Revue de presse

“Les liaisons dangereuses de Barack Obama” (Le Point, 27 mars 08)

avril 2008

"Un pasteur de Chicago, le révérend Jeremiah Wright, [qui] joue depuis vingt ans le rôle de guide spirituel d’Obama [...] proclame, avec des accents prophétiques, que l’Amérique n’a eu que ce qu’elle méritait et que le 11 septembre 2001 n’est que le retour de bâton de sa politique étrangère « terroriste ». Dans d’autres, il affirme que le gouvernement américain a fabriqué le virus du sida pour se débarrasser des Noirs, que les Etats-Unis « ont été fondés sur le racisme, et que c’est ce qui les gouverne encore aujourd’hui ». Et, en 2003, s’insurgeant contre le traitement des Noirs dans la société, il s’exclame : « Que Dieu maudisse l’Amérique ! » (« God damn America ! »).

Des diatribes jugées sacrilèges par une partie de l’électorat. Et qui plongent Barack Obama dans l’embarras. Depuis son entrée en campagne, ce fils d’un Kenyan et d’une Blanche du Kansas a tout fait pour esquiver la question raciale. Il se présente comme le candidat d’une société multicolore, multiculturelle, capable de transcender races et classes, et délivre un message d’unité et de réconciliation. Bref, l’antithèse du stéréotype de l’Afro-Américain à la Wright, amer, enragé, récriminant sans cesse contre l’esclavage, l’injustice... Peine perdue. Pour une partie de l’opinion, les déclarations incendiaires de Wright transforment du jour au lendemain Obama-le-sénateur-policé-diplômé-de Harvard en un Malcolm X inquiétant.

Si l’attaque est grave, elle n’est pas vraiment surprenante. Barack Obama sait depuis longtemps que son pasteur sent le soufre. En février 2007, il a, au dernier moment, annulé la prière que Wright devait prononcer publiquement lors de l’annonce de sa candidature à Springfield, dans l’Illinois. Pourquoi alors n’a-t-il pas pris ses distances plus tôt ? Mystère.

Dès la diffusion des vidéos, il condamne les propos du révérend. Mais cela n’a pas suffi à apaiser la polémique ni à enrayer la chute dans les sondages. Face au scandale, le sénateur de l’Illinois décide alors de frapper fort en prononçant un discours brillamment articulé, qui aborde de front la question raciale. Un acte courageux, car la classe politique fuit en général ce sujet tabou. En trente-sept minutes, il réitère ses critiques à l’égard du révérend Wright, mais ajoute : « Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche... » « Certaines des paroles du pasteur, explique-t-il, reflètent l’humiliation, le doute et la peur » qu’a ressentis la génération de Wright dans les années 50. Mais la « colère » n’est pas l’apanage des Noirs et Obama sympathise aussi avec les frustrations des Blancs face à la discrimination positive dans les facs, la délinquance... Avant de terminer par un appel à dépasser les divisions du passé. « C’est un discours très efficace, l’un des plus émouvants que j’ai jamais entendus. Obama est l’un des rares hommes politiques à pouvoir s’exprimer ainsi », observe Celinda Lake, une consultante politique démocrate. Pour Tara Setmayer, stratège républicaine, cela met surtout en évidence le point faible d’Obama. « Il dit qu’il représente tout le monde et pourtant son système de croyance depuis vingt ans est fondé sur une perspective spécifiquement noire. Difficile à expliquer aux électeurs blancs indécis. » En fait, le discours s’adresse sans doute moins aux électeurs qu’aux superdélégués, puisque ce groupe de 800 démocrates, mélange d’élus et de pontes du parti, va probablement décider de l’investiture.

L’ironie, c’est qu’Obama a rejoint Wright et son temple pour se « noircir ». Après la fac, il décroche un boulot d’animateur, chargé d’apprendre aux habitants d’un des ghettos de Chicago à se mobiliser. Mais ce type pas vraiment noir, diplômé de Columbia, est vu avec méfiance à South Side. On lui conseille alors pour s’intégrer, raconte-t-il dans ses Mémoires, de fréquenter un temple. Il choisit celui de Jeremiah Wright, qui l’aide au fil du temps à se trouver des racines et à faire la paix avec lui-même. Hier pas assez noir, le voilà trop noir pour une partie de l’Amérique !"

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