Contribution

LDNA, une organisation qui incite à la haine raciale (G. Chevrier, 14 juin 20)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 14 juin 2020

« Rassemblements contre le racisme : trois choses à savoir sur la Ligue de défense noire africaine ». C’est sous ce titre que le journal Le Parisien [1] a entendu nous informer sur cette organisation qui appelle, parmi d’autres, à des manifestations contre le racisme. Le journal le fait, mais avec une mémoire un peu sélective. Des éléments manquent au tableau, pourtant pouvant nous alerter sur la façon dont l’élan actuel contre le racisme, déclenché par la mort de l’afro-américain Georges Floyd tué par un policier aux Etats-Unis, peut être détourné par des organisations poursuivant un tout autre but que cette juste cause.

« Trois choses à savoir sur la LDNA » selon le Parisien, mais sans explication de texte

Parmi les rassemblements organisés à Paris samedi dernier, deux l’ont été à l’appel de la LDNA, où son fondateur et porte-parole a violemment attaqué la France : « La France, c’est-à-dire l’Etat français est un Etat totalitaire, terroriste, esclavagiste, colonialiste. L’Etat français exploite son propre peuple, alors vous imaginez ce qu’ils font en Afrique ». Il est applaudi par quelques dizaines de militants. L’intérêt du journal pour cette organisation tient au fait que plusieurs élus du Rassemblement national appellent désormais à sa dissolution.

L’organisation nous dit-on, se présente sur les réseaux sociaux comme un « mouvement pour la défense des droits des Afrodescendants et des Africains ». Avec à sa tête un leader, un certain Egountchi Behanzin, se définissant comme un « activiste politique, anti-négrophobie, panafricain (et) révolutionnaire ». On poursuit en expliquant que la Ligue de défense noire africaine « multiplie les opérations coups d’éclat ». Comme en avril 2019, lorsque « ses membres ont manifesté contre la grande exposition consacrée à Toutankhamon ». On reprend alors les propos de l’un des activistes qui parle de « falsification de l’histoire africaine », de « blanchiment de l’histoire (…) de la civilisation égyptienne ». Dans ce prolongement on trouve « paradoxal » que l’organisation ait « aussi applaudi le déboulonnage de deux statues de Victor Schœlcher en Martinique, le 22 mai dernier », alors que « cet ancien homme politique est pourtant connu pour avoir aboli l’esclavage. » Pour ajouter « mais il est de couleur de peau blanche, tandis que certains militants préféreraient mettre en avant la révolte d’esclaves noirs à l’époque. »

On comprend mal l’étonnement du journaliste qui parle de paradoxe, et tente une explication à la limite de la justification, car il semble au contraire des plus cohérent que ce discours antiblancs aboutisse au soutien de telles exactions. Cet exemple est significatif des dérives identitaires actuelles de certaines associations. Schoelcher est le symbole de la liberté qui a été étendue à tous avec l’abolition de l’esclavage. Elle ne s’oppose nullement à rendre hommage aux révoltes d’esclaves. C’était une conquête essentielle propre à une République française qui ne l’a jamais accepté sous son drapeau et l’a aboli (la première République l’abolit en 1794, rétabli par Napoléon, il l’est à nouveau dans les premiers jours de la Seconde République en 1848). On l’a inscrit dans les livres d’école comme un crime contre l’humanité. Que faire de mieux ? Opposer ainsi les victimes d’hier à ce grand homme comme figure universelle de la fraternité humaine n’a aucun sens, à moins de s’enfermer dans une vision d’opposition raciale qui ramène l’histoire en arrière, avec son lot de haine et de violence.

Mais le fait le plus marquant aux yeux de l’article, c’est l’épisode de la condamnation de membres de l’organisation pour « intimidation » envers Patrick Balkany, l’ancien maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Une boulangère de couleur de la commune aurait prétendu avoir subi à plusieurs reprises des insultes et des menaces racistes, ce que les militants de la LDNA entendaient régler à leur façon, en prenant à partie dans la rue l’ancien élu, pour en obtenir un rendez-vous sur le sujet, par intimidation. Lors de l’audience qui a statué sur les faits en novembre dernier, on précise que « les deux militants, qui avaient déjà un casier judiciaire, ont été condamnés à six mois de prison et un euro symbolique de dédommagement ». Pour ajouter que « l’AFP indiquait que le plus âgé des deux militants, avait été condamné en 2014 à sept ans de prison pour viol de personne vulnérable. » On concluait en indiquant que « Plusieurs sites proches de la droite voire de la « fachosphère » assurent qu’il s’agirait d’Egountchi Behanzin ». La référence à la « fachosphère » donne une tonalité équivoque à cette conclusion, après avoir ouvert l’article sur les élus du RN demandant l’interdiction de l’organisation, pouvant ainsi presque laisser penser qu’il s’agirait d’un problème entre identitaires. Hasard malencontreux ? Nous opterons pour le bénéfice du doute, ne s’agissant pas tant de prendre parti pour qui que ce soit, que de montrer les enjeux du traitement de ce type de sujet. Auquel il manque, d’ailleurs, quelques informations essentielles sur la LDNA dont le journaliste a été oublieux, pouvant nous faire passer à côté de l‘essentiel.

