Edito du président

L’apprentissage du métier de citoyen dans la France républicaine (J.-P. Sakoun, 15 jan. 18)

par Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 15 janvier 2018

Le regretté Claude Nicolet, fondateur et président du Comité Laïcité République, qui contribua au retour en force de l’idée républicaine, grâce à son œuvre majeure, L’idée républicaine en France, nous a légué, parmi d’autres écrits de premier plan, un livre intitulé Le métier de citoyen dans la Rome républicaine. Ce titre est une invitation à penser le rapport de la citoyenneté avec son apprentissage.

Cette relation est exactement celle que les citoyens français devraient entretenir avec leur école. Depuis la Révolution française et plus encore les lois Ferry-Goblet de 1881-1886, nous avons appris que l’école publique formait les citoyens. Rien n’est plus contre-intuitif en effet que le principe de souveraineté partagée, qui fait la particularité de la République française laïque et démocratique. C’est donc bien dans le creuset de l’école publique que cette spécificité se transmet.

Cet apprentissage n’a pas lieu sous la forme de « cours de citoyenneté » qui reflèteraient une vision naïve et simplificatrice de l’esprit humain, mais par la transmission de savoirs disciplinaires, qui permettent de structurer et nourrir l’intellect et de susciter l’esprit critique.

Mais depuis soixante ans, précisément la loi Debré de 1959, qui a établi la concurrence entre école privée et école publique, la notion d’apprentissage du métier de citoyen dans la France républicaine s’est peu à peu perdue.

Trois forces contribuent à ce désassemblage de l’école républicaine :

  • D’une part la pression cléricale constante. La hiérarchie catholique en particulier, a dès 1945 énoncé son programme de reconquête dans les revues de l’église, repris par René Rémond à partir des années 50. Aujourd’hui ces pressions sont aussi le fait des représentants des autres religions. Les lois avantageant progressivement l’école privée confessionnelle au détriment de l’école publique se sont multipliées au cours de ce demi-siècle.
  • D’autre part, l’utilitarisme. Cette notion a progressivement remplacé celles de culture générale et d’élévation de l’être humain et du citoyen par les savoirs et la construction du sens critique. Cette idéologie a réduit à presque rien le projet humaniste et citoyen au sein de l’école. Les forces économiques dominantes, épaulées par une technocratie à courte vue, ont voulu se décharger de leur devoir de financement de la formation professionnelle en le transférant à l’école, devenue le vecteur – par ailleurs inefficace – de l’employabilité.
  • Enfin, c’est au sein même de l’école publique que le coup le plus rude est porté. L’évolution de l’école, de la démocratisation vers la massification, a entraîné les pouvoirs qui se sont succédé à confier les clés de l’école publique aux plus vigoureux adversaires de la transmission des savoirs et de la construction du citoyen, considérés comme inégalitaires. Savoirs, esprit critique et apprentissage de la citoyenneté sont désormais remplacés par le fait de mettre l’élève, voire l’enfant qu’on ne reconnait plus ici comme élève, "au centre" de l’école. Transmettre, reconnaître que le maître en sait plus que l’élève, assurer la prééminence des sciences sur les croyances, sont devenus, par un renversement préoccupant, les marqueurs d’une pensée qualifiée de "réactionnaire".

Cette idéologie fait de véritables ravages dans les Espé, où nombreuses sont les (dé)formations destinées à inculquer aux futurs enseignants la méfiance vis-à-vis des principes laïques et républicains d’émancipation par le savoir et de respect de la singularité des élèves, au profit d’une approche communautariste, victimaire et doloriste.

De cette triple conjonction, pression de l’école privée qui ne forme pas des citoyens laïques et républicains, pression des forces économiques dominantes qui veulent des individus prêts à l’emploi et non critiques, pression des "pédagogistes" qui commettent le contresens de considérer les savoirs comme inégalitaires, l’école publique sort mal en point.

Certes, les déclarations du Ministre de l’Éducation nationale, ses premiers actes et la création d’un Conseil des Sages de la Laïcité, qui compte dans ses rangs quelques amis du Comité Laïcité République, nous font espérer que la prise de conscience est en cours.

Cependant, nous déplorons que parmi les militants les plus actifs de la citoyenneté et de la laïcité, on ne trouve pas assez de jeunes gens. Ceux-ci devraient pourtant être les premiers à soutenir ces idéaux de justice, d’émancipation et de solidarité. Nous pourrons ici ou là enregistrer quelques victoires et amener vers nous certains d’entre eux particulièrement sensibles à nos idées parce que leur famille les leur auront transmises, justement. Nous ne pourrons gagner le combat laïque que si la jeunesse de ce pays renoue avec nos idéaux. Cela exige que nous gagnions la bataille de l’école publique, laïque et républicaine.

Nous l’avons dit en effet, il n’est pas de République indivisible, laïque, démocratique et sociale sans une école qui forme la jeunesse à son métier de citoyen dans la France républicaine.

Aussi nous appelons tous les responsables politiques de notre pays, à tous les échelons de responsabilité, national, régional, local à agir ensemble, pour remettre l’école sur la voie de l’émancipation républicaine et de la citoyenneté.

Jean-Pierre Sakoun,
président du Comité Laïcité République
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