Communiqué du CLR

Lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy (7 nov. 04)

novembre 2004

Monsieur le ministre d’Etat, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie,

Le Comité Laïcité République a été particulièrement intéressé par la lecture de votre ouvrage La République, les religions, l’espérance, paru récemment.

Vous y soutenez que la République ne permet plus de pratiquer librement sa religion, notamment pour les musulmans. Cette atteinte liberticide est, pour vous, la cause principale du développement de l’intégrisme et des difficultés d’intégration. Pour lutter contre cette scandaleuse défaillance républicaine, mettre fin à l’intégrisme et favoriser l’intégration, vous affirmez qu’il est inéluctable de réformer la loi de 1905. In fine, seule la religion pourrait « aider la République », qui ne serait plus capable de porter les idéaux de liberté.

Flatter l’islam pour lutter contre l’intégrisme et favoriser l’intégration ?

Votre voeu le plus cher est de construire un « Islam de France ». Après la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), vous souhaitez aller encore plus loin et réviser la loi de 1905, afin d’autoriser l’Etat à financer les lieux de culte, et, ensuite, de prendre en charge la formation des ministres du culte.

Vous espérez que la composante la plus radicale du CFCM, les dirigeants de l’Union des organisations islamistes de France, perdra sa radicalité, à partir du moment où elle sera « partie prenante du dialogue républicain ».

Au sujet de l’intégration, vous soulignez : « parce que je me sens profondément républicain, j’essaie d’être équitable pour éviter les humiliations et les frustrations qui nourrissent l’extrémisme […] Je crois qu’il y a peu de sujets aussi importants que l’intégration des millions de musulmans vivant en France ».

On ne peut qu’approuver vos propos sur les frustrations et les humiliations. Mais quelles en sont les causes ? L’impossibilité de vivre sa religion ? Ne serait-ce pas plutôt la misère sociale, la précarité, le chômage, ou encore la discrimination à l’emploi, qui frappent de façon plus importante, les Français d’origine étrangère et les immigrés ?

Votre discours victimaire révèle une conception d’organisation sociale très communautarisée : « Si les Musulmans ont les mêmes devoirs que les autres Français, ils ont aussi les mêmes droits ! […] Les musulmans ne sont pas au-dessus des lois, c’est vrai, mais prenons garde à ce qu’ils ne soient pas non plus en dessous ! ». Ces propos s’inscrivent dans la droite ligne de la discrimination positive. Affirmer qu’une communauté quelle qu’elle soit (religieuse, philosophique, ethnique ou sexuelle) ne bénéficierait pas des mêmes droits que les « autres citoyens » et lui infliger un arsenal législatif particulier pour plus « d’équité », c’est oublier volontairement que, dans la République française, les droits ne sont liés qu’à l’appartenance au corps des citoyens.

« Dans notre société, exprimer sa croyance religieuse est devenu plus difficile […] Nous sommes passés d’une laïcité de combat nécessaire à une certaine époque, à une laïcité tellement militante qu’elle revient à faire passer pour un risque pour la liberté des gens, qui par leur foi, n’expriment finalement qu’une espérance […] On trouve naturel que l’Etat finance un terrain de football, une bibliothèque, un théâtre, une crèche ; mais à partir du moment où les besoins sont cultuels, l’Etat ne devrait plus engager un centime ! »

Les citoyens trouvent effectivement très naturel que l’Etat participe au financement des crèches, des écoles ou des bibliothèques. C’est le rôle de l’Etat de garantir l’accès de tous à l’instruction, sans distinction d’origine ou de religion. C’est autre chose que de financer des lieux de culte destinés à une communauté spécifique !

Pourquoi subitement une telle générosité de l’Etat envers les communautés religieuses ? C’est parce que, pour vous, « l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté […] La République, c’est l’espoir d’une vie meilleure dans le temporel. La religion, c’est l’espérance d’une vie meilleure dans l’au-delà ».

Nous voilà au coeur de la rhétorique d’un futur « présidentiable ». Une rhétorique venant droit d’outre-atlantique. Vous croyez « au besoin de religieux pour la majorité des femmes et des hommes de notre siècle. La place de la religion dans la France de ce début de troisième millénaire est centrale ».

Vous affirmez que la religion a « contribué à apaiser et réguler » la société des Etats-Unis. Voire ! Quels rôles ont joué, et jouent encore, les facteurs religieux dans les conflits balkaniques, irlandais, ou du Darfour ?

La religion comme facteur d’émancipation des êtres humains.

Vous affirmez que l’apprentissage des principes et valeurs républicains ne serait plus efficace, contrairement au catéchisme : « On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant uniquement sur des valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines ». Le catéchisme, lui, aurait « doté des générations entières de citoyens d’un sens moral assez aiguisé ».

La foi serait le remède que vous proposeriez aux jeunes qui pratiquent un « agnosticisme désespéré ».

S’agit-il, pour vous, d’établir un ordre religieux et moral sur la société française ? S’agit-il, pour vous, de défendre un projet politique qui mette dieu avant la République, la communauté avant le citoyen, la charité plutôt que la solidarité, l’espérance plutôt que la Justice et la Loi ?

Ou s’agit-il, plus simplement, de flatter telle ou telle partie de la population pour acheter son vote ?

Vous placez la religion et la République sur le même plan, et pire, vous suggérez que la religion serait supérieure à la République. Une telle position s’oppose au principe même de Laïcité. La Laïcité ne proclame pas la supériorité ou l’infériorité de quelque opinion que ce soit. La République Française reconnaît la liberté de culte. C’est précisément ce qui fait l’essence de la Loi de 1905 : définir un cadre juridique et philosophique qui permet aux fidèles de pratiquer, et elle garantit ainsi l’égalité de tous les citoyens sans distinction, qu’ils soient croyants ou non.

Au total, vos propos s’inscrivent dans un processus qui vise sans aucun doute à vous démarquer de Jacques Chirac. Vos affirmations vont, en effet, à l’encontre de celles du Président de la République qui déclarait le 17 décembre 2003, au terme de la commission Stasi : « La laïcité est inscrite dans nos traditions. Elle est au coeur de notre identité républicaine. Il ne s’agit aujourd’hui ni de la refonder, ni d’en modifier les frontières. […] Voilà plus de deux cents ans que la République se construit et se renouvelle en se fondant sur la liberté, garantie par la primauté de la loi sur les intérêts particuliers, sur l’égalité des femmes et des hommes, sur l’égalité des chances, des droits, des devoirs, sur la fraternité entre tous les Français, quelle que soit leur condition ou leur origine. »

Vos considérations sur « La République, les religions l’espérance » ne sont, en définitive, que politiciennes, et particulièrement mal venues de la part d’un ministre de la République en activité, au moment où l’on s’apprête à célébrer le centenaire d’une Loi qui, elle, a contribué à assurer la paix religieuse et civile dans notre pays. Confier à la religion le soin de résoudre des problèmes sociaux et sécuritaires, organiser cette religion sous la tutelle de l’Etat relève d’une vision politique napoléonienne aussi contraire aux principes de la République que défavorable à la liberté religieuse.

Pour le CLR, Jean-Marie Matisson, 7 novembre 2004


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