Revue de presse

"La Ligue de défense juive, une micromilice extrémiste" (Libération, 31 juil. 14)

3 août 2014

"« Libération » a rencontré l’un des fondateurs de cette organisation sans existence légale dont les membres, adeptes de la baston de rue, se réclament d’un sionisme radical.

Volubile et tutoyeur, l’homme dit s’appeler Itshak Rayman, et se présente comme un chargé de communication de la Ligue de défense juive (LDJ). Par téléphone, il donne rendez-vous dans un McDonald’s du quartier République, à Paris, « pour la climatisation ». Sur place, ce sexagénaire à l’allure pateline laisse entendre que deux acolytes sont en faction près du restaurant. Et qu’il est bien renseigné sur le profil de ses interlocuteurs. Quant au nom qu’il se donne, il ne s’agit que de l’un de ses nombreux alias - avec « Michaël Carlisle », « Eliahou Tubiana » ou « le Vieux ». Son véritable patronyme est Jean-Claude Nataf. Il est l’un des cadres qui, en 2001, a fondé la LDJ avec Pierre Lurçat. Voilà décrite l’ambiance de notre entretien sur cette organisation controversée, qui se vit comme la garde du corps de la communauté juive.

Le dimanche 13 juillet, quelques dizaines de ses militants se sont frottés à des manifestants propalestiniens non loin de la synagogue de la Roquette. Des vidéos les montrent poursuivant leurs adversaires en brandissant notamment des chaises et des tables de bars, au cri de « Palestine, on t’encule ». Le week-end suivant, à Sarcelles, ils faisaient de nouveau face à des propalestiniens, pour défendre une synagogue déjà encadrée par un cordon de police. A la main, battes de base-ball, marteaux, poings américains, matraques, bouteilles de gaz lacrymogène.

Bombe artisanale. En plus de protéger les lieux de culte, la LDJ n’hésite pas à s’en prendre à tous ceux qu’elle considère comme des ennemis d’Israël. En juin, deux de ses sympathisants ont été condamnés à dix mois de prison ferme pour avoir visé en 2012, avec une bombe artisanale, la voiture d’un jeune juif qui avait critiqué la politique du gouvernement israélien sur son blog. Des méthodes musclées consubstantielles au mouvement. Dès 2002, un an à peine après sa création, l’un de ses sympathisants poignardait un jeune commissaire en marge d’une manifestation. Ce dernier s’en est tiré avec une grave blessure, tandis que son agresseur a fui en Israël, où il est aujourd’hui incarcéré pour un autre délit.

S’il se dédouane des actions les plus extrêmes, le mouvement revendique pour la communauté juive un droit à l’« autodéfense ». « La police s’attend à une vague d’attentats [antisémites] en France, assure Jean-Claude Nataf. Or, il n’y a pas de volonté de stopper ça, et le Crif [Conseil représentatif des institutions juives] refuse de taper du poing sur la table. Nous ne voulons de mal à aucun musulman. Mais qu’ils ne viennent pas nous faire chier. » Et le cofondateur du mouvement d’illustrer son rôle : « Il y a quinze jours, on a reçu un appel nous informant qu’un jeune juif était en train de se faire agresser au couteau à Beaubourg. Cinq minutes plus tard, il y avait cinq gars à nous sur les lieux pour chercher les agresseurs. » Mariages, manifestations, commerces… L’organisation « sécurise » tous azimuts.

Dons. La LDJ, qui n’a pas d’existence légale, ne dispose d’aucun local connu dans la capitale. Son financement passe exclusivement par des dons, affirme Nataf. Sa vitrine financière est l’association Solidarité Israël, dont les statuts ont été déposés en novembre 2011 et dont le président est Joseph Ayache. Ce trentenaire passé par le Betar, un mouvement de jeunesse sioniste, et ayant effectué son service militaire au sein de l’armée israélienne, est considéré par la police comme le principal dirigeant de la LDJ, au côté de David Bettey, 36 ans. Derrière lui, « le noyau dur représente 30 à 40 personnes, affirme une source policière. Mais le mouvement a une forte capacité de mobilisation, et peut réunir jusqu’à 200 personnes en puisant dans le Betar, le Service de protection de la communauté juive [SPCJ, service de sécurité placé sous l’égide du Crif et du Consistoire], et les jeunes juifs des quartiers populaires. »

Pour le politologue Jean-Yves Camus, la LDJ représente « la rue juive de l’Est parisien et de proche banlieue, où la situation peut être objectivement difficile pour les juifs ». Ses militants ont la culture de la baston, pratiquant avec ardeur le free fight ou le krav maga. Cette méthode de combat rapproché, utilisée notamment par l’armée israélienne, est adaptée aux situations les plus concrètes - comme les cas où l’adversaire est en possession d’une arme à feu.

