Revue de presse

J.-P. Obin : Islamisme à l’école, « nous avons perdu vingt ans » (Le Figaro, 13 oct. 20)

Jean-Pierre Obin, ancien Inspecteur général de l’Éducation nationale, auteur du rapport "Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires" (juin 04), Prix national de la Laïcité 2018. 16 octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"En 2004, cet ancien inspecteur général remettait à François Fillon, alors ministre de l’Éducation, un rapport sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Il analyse aujourd’hui le rapport remis à Jean-Michel Blanquer. Il vient aussi de publier Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, aux Éditions Hermann.

Par Alexandre Devecchio

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Le FIGARO.- Que vous inspire le nouveau rapport après celui que vous aviez publié en 2004 ? Qu’a-t-il de marquant, selon vous ?

Jean-Pierre OBIN.- C’est un rapport qui est différent dans son objet puisque son objectif était surtout d’évaluer le dispositif de remontée des informations et de leur traitement, concernant les atteintes à la laïcité, mis en place par Jean-Michel Blanquer en 2017. Les inspecteurs généraux ne sont donc pas allés dans les établissements scolaires, mais plutôt cette fois-ci dans les rectorats, dans les académies et dans les centres de formation. Ce rapport est très honnête, car il ne cherche pas à cacher les problèmes. Les inspecteurs généraux parlent de méconnaissance - par les enseignants et les chefs d’établissement - des règles d’application du principe de laïcité. Cela conduit à minorer les atteintes, ou même à fermer les yeux dessus, simplement parce que les personnels de l’Éducation nationale ne les perçoivent pas comme telles et finissent même par s’en accommoder.

Cette forme d’accommodement, comme le disent les inspecteurs généraux, se voit facilement, car il y a des zones où il y a très peu de signalements, alors que ces mêmes zones concentrent géographiquement des groupes islamistes très marqués. Les inspecteurs révèlent aussi que les signalements recueillis avec les outils du dispositif ministériel ne peuvent pas être regardés comme fiables, ou comme des statistiques. Ils donnent une vision très incomplète de la réalité de l’atteinte à la laïcité. D’autant que les enseignants ont tendance à s’autocensurer.

Diriez-vous que, depuis vos travaux, la menace n’a pas été prise en compte et, si oui, pourquoi ?

Tout à fait. Vingt ans de déni ! Vingt ans où l’on a mis la poussière sous le tapis. Le ministre auquel nous avions rendu le rapport était François Fillon, et il l’a vraiment enterré. Son successeur a déclaré qu’il était caduc. Il a fallu attendre 2015 et les attentats de janvier pour que Manuel Valls l’exhume et dise, en gros, que rien n’a changé depuis 2004. Il y a aussi eu un déni de l’institution et des responsables de celle-ci. Il se produit à plusieurs niveaux. Il y a le déni des enseignants eux-mêmes, parce que l’on n’est jamais fier de dire que l’on n’a pas su réagir face à telle contestation, que l’on a peur pour sa propre évaluation et d’être mal jugé par le chef d’établissement.

Ensuite, en second niveau, il y a le déni du chef d’établissement. Celui-ci est quelqu’un qui, par définition, a intégré que ce qu’on lui demande est de maintenir la paix dans ses murs. Il y a quelques années, le fameux hashtag « #PasDeVague s » avait défrayé la chronique. Il avait été lancé par des enseignants qui protestaient contre l’indifférence de leur chef d’établissement à la violence dont ils faisaient l’objet de la part d’élèves.

Enfin, dernier niveau de déni : celui de l’administration. Il y a un double phénomène. Comme nous le remarquions avec le rapport de 2004, la hiérarchie n’est pas informée ou alors, lorsqu’elle l’est, elle ne sait pas comment réagir.

Non seulement la situation ne s’est pas améliorée mais, selon vous, elle s’est aggravée…

Sur le plan quantitatif, le nombre d’établissements et le nombre de régions touchés par ce phénomène est nettement plus important. Tout simplement parce que l’islamisation a progressé dans la société, que les musulmans sont plus nombreux et parce que, comme le montrent un certain nombre d’enquêtes, le succès des idées islamistes est croissant. Tout cela a des répercussions à l’école. Sur le plan qualitatif, on retrouve à peu près les mêmes incidents qu’en 2004, avec des choses néanmoins plus étonnantes comme la demande - faite par un certain nombre d’autorités salafistes - de séparer dans les vestiaires, durant les cours de sport, les musulmans des non-musulmans, afin qu’il y ait d’un côté des circoncis et de l’autre des non-circoncis. Cette obsession de la pureté ne fait que s’accroître.

L’islamisation se fait-elle principalement à l’école publique, privée, hors contrat ou bien dans le cadre de l’école à la maison ?

L’islamisation se fait dans ces quatre lieux. La grande majorité des élèves musulmans sont dans l’enseignement public. C’est donc là qu’il faut agir en priorité. Il y a un petit nombre d’établissements privés musulmans sous contrats qui ne posent pas de problème et qui sont bien contrôlés. Par contre, il y a la montée en puissance des écoles hors contrat qui sont le plus souvent salafistes, mais pas uniquement, puisqu’il y a aussi des établissements plutôt proches du pouvoir turc et des Frères musulmans.

Il y a aussi le troisième volet, l’instruction à domicile. Elle se développe très rapidement, comme on peut le voir par exemple en Seine-Saint-Denis. Là, Emmanuel Macron a annoncé une disposition radicale : la fin de l’instruction à domicile sauf pour motifs médicaux. Cependant, un problème de constitutionnalité risque de se poser.

Quel est votre point de vue sur l’enseignement de l’arabe à l’école ?

C’est une bonne mesure. Il y avait jusqu’ici des cours d’arabe enseignés grâce à des accords diplomatiques anciens qui sont dévolus aux pays d’origine, en particulier aux pays comme l’Algérie, la Tunisie, le Maroc ou encore la Turquie. Ces langues et ces cultures étaient enseignées par des personnes qui étaient rémunérées et venaient de ces pays d’origine. Ils étaient incontrôlés et pouvaient en réalité servir d’intermédiaires religieux afin d’exercer une forme de pression sur les enfants issus de l’immigration. D’autre part, ils n’obéissaient pas aux principes constitutionnels d’égalité, puisque seuls les enfants des nationaux pouvaient y avoir accès. C’est une très bonne chose de le supprimer, mais il faut les remplacer pour les familles qui souhaitent que leurs enfants suivent un enseignement de l’arabe et des cultures arabes. Il faut ouvrir cette offre dans les établissements scolaires, mais par des enseignants certifiés par l’Éducation nationale."

Lire "Islamisme à l’école : « Nous avons perdu vingt ans »".



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