jean Jaurès, assassiné par Raoul Villain, un militant d’extrême-droite acquitté à l’issue du procès, fut condamnée aux dépens.
Lutter contre le Front National, plus que jamais, impose à la Gauche de promouvoir la Laïcité.

Patrick Kessel
président du Comité Laïcité République


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