Les mieux formés des militants affichent une idéologie tout aussi musclée. « Les figures de références sont Vladimir Jabotinsky [1880-1940, figure du sionisme radical, ndlr] et le rabbin israélo-américain Meir Kahane », explique Jean-Yves Camus. Ultranationaliste, Meir Kahane, mort assassiné en 1990, a créé en 1968 la Jewish Defense League américaine, qu’un rapport du FBI daté de 2001 recense comme groupe terroriste. Il a également fondé en Israël le parti Kach, interdit en 1994 car raciste. Si la LDJ française n’affiche aucun lien avec son homologue américaine, elle lui a emprunté son nom et son emblème, et sa charte se réclame bien de Kahane. Pour Jean-Yves Camus, la Ligue de défense juive est clairement une « organisation identitaire ». Dans un tweet daté d’avril 2014, elle estimait par exemple que « l’assimilation et le mariage mixte ont coûté la vie à plus de juifs que la Shoah ».

Bleu-Blanc-Rouge. En 2011, dans un article publié sur son site, puis retiré, l’organisation exprimait par ailleurs un « soutien vigilant » à Marine Le Pen. Un communiqué publié peu après démentait ce soutien, tout en considérant que les positions du Front national « à l’encontre de l’islamisation [restent] un pas significatif dans les urgences politiques de notre pays ». Jean-Claude Nataf lui-même était présent lors du défilé frontiste du 1er mai 2013. Le vice-président du FN, Louis Aliot, se souvient de l’avoir croisé à la fête des Bleu-Blanc-Rouge en 2007. « Le FN n’a pas notre sympathie, mais pourquoi détourner les gens du danger réel ? rétorque l’intéressé. Aujourd’hui, 100% de nos agresseurs viennent de la "diversité". »

Autant de fondamentaux qui font de la LDJ la bête noire des propalestiniens. « Il s’agit tout simplement d’une milice privée », juge Dominique Cochain, avocate historique de la cause palestinienne, qui énumère de nombreux cas d’« agressions pures et simples » attribuées à la Ligue. En juillet 2012, Olivia Zemor, présidente de CAPJPO-EuroPalestine, a par exemple été aspergée de peinture par des membres de la LDJ s’étant fait passer pour des journalistes. Des voies de fait trop peu punies, se plaignent ses détracteurs, qui accusent les autorités d’indulgence à son égard. « Il y a des condamnations individuelles, légères, mais on ne remonte jamais jusqu’à l’organisation », dénonce Dominique Cochain. Des soupçons d’impunité que Nataf ne cherche même pas à dissiper : « Nous n’avons rien contre la police, au contraire, sourit-il. Lors de la manifestation du 13 juillet, on a même travaillé avec elle : les policiers voyaient bien qui était l’agresseur et qui se défendait. » Et d’ajouter : « De toute façon, avec Valls, on a tout ce qu’on veut. »

[...] Pour le président du Crif, Roger Cukierman, « la LDJ ne donne pas une bonne image des juifs de France, et je ne peux cautionner ses méthodes ». Cependant, juge-t-il, « beaucoup de juifs ont l’impression que les autorités ne font rien pour les protéger. Avant de songer à interdire la LDJ, qu’on s’occupe de ceux qui attaquent les synagogues. Car le risque est bien qu’il se crée des milices privées ». Aussi mesurée soit-elle, la condamnation fait rire Jean-Claude Nataf : « Officiellement, le Crif et nous n’avons pas de rapports. La réalité, c’est que quand ils organisent quelque chose, nous sommes sur place pour sécuriser - mais à l’extérieur. » Et « le Vieux » de claironner que, dans la période actuelle, la LDJ a reçu plus de messages de soutiens que jamais."

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