Note de lecture

J.-P. Lefauconnier - Le retour de l’Epopée (Yves Agnès)

par Yves Agnès. 8 avril 2021

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Jean-Paul Lefauconnier, La Mitterrandiade (t. 1) Le beau champion des « ministères, éd. Temporis, 1er avril 2021, 372 p., 23 e.

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Nous avons un nouvel Homère. Le premier tome (trois autres sont à venir) de son « œuvre », La Mitterrandiade (Editions Temporis), vient de paraître. Courez chez le libraire.

Son défi : conter en 30 000 vers la quête de l’Elysée par le plus tenace des Ulysse, le plus agile des Achille, le quatrième président de la Vème République. Les quarante ans de sa réussite vont être célébrés en mai 2021…

La Mitterrandiade est due au talent (le mot n’est pas excessif) de Jean-Paul Lefauconnier, un alerte octogénaire qui y a consacré presque un quart de siècle (lire par ailleurs). Le premier volume démarre sur les chapeaux de roue lorsque le jeune Mitterrand, fait prisonnier à plusieurs reprises au début de la guerre, s’évade en 1942 du dernier des stalags où il a été retenu et commence sa vie politique… au gouvernement de Vichy ! Avant de virer de bord et d’entrer en Résistance tout en poursuivant ses activités au service du maréchal Pétain. Il en sera hautement récompensé à partir de la Libération, jusqu’à devenir titulaire du plus grand nombre de portefeuilles sous la IVème République. Dans les débuts de la guerre d’Algérie, il est notamment ministre de l’Intérieur et chaud partisan de la guillotine (qu’il fera supprimer en 1981 !). Il espère arriver enfin à son but – la présidence du Conseil – quand en 1958, patatras, le retour du général De Gaulle aux affaires ruine (provisoirement) ses ambitions. Fin du premier tome.

Non, la culture classique, chaque année un peu plus absente de notre société nombrilo-médiatique, n’est pas encore enterrée ! C’est une sorte de « créature littéraire ambiguë » qui vient de faire son apparition. Un œuf de dinosaure enfoui dans quelque grotte ?... Il fallait de la persévérance, en plus du culot, pour réussir en même temps une prouesse littéraire, une leçon d’histoire… et un roman alerte, de bout en bout, sur la vie d’un homme politique qui fut adulé par les uns (qu’on se rappelle les « tontonmaniaques ») et détesté par d’autres. Ceux qui ont eu le privilège de lire avant parution s’accordent à dire qu’il est à la fois facile et agréable, distrayant et profond.

L’auteur préfère parler de son « travail » comme d’une « épopée satirique en vers », où le poète, confronté à la Muse, conte au fil des chants les prouesses de son « héros »… et ses déconvenues. Merci à l’éditeur, qui a su mesurer en connaisseur particulièrement averti – François d’Aubert, PDG des éditions Temporis, a été lui-même ministre de la République – les qualités du manuscrit qui avait fini par tomber entre ses mains. L’auteur ne s’imaginait pas en effet qu’il aurait à effectuer un épuisant parcours du combattant avant de trouver un partenaire dans l’aventure.

Car le monde de l’édition, ses responsables et ses conseillers éditoriaux, se sont pendant plusieurs années « autocensurés », au motif qu’un tel ouvrage versifié était a priori inaccessible au public. Les refus de principe se sont multipliés, sans qu’il soit possible d’accéder à une simple lecture sans œillères… On ne peut que s’interroger à la fois sur le mépris généralisé pour ce qui a trait aux « humanités » et sur un système d’édition médiatico-marchand prompt à s’enthousiasmer pour l’air du temps et à ignorer certaines créations « marginales ». Pourquoi rejeter d’un revers de la main tout ce qui ne serait pas « tendance » ? Vieux débats. Au reste, de nos jours, qui a lu l’Iliade ou La Henriade ? Mais est-ce une raison suffisante ?

D’autant que, derrière une versification (à majorité d’octosyllabes) qui n’entrave en rien la lecture, il y a une thèse anthropologique et sociale. A travers son « épopée », Lefauconnier conte la course au pouvoir dans les groupes humains. Et, s’il en tâte pour Darwin, il n’oublie pas Rousseau en présentant son « héros-arriviste » comme un être humain, profondément humain. Chaque lecteur pourra trouver dans cette étonnante description de nos vicissitudes matière à réflexion. Si toutefois il ose suivre l’auteur sur son terrain : faire émerger la raison derrière les apparences et au mépris des fables d’un « politiquement correct ».

Yves Agnès,
ancien rédacteur en chef au
Monde


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