Rassemblement "Liberté-égalité-fraternité-laïcité, voilà le combat !" (Paris, 20 sept. 20)

J.-P. Sakoun : "Battons-nous sur tous les fronts, continuons, ne renonçons jamais" (20 sept. 20)

Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 23 septembre 2020

Discours de Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République, 20 septembre, Place de la République, à l’occasion de la manifestation organisée à la suite de l’appel collectif à célébrer la proclamation de la Première République.

Chers amis, citoyens, citoyennes, et vous, étrangers accueillis sur le sol de la République française, qui nous faites l’honneur de partager notre idéal de laïcité et d’universalisme.

Regardez derrière moi, ces deux hauts-reliefs qui ornent le socle de la colonne de la statue de la République et qui décrivent, l’un, la victoire de Valmy, le 20 septembre 1792, l’autre, la proclamation de la chute de la royauté, le 21 septembre 1792.

Ce 20 septembre 1792, Goethe écrivait « de ce lieu et de jour date une nouvelle époque dans l’histoire de l’humanité ». Valmy, ce jour où cette multitude, cette « bouche d’ombre » [1], comme l’appelait Victor Hugo, est devenue un peuple et a affirmé à l’ensemble des féodalités coalisées que c’en était fini du vieux monde. Soyons-en fiers ! Ayons cette fierté d’avoir apporté au monde occidental et peut-être au monde entier ces idées qui aujourd’hui agitent encore sur la planète les révolutionnaires qui portent l’espoir de la liberté et de la justice sociale. Il y a quelques jours encore, les manifestants qui protestent en Biélorussie contre la dictature, ont chanté la Marseillaise en français. Ne l’oublions pas.

Regardez ces deux hauts-reliefs, sculptés en 1883, au début de ces vingt-cinq années enchantées durant lesquelles, entre 1881 et 1905, s’est affermie la République, s’est construite la laïcité, s’est bâti ce qui nous fait vivre ensemble et qui n’est pas le « vivre-ensemble » mais la fraternité universelle.

Depuis quarante ans, nous avons été attaqués sans relâche, et pendant longtemps, peu nombreux étaient ceux qui le voyaient et s’en alarmaient. Nous, au Comité Laïcité République, créé en 1989, à la suite de l’affaire du hidjab au collège de Creil, nous avertissions du danger, nous tentions déjà de réunir ce qui est épars. Mais c’est depuis 2015, depuis le massacre de Charlie, que le peuple français s’est réveillé. Et le chemin sera long ; et la bataille sera rude. Car nous ne reprendrons pas en cinq ans toutes les bastilles qui se sont reconstruites en quatre décennies.

Nous ne devons pas nous décourager ; nous devons lutter sur tous les fronts. Sur le terrain, sur le front local, sans cesse, dans l’université, mais aussi, surtout, sur le front de l’école. Car la République sans l’École de la République n’est rien. Si nous perdons les enseignants, si nous perdons les maîtres d’école, si nous perdons les instituteurs et les institutrices, mots tellement plus beaux que ce « professeur des écoles », car ce sont ceux qui « instituent », qui permettent à nos enfants de se mettre et de rester debout, si nous ne regagnons pas l’École, alors, nous aurons de toute façon perdu.

Depuis quarante ans se sont infiltrés dans les brèches de nos faiblesses tous les monstres de la pensée, toutes les ignominies, il n’y a pas d’autre mot, que sont le racialisme, l’indigénisme, le décolonialisme, le communautarisme, qui ne sont en réalité que des variations sur le thème de la haine raciale, souvent attisées hélas par ceux qui sont les victimes d’un racisme véritable et qui au lieu de le combattre le retournent contre eux-mêmes et les autres. Voici un combat que nous devons mener sans faiblir et sans rien laisser passer.

Pour mener ces luttes nous avons besoin des mots. Nous devons combattre d’abord dans le domaine du langage. Refuser que l’on cléricalise sans cesse notre langue républicaine. Non, nous ne devons pas faire preuve d’humilité mais de modestie ; non, nous n’avons pas de communs, nous avons le bien public ; non, nous ne nous satisfaisons pas du vivre-ensemble, nous voulons la fraternité républicaine ; non, nous ne revendiquons pas le droit au blasphème, nous revendiquons la liberté d’expression ; non, nous ne voulons pas du droit de croire et de ne pas croire, nous voulons la liberté de conscience ; non, nous ne voulons pas de la « liberté » de se voiler, qui n’est que le consentement à se soumettre à l’inégalité et à l’humiliation, mais nous voulons la liberté d’arracher ce linceul !

Notre projet jamais achevé, notre idéal, notre horizon, c’est celui de l’émancipation, du respect de la singularité de chacun et non de son essentialisation. Nous sommes tous construits d’identités et d’identifications multiples. Et c’est lorsque l’une d’entre elles efface toutes les autres pour devenir l’obsession de celui qui la porte, que la fin de son humanité est proche.

Battons-nous sur tous les fronts, continuons, ne renonçons jamais. Aujourd’hui plus que jamais, pensons à nos amis de Charlie. Pensons à Charb, le président du jury des prix de la laïcité en 2012, qui disait le 8 octobre de cette année-là, dans son discours, « j’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent ». Ne soyons plus des laïques qui se taisent. Défendons Charlie, non pas pour ce qu’ils écrivent et dessinent mais parce qu’ils sont les porteurs de tous nos symboles et aussi de toute notre liberté quotidienne.

Car notre vie quotidienne est touchée. En trente ans le travail de terrain patient, ostentatoire, de l’islam politique a imposé ses codes vestimentaires, a imposé ses codes alimentaires, a imposé ses codes comportementaux et verbaux, a perturbé les enseignements et le climat scolaire de très nombreuses écoles, a insufflé une ambiance de pré-guerre civile dans certains quartiers. Assez ! Assez aussi de ceux qui veulent encore modifier la loi de 1905, y revenir sous tous les prétextes, quand ils ne la contournent pas tout simplement, avec l’aide d’organismes publics aux politiques délétères, pour permettre aux cultes de reprendre pied dans l’espace public.

Notre tâche est immense, elle n’est pas achevée. C’est à nous de l’accomplir ici et j’espère que la manifestation d’aujourd’hui n’est que le début d’un mouvement puissant qui verra enfin le peuple français redevenir un peuple.

[1Géniale adaptation en français par le père Hugo du mot espagnol signifiant multitude, foule : muchedumbre.



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