Une organisation qui incite la haine raciale

La LDNA a manifesté devant l’ambassade d’Afrique du sud à Paris le 6 septembre dernier, dans le contexte des violences racistes qui s’y déroulent opposant locaux et étrangers, tous africains. Comme réponse à "la xénophobie" dans ce pays, l’un des intervenants a appelé aux meurtres des "Blancs", des "Chinois" et des "Indiens" : "La xénophobie doit s’arrêter. Si vous voulez être xénophobe, d’accord. Commencez par tuer les Blancs, commencez par tuer les Chinois, commencez par tuer les Indiens. Ne tuez pas vos frères […] nous avons la même couleur [de peau]" [2]. Voilà qui nous aurait immédiatement mieux éclairé sur cette organisation qui prône la xénophobie, la haine raciale jusqu’à l’appel au meurtre.

On aurait aussi pu rappeler que la LDNA avec le Conseil représentatif des Associations Noires de France (CRAN), soutenus par Rokhaya Diallo qui tient les blancs de façon fantaisiste pour héritiers d’un colonialisme faisant sommeiller en chacun d’eux un raciste qui s’ignore, ont empêché la tenue de la pièce d’Eschyle « Les suppliantes » à la Sorbonne, prétextant que les comédiens se grimaient en noir, simplement pourtant comme dans l’antiquité, pour assimiler cela à un "Blackface" (maquillage noir pratiqué lors de spectacles par des blancs aux États-Unis pouvant s’apparenter à une forme de racisme). Ce n’était qu’un prétexte pour faire publicité à leur discours de victimisation outrancier justifiant leur intolérance, et leur volonté d’imposer à notre République égalitaire où les individus se mélangent, leur projet politique d’une société divisée selon l’origine, la couleur, la religion, séparant les individus dans un face à face fratricide. Le ressentiment ne peut être à l’origine d’aucun projet d’avenir, d’aucun idéal. La pièce a pu plus tard heureusement être jouée, dans le Grand amphi de la Sorbonne, faisant un pied de nez à ceux-là. C’est en regardant devant, tous ensemble, que nous serons toujours plus et mieux égaux.

Alerter pour faire que l’on ne se trompe pas de combat

On peut voir plus clairement à présent que la LDNA n’a rien à voir avec une association de lutte contre le racisme, puisqu’au lieu de réclamer l’égalité et la fraternité, elle déclare la guerre des races. Un discours radical que partagent peu ou prou bien des organisations même si elle se présentent sous des traits moins virulents. Elle se retrouvent autour du retour de la race dans le politique comme fonds de commerce, justifié par la thèse fumeuse d’une France dont l’Etat serait "structurellement" raciste, qui ne tient pas un instant devant les faits.

Selon le baromètre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, portant sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (2018), depuis plusieurs années le recul des préjugés racistes et du rejet de l’immigration ne cesse de progresser [3]. Ainsi, si 42 % des Français estiment encore qu’« aujourd’hui en France, on ne se sent plus chez soi comme avant », ce chiffre est en recul de 5 points par rapport à 2017, et surtout de 17 points depuis décembre 2013. Ceci, alors que seuls 9 % des Français estiment qu’« il y a des races supérieures à d’autres ». Il montre aussi que la laïcité est perçue par 72 % des Français comme un élément indispensable du « vivre ensemble », contre 7 % seulement qui y voient du « négatif ». Comment l’Etat en France serait-il raciste pour permettre cette évolution ? Rappelons au passage que la laïcité est ce principe politique d’organisation de l’Etat, qui le rend impartial par le fait de ne se réclamer d’aucune conviction ou croyance particulière pour gouverner. Il ne voit ainsi que des citoyens. S’il existe des discriminations que l’on ne peut ignorer et qu’il faut combattre, c’est un autre problème.

La LDNA en réalité, à travers ses excès, nous alerte sur une dérive plus large d’une partie du mouvement antiraciste, glissant dangereusement vers un antihumanisme. Le journal Le Parisien ferait œuvre de salut public en rendant mieux compte du danger de cette dérive plutôt que de jouer au plus fin avec la conscience de nos concitoyens, au risque qu’ils se trompent de combat.


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales